Biogaz : comment la filière entend multiplier par cinq le gaz vert d'ici 2030 en Auvergne-Rhône-Alpes

DECRYPTAGE. Face à la hausse des coûts des énergies et aux impératifs de souveraineté comme de décarbonation, les autorités font valoir les arguments du biogaz : beaucoup moins émetteur de gaz à effet de serre (GES), produit dans l'Hexagone et source de revenus. En Auvergne-Rhône-Alpes, l'une des régions pionnières avec les Hauts-de-France et le Grand-Est, les projets s'accélèrent et GRDF entend bien distribuer 20 % de gaz renouvelable dans ses réseaux en 2030, contre environ 3 % aujourd'hui. Pour parvenir à ces ambitions, la filière, majoritairement portée par le monde agricole, devra jongler avec un spectre de contraintes. Mais aussi développer des projets territoriaux et industriels.
L'agglomération de Roanne s'est équipée de deux unités de méthanisation début janvier, capables de produire 2 millions de mètres cubes de biométhane. Elles fourniront 40 % des besoins énergétiques du papetier voisin, Sofidel.
L'agglomération de Roanne s'est équipée de deux unités de méthanisation début janvier, capables de produire 2 millions de mètres cubes de biométhane. Elles fourniront 40 % des besoins énergétiques du papetier voisin, Sofidel. (Crédits : DR)

C'est une énergie aujourd'hui jugée mature, mais qui a quelque peu peiné à trouver son marché ces dernières années : le biogaz, notamment fabriqué à partir de déchets agricoles compostés dans des méthaniseurs (ces grandes bulles situées notamment dans certaines exploitations) semble désormais retrouver des couleurs, avec des objectifs pour le moins ambitieux présentés la semaine dernière par l'un des deux distributeurs nationaux de gaz, GRDF.

Le distributeur public, qui sort de deux années de crise depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, a en effet énoncé sa stratégie de décarbonation jusqu'en 2050, où il entend atteindre « la neutralité carbone » en mettant fin à la distribution de gaz naturel fossile, pourtant encore largement majoritaire aujourd'hui dans le mix gazier.

En effet, son homologue, GRT Gaz, chargé des plus gros réseaux de distribution de molécules partout sur le territoire grâce à d'immenses pipelines (ces grandes « autoroutes du gaz », ensuite divisées en plus petites « routes », quant à elles opérées par GRDF), indiquait la semaine dernière avoir distribué « une grande majorité » de gaz naturel (fossile) en 2023. Parmi lequel figurait essentiellement du gaz naturel liquéfié (GNL), en provenance notamment des Etats-Unis. Mais aussi « encore » 5 % de gaz russe (contre environ 20 % avant la guerre), malgré les sanctions européennes.

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Une situation non seulement de dépendance envers certains pays étrangers, mais aussi générant de vastes émissions de carbone, dont la France et l'Union européenne affirment désormais vouloir se défaire à travers leurs stratégies. Le gaz fossile représentait en effet encore 16 % des consommations d'énergies primaires de la France en 2023 selon le gouvernement, devant toutes les énergies renouvelables confondues.

Quelles réponses, aujourd'hui, face à ces multiples défis ? Electrification d'un côté, développement du biogaz de l'autre : « il ne s'agit pas d'opposer les deux », introduit Guilhem Armanet, directeur général de GRDF Sud-Est, représentant les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur (où la méthanisation se se développe largement dans la première, et les filières de recyclage de déchets industriels dans la seconde).

« La magie de ce qu'on est train de faire, c'est qu'on décarbone, sans avoir des coûts d'investissements astronomiques. Selon la Commission de régulation de l'énergie, si on voulait décarboner la France uniquement avec l'électricité, cela coûterait 30 fois plus cher qu'en utilisant l'électricité et le réseau de gaz », ajoute le directeur régional de GRDF.

Multiplier par cinq la production de biogaz en six ans

Pour cela, GRDF prévoit la multiplication par cinq de la production de biogaz d'ici à 2030, aussi bien au niveau national (en passant de 12 TWh à 60 TWh d'énergie) que régional, en Auvergne-Rhône-Alpes (de 0,7 TWh à 3,7 TWh de biogaz). Le tout, en visant un mix gazier composé « à 20 % de gaz vert » dans moins de six ans, et même « 100 % » en 2050.

Des cibles également fixées par le Schéma régional biomasse (découlant de la dernière Programmation pluriannuelle de l'énergie), qui identifie « un potentiel de biomasse mobilisable de 12 millions de tonnes de matières brutes » en Auvergne-Rhône-Alpes. Dans l'idée que le biogaz issu de la méthanisation devienne la quatrième source d'énergie renouvelable régionale en 2035, derrière l'hydroélectricité, le bois énergie et le photovoltaïque.

