PFAS : Grapheal développe un capteur qui analyse « en temps réel » la présence des polluants dans l'eau

C'est un feuilleton à rebondissements qui se joue dans le Rhône et plus largement dans l'Hexagone : le scandale des PFAS, ces substances chimiques particulièrement résistantes, est désormais dans le viseur des collectivités, qui cherchent à les identifier et les cartographier. C'est là que la deeptech grenobloise Grapheal, spécialisée dans la création de biocapteurs de haute précision à base de graphène, entend jouer un rôle. Ce, grâce à un biocapteur, développé avec le CNRS et l'Université Savoie Mont-Blanc, capable de détecter en quelques minutes la présence de PFAS dans un échantillon d'eau. Explications.
Crédit : Grapheal. Capteur développé par Grapheal permettant de réaliser des analyses de l'eau et de détecter la présence de certains PFAS, en particulier le PFAO.
Crédit : Grapheal. Capteur développé par Grapheal permettant de réaliser des analyses de l'eau et de détecter la présence de certains PFAS, en particulier le PFAO. (Crédits : DR)

Fruit de plus de dix ans de recherche, Grapheal fête cette année ses cinq ans : l'âge de raison pour une startup, s'amuse son fondateur, Vincent Bouchiat, ancien chercheur de l'Institut Néel (CNRS). Sa solution repose sur un nanomatériau : le graphène, aux propriétés électroniques intéressantes pour créer des capteurs.

« Nous avons un nouveau matériau électronique qui est en fait « un film atomiquement fin de carbone » que l'on dépose sur des films plastiques : il permet de faire de l'électronique imprimée avec des capteurs de très haute sensibilité », introduit l'entrepreneur.

Le courant électrique passe dans une couche extrêmement fine de carbone, d'un atome d'épaisseur. « En réalité, il s'agit d'une molécule unique connectée de bout en bout, qui va interagir très fortement avec l'environnement. Nous pouvons habiller cette molécule avec des éléments qui vont réagir à des liquides comme le sang, la sueur, ou encore la salive », détaille t-il.

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À cette première innovation s'ajoute une seconde : la création d'une bandelette de test numérique, qui se connecte directement au smartphone ou à une tablette, qui agit alors comme un terminal.

« Nous utilisons des systèmes embarqués très proches de la carte à puce, qui vont alimenter et connecter des capteurs », développe le CEO, offrant aux futurs utilisateurs un « petit laboratoire de poche » capable d'analyser, en temps réel, de petites quantités de substance.

Les équipes de la société se sont d'abord lancées sur le segment de la santé avec un pansement connecté capable à la fois de soigner la plaie et d'alerter l'équipe soignante de son évolution. Quelques années plus tard, une réorientation est opérée vers la création d'un test salivaire pour détecter le Covid-19.

Mais plus récemment, la société s'est ouverte vers d'autres marchés et cas d'usage : l'eau, et notamment les PFAS, mais aussi le gaz. Ce, pour des raisons économiques, les dispositifs médicaux étant très réglementés, leur mise sur le marché s'avère souvent longue.

La pollution de l'eau, un fléau symbolisé par les PFAS

« Nous avons identifié la qualité de l'eau comme une cible depuis un certain temps en raison des résidus de pesticides et depuis un à deux ans, nous travaillons sur les PFAS », débute Vincent Bouchiat. Pour mieux rappeler que le capteur développé pour analyser la présence de PFAS, et plus particulièrement de PFOA (interdit depuis 2020), est le fruit d'une collaboration entre sa société, le CNRS et l'Université de Savoie Mont-Blanc au sein du laboratoire commun « Fluorograph ».

Il faut dire que le scandale des PFAS monte en puissance depuis deux ans maintenant dans le Rhône. Mi-mars 2023, la Métropole de Lyon annonçait déjà le financement d'une enquête dans la « Vallée de la chimie » pour connaître la pollution industrielle liée aux PFAS ou perfluorés.

Au-delà de cette première étude de la métropole de Lyon, des collectifs de citoyens et des associations se sont également emparés du sujet. Sans oublier les analyses menées par la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes qui a dévoilé de premiers résultats mi-avril 2024. Avec un constat inquiétant, puisque 40% des sites industriels analysés présentent des rejets de PFAS.

