Téléphérique urbain : après l'avis défavorable de l'enquête publique, quel avenir pour le projet grenoblois ?

Plusieurs décennies après son emblématique téléphérique de la Bastille (à vocation touristique), la Métropole grenobloise aura-t-elle finalement son métrocâble urbain ? Prévu pour relier les communes de Fontaine et Saint-Martin-le-Vinoux en passant par la Presqu'île scientifique grenobloise, ce nouveau mode de transport avait fait l'objet d'un appel d'offres remporté par le transporteur Poma courant 2020. Sauf qu'entre temps, la commission d'enquête publique a rendu fin mars un avis défavorable sur le projet.
Initialement prévue pour 2023, la mise en service de la liaison par câble grenobloise a été décalée en 2024, en raison du Covid. Puis en 2025... Mais à l'issue d'une enquête publique dont les conclusions se sont montrées défavorables, la question est désormais entre les mains du préfet de l'Isère.
Initialement prévue pour 2023, la mise en service de la liaison par câble grenobloise a été décalée en 2024, en raison du Covid. Puis en 2025... Mais à l'issue d'une enquête publique dont les conclusions se sont montrées défavorables, la question est désormais entre les mains du préfet de l'Isère. (Crédits : SMMAG)

Le métrocâble grenoblois, un vieux serpent de mer, verra-t-il réellement le jour ? Le projet de téléphérique urbain, qui a déjà connu plusieurs rebondissements, vient de subir un nouveau revers qui laisse la Métropole grenobloise dans l'expectative.

Lancée sous une première version en 2012 par l'ex-président de la métropole grenobloise, Marc Baïetto, l'idée de relier les communes limitrophes à l'Est et l'Ouest de Grenoble à la Presqu'île scientifique avait déjà subi une série de revers, concernant entre autres son tracé, qui prévoyait initialement une desserte jusqu'au sommet du plateau du Vercors, en vue de favoriser les déplacements pendulaires.

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Après une série d'oppositions provenant de la part des riverains et d'associations environnementales, la nouvelle version du métrocâble grenoblois aura finalement opté pour un tracé essentiellement urbain : avec l'objectif affiché de relier l'une des branches de l'Y grenoblois, comprises entre les communes de Fontaine et de Saint-Martin-le-Vinoux, en survolant des obstacles naturels et urbains comme les voies de l'A480 ainsi que les deux rives du Drac. Le tout, en connectant la Presqu'île grenobloise, qui héberge le campus scientifique et ses 10.000 chercheurs, ainsi qu'un nouvel éco-quartier résidentiel et une ligne de tramway.

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Ce projet comprendrait ainsi 23 pylônes sur 3,5 km de long, pour six arrêts desservis (dont deux arrêts uniquement « techniques ») et un service compris entre 6h à 21h, intégré directement au sein du réseau de transport en commun métropolitain, géré par le Syndicat Mixte des Mobilités de l'Aire Grenobloise (SMMAG). Avec à la clé, un tarif « intégré » et une fréquence de passage estimée à toutes les 73 secondes.

Le coup de massue de l'enquête publique

C'est cette nouvelle copie qui avait été présentée lors du vote du Syndicat des transports en commun de la Métropole Grenobloise (SMMAG) en février 2020, afin d'entériner le choix de l'opérateur Poma pour assurer les travaux et l'exploitation du futur métrocâble. Mais désormais, le projet est directement remis en question. En effet, l'enquête publique, menée du 6 novembre au 21 décembre 2023, s'est traduite par un avis majoritairement défavorable de la commission d'enquête, concernant non seulement la déclaration d'utilité publique, mais aussi sur les autorisations environnementales.

Parmi les reproches de la commission d'enquête : le manque de consensus autour du projet, notamment des communes concernées (les élus de Sassenage s'y opposent depuis le début, la Ville de Grenoble, favorable au départ, a changé d'avis). « Comment un projet si peu consensuel, présenté comme structurant pour les transports en commun du secteur nord-ouest de l'agglomération, a-t-il pu arriver en l'état jusqu'au stade de l'enquête publique ? », se questionne le rapport.

Autres reproches : un projet « bâti sur des hypothèses fausses », la ZAC des Portes du Vercors ayant été abandonnée, avec, en conséquence, une fréquentation incertaine.

Le rapport souligne aussi un « tracé complexe et coûteux ». Ce dernier, très sinueux, augmenterait la consommation énergétique d'un mode de transport (le monocâble) déjà relativement énergivore - en tout cas, davantage qu'un tram. « Le projet envisagé ne peut être ainsi être qualifié de décarboné », tranche la commission d'enquête. Enfin, dernière remarque : elle estime que les solutions alternatives n'ont pas été suffisamment étudiées.

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Un avis qui n'a pas manqué de faire réagir le président de Grenoble Alpes Métropole, Christophe Ferrari. Le 27 mars dernier, au lendemain de la publication du rapport, il estimait dans un communiqué qu'il s'agissait là « clairement [d'] un mauvais coup pour le territoire et ses habitants ». Au passage, il tâcle la procédure, « une forme d'aberration et un temps du papier plus long que celui des travaux » et ajoute : « j'ai parfois le sentiment que les procédures administratives obligatoires et règlements tournent à l'envers ou en tout cas pas ronds. L'exigence démocratique et environnementale, l'exigence de bonne gestion des deniers publics, nécessiteraient à mon sens que ce type d'avis, arrivent beaucoup plus tôt dans la vie d'un projet. Gagnons du temps ! »

Le SMMAG, contacté par La Tribune, pour sa part, se refuse aux commentaires pour le moment. « Nous avons un dossier de 300 pages à analyser, cela prend du temps avant de décider des suites à donner. Rien ne dit que le projet ne sera pas relancé, pour le moment, aucune décision n'a encore été prise. ». Le Syndicat annonce des déclarations dans la deuxième quinzaine de mai.