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Un « objectif » (aussi bien qu'une « projection » selon le directeur général Sud-Est) qui implique par ailleurs une très nette accélération des projets. Une courbe « exponentielle », avec près de 40 nouveaux méthaniseurs par an à partir de 2027, est ici très vivement attendue, et tient à l'assurance « d'un marché désormais beaucoup plus mature » remarque Agnès Quemere, déléguée au développement du gaz renouvelable pour GRDF Sud-Est.

Ce, après plusieurs années d'atermoiements, tant en matière technologique (Engie a été condamné pour des fuites d'ammoniaque identifiées en août 2020 à Châteaulin, dans le Finistère) qu'économique (la région Auvergne-Rhône-Alpes avait retiré ses subventions aux projets en 2021, avant de les réattribuer à partir de 2022).

Biogaz AURA

L'évolution du nombre de nouvelles entrées en service d'unités de production de biogaz en région Auvergne-Rhône-Alpes. La cogénération permet de produire de l'électricité et de la chaleur localement, tandis que l'injection consiste à rejoindre le réseau de biogaz afin de distribuer l'énergie. Source : Observatoire AURA Environnement, le 15 avril 2024.

Les conditions de ce fort développement tiennent désormais à plusieurs facteurs, selon ces acteurs. À commencer par la publication, l'été dernier, d'un décret réglementant les prix d'achat du biogaz, « qui ont augmenté d'environ 12 % ». Des tarifs garantis sur 15 ans pour les exploitants, qui y trouveraient une rentabilité « après une dizaine d'années » selon GRDF. Un décret cumulé à des aides publiques (fonds régionaux - FEDER, OSER - mais aussi de l'Ademe) représentant « environ 20 % des coûts de reviens des projets », estimés « entre 3 et 5 millions d'euros », ajoute le distributeur de gaz.

« Aujourd'hui, les pouvoirs publics sont plutôt en phase avec le souhait d'avoir du gaz renouvelable, même si cela ne va pas aussi vite qu'on le souhaite, souligne par ailleurs Jean-Philippe Burtin, président de Biogaz Vallée, un cluster regroupant les principaux acteurs de la méthanisation.

« Ce qu'il faut, c'est de la visibilité. Le sujet, c'est plutôt l'accélération au niveau administratif pour sortir ces projets. Aujourd'hui, nous sommes à 1.700 sites de méthanisation en France, et non à 3.000, parce que certains ont connu des ralentissements en matière d'administratif, de déclarations etc. Cela a aussi été le cas dans l'éolien ou le solaire. C'est aussi à corréler avec l'augmentation des taux d'intérêt ».

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Ce développement, les distributeurs de gaz indiquent également l'accompagner à travers des investissements sur le réseau : GRDF Sud-Est investit ainsi près de 30 millions d'euros par an pour la construction d'une cinquantaine de kilomètres de réseaux supplémentaires. Quant à GRTgaz, il a financé un premier « rebours » à Saint-Victor (Allier), permettant de remonter les surplus locaux de biométhane vers un autre territoire pour y être directement utilisé ou stocké, notamment l'été.

Car ce modèle interroge par ailleurs le rapport entre « villes et campagnes » : la grande majorité de la production, agricole, est aujourd'hui réalisée en zones rurales et consommée en zones urbaines. Pour cela, encore faut-il pouvoir acheminer le biogaz. Ou réfléchir à ses usages.

C'est ce que pointe notamment Jean-Marc Jancovici, ingénieur et fondateur du cabinet Carbon 4, spécialisé dans la transition énergétique et l'adaptation au changement climatique, sur le réseau social LinkedIn la semaine dernière :
« Admettons que nous obtenions les 50 TWh de biométhane en 2030. C'est 8 fois moins que le gaz actuellement utilisé, et on pourrait s'en servir sans réseau, pour deux usages en particulier, géographiquement proches du méthaniseur : la motorisation agricole (qui demande aussi 50 TWh par an) et les bus ou camions locaux ».

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Les collectivités et l'industrie, productrices « indispensables » de biogaz

De plus, pour parvenir à une multiplication par cinq du biogaz en six ans, il faudra ajouter une brique jugée « indispensable » par Jean-Philippe Burtin dans cette équation : celle de l'essor d'autres technologies. La méthanisation agricole, qui représente aujourd'hui environ 90 % des méthaniseurs, devra être complétée par de nouvelles formes de production de gaz : territoriales (via la fermentation des boues de stations d'épuration) et industrielles (via certains effluents).

Car « différentes technologies sont en train d'arriver, souligne Bérangère Préault, déléguée territoriale Rhône Méditerranée pour GRTgaz. « Nous pensons que nous pourrons massifier rapidement avec des installations qui pourront grandir en pallier ».