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Or, « aujourd'hui, les autorités ont une carte très parcellaire de l'état de la contamination. Il y a encore de nombreuses zones à analyser », estime l'entrepreneur qui pense avoir une carte à jouer pour accélérer le processus.

Car « une analyse d'eau doit être envoyée dans un laboratoire, les résultats nécessitent une semaine d'attente, et elle coûte 400 euros », souligne t-il. Tandis que le test qu'il continue à développer serait dix à vingt fois moins cher et pourrait être réalisé en moins de dix minutes, directement sur le terrain.

Pas question pour autant de se substituer à des analyses plus pointues en laboratoire, même si Grapheal indique une détection des perfluorés en dessous des seuils autorisés par l'Union européenne : « les premiers résultats des tests issus de ces nouveaux capteurs sur la détection dans l'eau d'une des molécules de PFAS les plus communes, le PFOA, ont montré des seuils de détection de l'ordre de 300 ng/L ». Or, la directive européenne sur l'eau potable fixe deux types de seuils à ne pas dépasser s'agissant des valeurs paramétriques des perfluorés dans l'eau de consommation : 100 ng/L pour la somme de 20 PFAS jugés prioritaires par les autorités ou 500 ng/L pour la totalité des PFAS. Et ce, à partir de 2026.

« L'objectif est plutôt d'apporter des solutions qui permettent de dégrossir l'analyse ou de connaître les sites les plus pollués pour ensuite réaliser des analyses en laboratoire. Il s'agit plus d'un guide de prospection et d'analyse terrain », précise Vincent Bouchiat.

Détecter plusieurs PFAS en une seule analyse

Ces premiers résultats, bien qu'encourageants, ne sonnent pas la fin des recherches pour la dizaine de salariés de Grapheal qui reconnaît encore de nombreux défis à relever.

« Nous travaillons sur les autres sous catégories de PFAS pour avoir une cartographie de la contamination et un détail de la participation de chaque composé. Nous n'avons pas encore tout validé bien entendu, il faut rester prudent sur la capacité à faire une analyse complète de terrain », tempère le fondateur de Grapheal.

Les chercheurs se sont intéressés à une liste de 20 PFAS jugés prioritaires par les autorités et cherchent à les rendre détectables par le capteur, indiquent nos confrères de France 3 Régions. Sachant qu'un premier focus a été réalisé sur la famille des PFAO.

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Et les biocapteurs de Grapheal possèdent un atout : pouvoir rassembler sur une même carte quatre à cinq capteurs qui vont chacun cibler des composés différents. « Avec l'avantage du numérique, on peut interpréter tout ça et venir donner un résultat. Par rapport à une bandelette papier où vous avez des codes couleur qui doivent être simples à interpréter, nous pouvons ici jouer sur des mesures plus complexes », ajoute l'entrepreneur.

La société est loin d'être le seul industriel à chercher des solutions pour détecter ces fameux PFAS même si aucune ne mise encore sur le graphène selon Vincent Bouchiat. Il faut dire que le marché, qui pourrait s'étendre aussi à d'autres contaminations comme celles aux bactéries, pourrait se révéler profond.

Prête à franchir le cap de l'industrialisation

Si un travail reste à faire sur l'ergonomie du produit ou encore les seuils de détection, Grapheal est déjà prête à l'étape suivante : l'industrialisation. Elle mène d'ailleurs une levée de fonds afin de réunir 6 millions d'euros et lui permettre de monter une première ligne de production ainsi qu'un outil de production.

Une quête qui se révèle difficile en France, ajoute l'entrepreneur. Les investisseurs nord-européens et américains se montreraient ainsi moins frileux que leurs homologues français à financer une deeptech. Le risque étant, même si rien n'est décidé, de voir partir une partie de la fabrication à l'étranger.

En attendant de réussir ce tour de table, le deuxième pour la société qui a déjà sécurisé 4,5 millions d'euros depuis sa création, les équipes de Grapheal poursuivent leurs recherches sur la pollution de l'eau mais aussi sur les gaz. Elles développent ainsi des capteurs permettant de détecter l'hydrogène en très faible quantité, avant qu'il soit inflammable. Avec comme visée, des mises en place dans des usines de production ou des parkings.

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