Automobile : « Nous sommes passés d'un monde linéaire à un monde incertain » (Richard Brunet, Bosch Rexroth France)

ENTRETIEN. La filiale lyonnaise du groupe Bosch, spécialisée dans la commercialisation de matériels et d'engins industriels, notamment fabriqués à Vénissieux (Rhône), amorce la transition de son industrie. Alors qu'elle s'adresse entre autres aux marchés en pleine mutation de l'automobile et des mobilités, mais aussi du BTP, l'entreprise revient sur ses projets structurants : hydrogène vert, remanufacture des pièces et conséquences sur le volet social... Son président, Richard Brunet, s'attend à ce qu'en 2024, la part de l'automobile soit tirée par les projets de réindustrialisation de batteries, tout en posant de forts enjeux de compétitivité et de flexibilité des productions.
Richard Brunet, président de Bosch Rexroth France, la filiale du groupe allemand en charge des produits industriels, revient sur les enjeux qui se posent au sein du marché de l'automobile : fabriquer aux mêmes coûts qu'avant, mais en prenant le virage de la transition énergétique et du réemploi des outils industriels.
Richard Brunet, président de Bosch Rexroth France, la filiale du groupe allemand en charge des produits industriels, revient sur les enjeux qui se posent au sein du marché de l'automobile : fabriquer aux mêmes coûts qu'avant, mais en prenant le virage de la transition énergétique et du réemploi des outils industriels. (Crédits : Bosch Rexroth France)

LA TRIBUNE - Bosch Rexroth constitue la branche industrielle du groupe Bosch, par ailleurs spécialisé dans l'électroménager et les équipements automobiles. En France, son siège se situe à Vénissieux, près de Lyon (Rhône), où vous opérez la commercialisation des produits du groupe dans l'Hexagone, mais aussi la vente de produits fabriqués en France à l'international. Quelle est aujourd'hui la place de ces activités dans l'articulation globale de Bosch en France et à l'étranger?

Richard Brunet, président de Bosch Rexroth France - Notre spécialité concerne les activités industrielles B to B du groupe : à savoir la conception et la commercialisation de presses, de tracteurs, de lignes de production, mais aussi l'accompagnement industriel de nos clients pour déplacer, serrer, presser quelque chose, toujours dans le mouvement.

À Vénissieux, 220 collaborateurs travaillent à la partie commerciale, et 350 autres à la production de joysticks pour mini-pelles et tractopelles, ensuite distribués à l'international, où nous disposons d'une part de marché conséquente. Les activités industrielles de Bosch Rexroth représentent un peu plus de 7 % de l'activité de Bosch dans le monde, soit 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2022, sur les 88,4 milliards d'euros du groupe.

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Nous travaillons pour les secteurs de l'automobile, de la sidérurgie, du BTP... Contrairement à l'automobile, qui était assez stable ces dix dernières années, les secteurs de la pharmaceutique et de la cosmétique ont connu une forte croissance. Mais désormais, la situation est en train de changer.

Je pense qu'en 2024, la part de l'automobile sera plus importante dans notre chiffre d'affaires, parce que nous avons travaillé sur à peu près tous les projets de réindustrialisation de batteries que l'on connaît aujourd'hui en France : Verkor, ACC...

Le secteur des voitures thermiques neuves a largement ralenti ces dernières années, au profit par exemple de celui de l'occasion, mais aussi de l'électrique. Alors que près de 1.500 postes vont être supprimés en Allemagne d'ici fin 2025, pouvez-vous retracer l'évolution de ce marché structurant pour Bosch en France ?

L'écosystème automobile représente 30 % de l'activité de Bosch Rexroth. Pour le groupe, c'est même 50 %. Alors forcément, l'évolution du marché est une remise en cause énorme. Ces dernières années, nos clients de l'automobile sont devenus des « utilisateurs finaux », plus que des constructeurs. Il y a bien sûr toujours eu de nombreux constructeurs en France, mais par rapport à l'Italie, à l'Allemagne ou au Japon, la France était un peu derrière... Jusqu'à ces deux dernières années. La France pousse désormais très très fort, de façon proportionnelle.

