Santé : Comment le graphène pourrait devenir le pansement connecté de demain

Issue d’une technologie développée au sein de l’Institut Néel de Grenoble, la jeune pousse Grapheal a remporté il y a quelques semaines le 3e prix du concours national de startups EDF Pulse avec son patch intelligent qui soigne et surveille à distance l’état d’une plaie à risque. La prochaine étape ? Boucler une première levée de fonds en vue de pouvoir lancer une série d’essais cliniques à compter de 2020.
Couche de Graphène qui entre dans la composition du pansement connecté de Grapheal
Couche de Graphène qui entre dans la composition du pansement connecté de Grapheal (Crédits : Wikipedia - Mpfiz)

Un nanomatériau qui pourrait bien demain révolutionner le secteur des plaies chroniques ? C'est en se penchant sur les applications du graphène que Vincent Bouchiat, pdg de Grapheal et ancien chercheur de l'Institut Néel de Grenoble, a découvert les atouts de ce nanomatériau dans le domaine de la santé.

Car si le graphème avait déjà été identifié par l'Union européenne comme l'un des matériaux phares du 21e siècle, ce matériau se destinait jusqu'ici plutôt à des systèmes électroniques flexibles. Il aura fallu une dizaine d'années de travail à l'Institut Néel pour mettre au point une innovation qui s'oriente plutôt vers des applications de santé.

"Nous avions mis au point une technique d'interface entre les cellules vivantes et le graphène qui nous a permis de découvrir les propriétés de biostimulation offertes par ce matériau. Au contact d'équipes médicales, il nous est ensuite venue l'idée d'utiliser ces propriétés pour mesurer l'évolution d'une plaie lors de sa cicatrisation", résume-t-il.

C'est ensuite dans le cadre d'un transfert de technologie depuis le CNRS vers la startup Grapheal, que Vincent Bouchiat a poursuivi le travail avec trois autres chercheurs (Antoine Bourrier, Behnaz Djoharian, et Riadh Othmen).

Avec, à la clé, la création du premier patch intelligent utilisant du graphène, capable de soigner et d'informer à distance l'équipe soignante de l'état de la plaie du patient. Appliqué à la santé, ce matériau revêt en effet plusieurs atouts : biostimulant, il permettrait aux cellules de se régénérer plus vite mais aussi de détecter avec précision des phénomènes biologiques apparaissant lors de la cicatrisation.

De là à lui adjoindre une puce en silicium permettant de "connecter" le dispositif, sous la forme d'un pansement connecté, en vue de retranscrire et de suivre l'état de la plaie, il n'y avait qu'un pas...

"Notre dispositif est composé d'un pansement, équipé de graphène et interfacé avec une électronique à usage unique qui nous permet de communiquer des données à une application smartphone sur l'état de la plaie".

Un premier tour de table

Avec ce système, exit les prélèvements et analyses réalisées sur le patient, en cas de suspicion d'infection. Grâce à une électronique communiquant, à la manière d'un paiement sans contact, certains paramètres physico-chimiques de la plaie à une application mobile, "les professionnels de santé pourraient ainsi recevoir une information en temps réel, sans avoir à ouvrir le pansement, et changer celui-ci de manière plus raisonnée", explique Vincent Bouchiat, tout en rappelant que l'objectif n'est pas de remplacer le travail des infirmières, mais bien de leur fournir un outil supplémentaire.

Selon lui, le pansement connecté serait en effet l'une des briques manquantes dans un contexte d'essor de la télémédecine, afin que les patients puissent retourner plus rapidement chez eux avec un suivi infirmier adapté.

La startup a donc choisi de concentrer son dispositif sur les plaies chroniques, "qui mettent en moyenne six à huit semaines à guérir", à destination des patients diabétiques et des personnes âgées, en raison notamment des enjeux liés ce marché. Chaque année, près de 120 000 patients diabétiques sont en effet admis aux urgences pour des ulcères aux pieds, dont 10 000 ressortent amputés, en raison d'une inflammation chronique empêchant une bonne cicatrisation.

D'après Vincent Bouchiat, son dispositif permettrait non seulement une amélioration de la santé des patients, mais aussi des gains de temps et de places hospitalières, ainsi que des gains financiers pour la Sécurité Sociale, dont les dépenses sur ce volet seraient estimées à près d'un milliard d'euros.

Mais avant de pouvoir espérer un marquage CE, un préalable à toute commercialisation sur le marché européen, Grapheal doit encore mener une série d'essais cliniques sur des patients, une phase déterminante pour laquelle elle anticipe des besoins en financements.

"Une enveloppe globale de 10 millions d'euros environ sera nécessaire pour aller jusqu'à la commercialisation prévue vers 2023. Mais nous ne pourrons pas le faire en une seule fois et prévoyons déjà de réaliser au moins trois tours de table", estime le dirigeant.

Une technologie à visée mondiale

Pour sa première ronde de financement, qu'elle espère compléter d'ici le début de 2020, la jeune pousse étudie différentes possibilités, avec une combinaison de fonds privés et publics.

"Nous avions déjà reçu près de 380 000 € de la part de l'État lors de notre processus de maturation en lien avec la SATT Linksium". Et d'ajouter : "Nous avons déjà réalisé les effets précliniques sur des animaux et nous aurions désormais besoin de pouvoir réaliser des études de cas sur des patients".

Du point de vue de la fabrication, Grapheal dispose déjà d'une ligne pilote en interne et envisage de pouvoir s'associer avec des partenaires externes pour monter en puissance. Avec un avantage de taille : le graphène nécessaire à sa technologie peut être produit en interne, à partir d'un procédé issu de la transformation du méthane, une ressource abondante.

"La technique de synthèse du graphène de qualité médicale fait justement partie du cœur de notre technologie et de nos brevets. Cela nécessite un procédé issu de la micro-électronique", avance son président directeur général.

Selon lui, la startup serait actuellement la seule à travailler sur ce type de technologie :

"Il existe d'autres projets académiques au niveau mondial sur le développement de pansements intelligents, mais aucun à ma connaissance qui n'utilise une solution de graphène".

Un avantage compétitif que Grapheal pourrait bien mettre à profit, avec une mise en marché de son dispositif envisagée d'ici trois ans, directement à l'échelle du continent européen, mais aussi de la Chine et des États-Unis.

"Nous disposons de trois familles de brevets, dont nous possédons la licence exclusive, sur l'ensemble des trois territoires (Europe, USA, Chine)".

Bien qu'il n'exclut d'ailleurs pas de pouvoir, dans un second temps, traiter d'autres types de plaies grâce à son innovation, Vincent Bouchiat rappelle que le premier objectif de la startup reste de réaliser une preuve de son efficacité lors de situations précises et pouvant être caractérisées.

 "La nature de certaines brûlures, qui peuvent être liées à des accidents, fait par exemple qu'il est plus difficile de réaliser des essais cliniques".

Le marché des plaies chroniques toucherait quant à lui près de 2 millions de personnes en France.

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