« En Aura, nous estimons que le gisement, donc les quantités de ressources mobilisables pour produire ce gaz renouvelable, est suffisant pour atteindre cet objectif. En revanche, il faudra déployer tous les types d'installations : les méthaniseurs agricoles, les méthanisations collectives, dans l'industrie agro-alimentaire, dans les collectivités territoriales, ou encore de la méthanisation dans les stations d'épuration. Mais aussi des installations de taille différentes », ajoute la déléguée territoriale de GRTgaz.

Plusieurs types d'installations sont en cours de développement. L'agglomération de Roanne (Loire) a ainsi inauguré en janvier dernier son premier méthaniseur territorial, produisant du biogaz à partir de la fermentation de résidus des eaux usées de la collectivité. Il permet d'alimenter près de 40 % des besoins en énergie de l'usine de production de papiers voisine : Sofidel.

De même, la Métropole de Lyon travaille à un projet de « méthaniseur XXL » (80 millions d'euros d'investissement), l'un des plus grands en France avec une production de 77 GWh à partir de 2029. Mais pour l'heure, le Grand Lyon hésite entre deux modèles économiques : utiliser ce gaz en propre, pour alimenter son réseau de transports en commun. Ou encore vendre cette énergie sur le réseau, via des énergéticiens. L'exécutif écologiste prévoit de trancher la question d'ici à 2025.

En parallèle, d'autres projets sont lancés, à des stades moins avancés de maturité. C'est par exemple le cas de la « pyrogazéification », consistant à chauffer des déchets de bois et de plastiques jusqu'alors non recyclables (ancien mobiliers) afin de produire du méthane : à Saint-Fons (Rhône), la plate-forme GAYA travaille ainsi sur un démonstrateur R&D depuis 2020. Une expérimentation sur laquelle se sont notamment appuyés Engie et CMA-CGM (actionnaire majoritaire de La Tribune) à travers le projet « Salamandre », prévu au Havre (Seine-Maritime) à horizon 2027 selon Ouest-France.

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D'un autre côté, les industriels commencent également à investiguer la gazéification hydrothermale, consistant en la fermeture d'eaux de process industrielles : GRDF a d'ailleurs signé en ce sens un partenariat avec le CEA. Prochaine étape : « De la même façon que l'on attend un tarif d'achat des nouveaux gaz, on attend un décret sur les « certificats de production de biométhane », qui visent à accélérer la filière », tous deux attendus à l'été 2024, remarque Guilhem Armanet.

« Les fournisseurs d'énergie vont être obligés de porter un pourcentage de gaz vert dans leurs offres. Et donc, mathématiquement, ils vont financer la filière, soit en investissant eux-mêmes, soit en achetant du gaz vert », ajoute le directeur régional de GRDF.

« Tout a été fait, mais il ne manque plus que la part de gaz vert dans l'offre. Ce décret doit sortir cet été. A partir de ce moment là, nous allons voir arriver de nouveaux acteurs, qui vont investir dans les gaz renouvelables », conlcut Guilhem Armanet.

En Auvergne-Rhône-Alpes, déjà, des entreprises se tiennent prêtes : dont la grenobloise Waga Energy, qui a vu son chiffre d'affaires bondir de 74 % en 2023. Mais aussi Prodeval, Methalac ou encore Deltalys. La Région compterait « environ un tiers des entreprises de la méthanisation en France », ajoute d'ailleurs le directeur de GRDF Sud-Est, qui estime désormais la fusée du biogaz lancée.

Pour une méthanisation « exemplaire », plaide France Nature Environnement

Si la méthanisation agricole représente aujourd'hui 90 % de la production de biométhane en France, l'injection de biomasse (tel que défini par un décret du 4 août 2022) représente au maximum 15 % de cultures principales dans les méthaniseurs à des fins énergétiques (l'alimentation restant prioritaire).

En Auvergne-Rhône-Alpes, cette injection se limite aujourd'hui à environ 3 % des récoltes. Une situation qui pourrait encore s'améliorer selon France Nature Environnement Aura, qui a publié un rapport sur le sujet en février 2023.

La fédération invite à tendre vers un « objectif zéro culture dédiée » : « Avec la réglementation actuelle, cet objectif peut être atteint au sein de la région via les critères d'évaluation et de financement des projets par l'ADEME et les collectivités territoriales ».

Dans son rapport, France Nature Environnement (FNE) recommande également de « réviser les objectifs régionaux de production », « renforcer les moyens des services d'instruction », « interdire les engrais de synthèse et les pesticides sur les CIVE », « interdire l'irrigation des cultures dédiées à la méthanisation », ou encore « intervenir dans la localisation et la configuration des projets ».

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Commentaire 1
à écrit le 15/04/2024 à 15:46
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J'avais vu une offre TotalEnergies avec 10% de biogaz, le prix +100% vs la fourniture de gaz fossile (ça fait le gaz bio de fermentation 11 fois le prix du fossile), mais ai pas regardé depuis si ça avait baissé voire disparu (y a parfois des offres ...

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