À vrai dire, j'observe en ce moment une vraie révolution dans l'industrie. Il y a encore quelques années, nous étions dans un monde linéaire, où il s'agissait d'améliorer chaque année les performances des produits.

Dans l'automobile par exemple, tout était très simple : le consommateur avait le choix d'acheter soit une voiture essence, soit une voiture diesel, et cela s'arrêtait là. Tandis qu'aujourd'hui, nous sommes dans un monde incertain, un monde du « ça dépend ». Un monde qui demande aussi aux industriels de fabriquer aux mêmes coûts qu'auparavant. Donc apporter de la flexibilité extrême, tout en permettant des coûts de très grande série. C'est impossible. Et pourtant il faut le réaliser.

Comment entendez-vous répondre à ces grandes transformations ? Et donc rester compétitifs face à la concurrence internationale ?

Il faut d'abord que les industriels se mettent tous ensemble en ordre de marche en se disant qu'il n'y a plus de vérité claire. Mais aussi en adoptant une certaine agilité afin de ne pas seulement se rapporter aux cinq prochaines années, mais de regarder beaucoup plus proche.

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Très concrètement, cela signifie qu'une ligne de production, aujourd'hui, doit être capable d'être modifiée en quelques mois. Ce, notamment grâce au digital, qui permet désormais de modéliser un projet, sans avoir à le tester avant validation. Mais il faut aussi que les machines elles-mêmes communiquent avec les autres. Tout cela permet qu'un lot de un soit au même coût qu'un lot de 10.000 pièces.

Concrètement, comment cela se traduit-il chez Bosch ?

Nous utilisions par exemple auparavant des réglages mécaniques et hydrauliques sur nos produits car les capteurs électroniques coûtaient très cher (environ une centaine d'euros par centrale).

Nous avons depuis utilisé la puissance du groupe Bosch, en tant que premier fabricant de capteurs au monde pour l'automobile, et trouvé la flexibilité d'utiliser ces capteurs sur des pelles mécaniques. Cela nous permet d'avoir aujourd'hui un capteur d'une valeur de deux ou trois euros. D'un seul coup, vous conférez une intelligence à un produit qui n'en avait pas, pour le même coût. Toute la productivité doit aller dans ce sens là.

Vous travaillez également sur le recyclage d'éléments industriels : quels sont les enjeux imposés par cette évolution ?

Nos clients souhaitent être en capacité, 25 ans après, de remplacer le produit qui est sur leur machine. C'est notamment valable dans la sidérurgie, qui représente environ 20 % de nos activités. Prenons l'exemple des presses à forger, ces grandes presses de 23 mètres de haut. Il en existe une trentaine en France, mais il n'y a plus de fabricants.

Après cinquante ans d'activité, il est possible de les évaluer et de les rétrofiter. C'est un domaine que nous suivons de manière très précise, tant en termes d'hydraulique, que d'électronique et d'analyse du mouvement. Pour cela, il faut être capable de venir avec des outils de simulation, que nous avons en Allemagne et en France.

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Vous dites qu'il est en effet possible de réutiliser 90 % des matériaux repris : que représente aujourd'hui la remanufacture dans vos activités ? Dans quelle mesure et à quelles conditions les industries sont-elles aujourd'hui intéressées par le recyclage de leurs outils de production ?

La remanufacture représente à peu près 15 % de notre chiffre d'affaires. Et je pense que ce marché va progresser aussi rapidement que le reste, en montant progressivement à 20 % de nos activités. Il ira avec la croissance du marché des constructeurs de machines en France.

Car aujourd'hui, des clients, comme Stellantis, ne veulent plus avoir une ligne de production neuve, sauf quand elle s'avère très différente. Ils veulent être capables de repartir de l'existant et transformer complètement leur ligne. Par exemple, il n'y a rien de plus recyclable qu'une pompe hydraulique. Mais aussi qu'une batterie.

Nous travaillons par exemple sur un brevet autour de la décharge de la batterie. Toute la filière a déjà réfléchi au recyclage.

Quels sont vos objectifs ?

Il faut, aujourd'hui, qu'un produit manufacturé soit à 70 % du prix d'un matériel neuf. La dimension économique reste très forte. Nous sommes prêts, parce que nous nous sommes outillés. Et je pense que les clients le seront bientôt. Mais le besoin est encore timide. Il y a aussi une problématique : celle des utilisateurs finaux et des constructeurs. Les premiers peuvent se permettre le rétrofit, car il ont des lignes de production. Mais si vous parlez à un constructeur de machines, lui n'en a aucune à rétrofiter.

Quelle sera demain la place de l'hydrogène vert dans vos activités, en direction des secteurs des mobilités ?

La place de l'hydrogène est déjà énorme. Bosch a investi plus de 2 milliards d'euros dans l'hydrogène sous différentes formes. Nous travaillons par exemple avec Hydrogen refueling system (HRS) à Grenoble, qui monte vraiment en puissance. Nous les aidons sur le système de mise en pression lors de son injection dans un camion, qui est de 700 bars contre 400 bars sur une voiture. Ce qui est notre cœur de métier. Nous sommes toujours en deuxième ligne, pour faire en sorte que ces sociétés soient toujours en avance par rapport aux autres.

Vous travailliez également de septembre 2021 à mi 2023 sur un banc d'essai pour piles à combustible à hydrogène à Rodez, dans l'Aveyron (1.500 collaborateurs) et à Vénissieux (50 ingénieurs). Mais ce projet, nommé FresH 2, a été stoppé net il y a quelques mois. Pouvez-vous nous en exposer les raisons ? Et quelles seront les conséquences pour ces salariés ?

FresH 2 consistait à proposer un moteur aux normes hydrogène - et non essence ou diesel - aux camions frigorifiques, là où aujourd'hui il n'existe aucune norme européenne sur le sujet. Or, sans norme, sans aucune régulation coercitive, le projet ne peut pas exister.

Aujourd'hui, le marché ne permet pas un euro de plus que la solution diesel, et l'hydrogène vert reste toujours plus cher que le thermique.

Personne n'a encore fait le pas. Nous avons donc abandonné le projet FresH 2, qui concernait bien les 1.500 collaborateurs du site de Rodez (Aveyron), qui vont continuer à fabriquer du thermique et travailler sur un certain nombre de projets. Mais aussi les 50 ingénieurs de Vénissieux, pour lesquels il faut maintenant trouver des solutions, pour d'autres sujets, toujours fléchés vers l'hydrogène. Cela suscite à la fois beaucoup d'incertitudes et beaucoup d'espoir. Ces collaborateurs ont un savoir-faire extrêmement utile au groupe.

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Le marché de l'hydrogène reste encore balbutiant, avec une demande encore faible face à des prix toujours élevés. Comment entendez-vous sortir la tête de l'eau et accélérer ?

Il faut pouvoir aller plus vite sur l'évolution des normes. Tant qu'il n'y aura pas une législation européenne sur la pollution des systèmes réfrigérants, il n'y aura pas de contrainte pour les fabricants de camions, sachant que leurs clients, derrière, ne sont pas prêts à payer un euro supplémentaire.

De la même manière, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), applicable à certaines entreprises* depuis le 1er janvier dernier, va nous aider à contrecarrer ces effets, en donnant une valeur aux entreprises en fonction de leur empreinte carbone. Par exemple, le groupe Bosch est neutre en carbone SCOP 1 et 2 depuis 2020 : cela nous a-t-il apporté quelque chose d'un point de vue économique ? Non. Mais est-ce que cela nous a fait chuter ? Pas du tout.

* La CSRD, dont la transposition dans le droit français est progressive, oblige depuis le 1er janvier les entreprises répondant à deux des trois critères suivants à publier chaque année leur rapport de durabilité, comprenant notamment le bilan carbone : plus de 500 salariés, un bilan supérieur à 20 millions d'euros, ou un chiffre d'affaires supérieur à 40 millions d'euros.

À Rodez, plusieurs centaines d'emplois sont aujourd'hui menacés. Outre la dimension sociale évidente, n'est-ce pas contradictoire avec l'idée d'une réindustrialisation ?

Plus de 2.000 salariés travaillaient auparavant à Rodez. Nous avons réduit la voilure à 1.500 personnes et l'ambition, c'est d'aller vers 700 personnes en 2025 ou 2026. C'est un plan de réduction du personnel, parce qu'il n'y a plus la nécessité d'avoir autant d'heures. Il y a moins de moteurs diesel neufs à la vente, c'est factuel aujourd'hui. Cela a des conséquences directes sur les emplois. De la même façon, il faut cinq personnes pour fabriquer un moteur diesel, contre une pour un moteur électrique.

Un plan social, pour la délocalisation d'une partie des activités de la distribution hydraulique en Turquie et en Chine, avait également été initié à Vénissieux en 2016. Pouvez-vous revenir sur cet épisode ? Quel bilan tirez-vous aujourd'hui ?

Cela concernait l'usine de fabrication. Tous les sites de Rexroth, mais aussi tous les sites de Bosch en général, sont mis en concurrence en interne. Ils sont comparés avec les autres sites, dont la Turquie et la Chine. Il faut donc que les solutions apportées par les sites français soient suffisamment économiques pour qu'elles soient intéressantes.

À partir de 2016, la société a continué de croître sur les joysticks, parce que nous avons pris d'autres parts de marché, notamment en Corée du Sud. La société s'est remise en cause, avec ce nouveau présent où certaines pièces sont parties en Turquie. Cela a été une opportunité pour se concentrer encore plus sur les joysticks.

Car si nous ne coûtons pas moins chers que les produits chinois, quels avantages apportons-nous à nos clients ? Il faut être capable de cela. Cette phrase n'est pas facile à prononcer, ni à réaliser, mais elle est jouable, si nous utilisons tout ce que l'industrie peut nous apporter. Et si vous savez que vos collaborateurs font partie de la solution.

Pourriez-vous imaginer aujourd'hui un plan similaire ?

Je suis certain que l'on peut fabriquer en France. Mais est-il possible que des décisions venues d'Allemagne le remette en cause ? Oui, cela peut arriver. Est-ce que ce serait une crise ? Oui. Est-ce que dans toute crise, il se cache des opportunités ? Oui. Il faudrait l'anticiper, réagir, et pour cela avoir des personnels formés, intelligents, des élus qui comprennent les choses, qui accompagnent les changements.

Le groupe accuse de lourdes difficultés, notamment avec la suppression annoncée de 3.500 postes dans le monde d'ici à 2027À Vénissieux, quelle est la dynamique actuelle en termes d'emplois et de politique de ressources humaines ?

Nous avons embauché dix personnes sur l'électrification, parce que nous avions besoin d'acquérir des compétences plus vite sur les engins mobiles qu'avec des formations. Mais les formations jouent bien sûr un rôle essentiel pour nos collaborateurs. 79 % d'entre eux ont suivi des formations internes l'année dernière.

Par exemple, nous avons accompagné des hydrauliciens vers le métier d'électronicien et maintenant d'électricien. De même, il s'agit d'être créatif afin d'attirer les jeunes dans l'industrie, notamment à travers la mobilité, que ce soit en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Suède ou encore en Grèce.

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« Bosch Rexroth travaille déjà sur ce projet de façon indirecte, en aidant à fabriquer des tunneliers. Ou plutôt les éléments qui amènent le matériel à l'intérieur. Nous avons commencé à travailler avec des sociétés comme Metalliance, mais aussi avec Vicat sur la réutilisation des matières extraites pour fabriquer du béton.

Mais nous n'avons pas encore toutes les solutions en main : il n'est aujourd'hui pas possible de carotter sur 1.000 mètres de profondeur en montagne pour savoir ce que l'on va rencontrer. Il faut imaginer un flux continu de matières sortantes, tout en fabriquant du béton pour y entrer. Cela, aujourd'hui, n'existe pas. Je n'ai pas la solution, mais nous y réfléchissons avec Vicat. »

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Commentaire 1
à écrit le 07/03/2024 à 16:29
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Ils sont mort ! leurs outils coutent 2 fois plus cher en solde ! sans aucun autre avantage competitif que le "made in germany".

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