« Il est temps de se pencher sur les alternatives »

Du côté des opposants au Métrocâble, on savoure, au contraire, le rapport de la commission d'enquête. « Les commissaires enquêteur.ice.s confirment ce que nous nous évertuons à démontrer depuis trois ans maintenant », se félicite le collectif Stop Metrocable sur sa page Facebook. « Il est temps de se pencher dès à présent sur les alternatives », poursuit-il.

Dans un communiqué, l'Association pour le développement des transports en commun (ADTC) « se félicite des conclusions de la commission d'enquête ».

L'association, qui prône le développement des transports publics et des modes actifs, s'est exprimé contre le projet depuis 2015. Elle demande maintenant son abandon et la mise en place de réflexions autour d'autres solutions pour améliorer la desserte de la Presqu'île : création de couloirs de bus, renforcement des bus, prolongement des tramways A et E, nouvelles passerelles et pistes cyclables pour les vélos, etc.

« On en a vraiment besoin », estime le MEDEF

Dans une lettre ouverte, les acteurs du monde économique grenoblois, à l'initiative du Medef de l'Isère et de la CCI de Grenoble, ont quant à eux exprimé leur soutien au projet de Métrocâble, qui a « pour objectif de désenclaver la presqu'île de Grenoble, moteur d'activité de l'agglomération en pleine croissance ». Les signataires appellent donc les élus « à étudier en détails les conclusions de la commission d'enquête, et à poursuivre ce projet structurant pour l'aire grenobloise ».

« On espère que le préfet, qui décide, aura d'autres conclusions », complète Sophie Sidos, présidente du Medef de l'Isère, contactée par La Tribune.

« J'espère qu'il va tenir compte du monde économique. Ce projet, on en a vraiment besoin pour désenclaver la Presqu'île, pour l'attractivité des entreprises. Le secteur a vocation à accueillir plusieurs milliers de personnes supplémentaires, dans un cadre d'infrastructures routières contraint. La seule façon de contourner cette contrainte, c'est le transport par câble. »

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Poma, entreprise locale retenue en 2020 pour réaliser le Métrocâble, espère également que le projet voit le jour.

« Je crois en notre territoire, aux gens qui vivent sur le territoire, pensent à leur futur. A mon avis, le territoire va réagir », a ainsi déclaré Fabien Felli, président du groupe, interrogé par nos confrères du Dauphiné Libéré. « Cet avis me surprend totalement, précise-t-il également. On est sur un projet d'intérêt public. On voit que le câble répond à des besoins de mobilités douces partout dans le monde. Je suis très surpris par la réaction et le constat. C'est un avis de gens qui ne sont pas des experts. »

Contacté par La Tribune également, la société Poma n'avait pas donné suite à nos demandes d'échanges.

Un budget et un calendrier repoussés à plusieurs reprises

Côté budget, le dossier n'a eu de cesse d'évoluer : alors que la version étudiée en 2016 prévoyait un budget compris entre 54 millions d'euros et 60 millions d'euros « en fonction des options », le montant retenu en février 2020 lors de l'attribution de l'appel d'offres à la société iséroise Poma s'établissait finalement à 57 millions d'euros... avant d'être revu à 64,56 millions d'euros hors taxe, dans le dossier remis par le SMMAG au moment de l'enquête publique.

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Du côté de la mise en service aussi, les choses évoluent. Initialement pour 2023, elle a été décalée en 2024, en raison du Covid. Un échéancier d'ores et déjà compris. Dans son dossier de presse, Poma évoque désormais un atterrissage en 2025.

Mais avec l'avis défavorable qui vient d'être émis par la commission d'enquête, c'est la réalisation même de ce métrocâble qui pourrait désormais être remise en question. Le préfet de l'Isère devrait se prononcer prochainement, après étude approfondie du dossier.

Quid d'un abandon du projet ?

En cas d'abandon, une question financière se pose. Selon Christophe Ferrari, plusieurs millions d'euros ont d'ores et déjà été dépensés. Et le marché déjà attribué à l'entreprise iséroise Poma. Si le préfet décide de ne pas donner son feu vert pour le projet, cette dernière pourrait être en mesure de demander une indemnisation.

« Dans ce cas, il s'agit généralement d'une résiliation du marché pour motif d'intérêt général, explique Louis le Foyer de Costil, avocat en droit des marchés publics, contacté par La Tribune. L'entreprise doit être indemnisée à hauteur des prestations déjà réalisées, auxquelles s'ajoute sa marge - ou un montant fixé dans le cadre du marché. »

Sachant que le marché peut être divisé par tranches, avec options à lever, qui limitent alors l'engagement du commanditaire aux volets du projet déjà engagés. Mais quoiqu'il en soit, l'opération ne sera pas neutre pour le territoire grenoblois.

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Commentaire 1
à écrit le 03/05/2024 à 12:56
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Le téléphérique a comme avantage de pouvoir encaisser de fortes différences d'altitude et d'enjamber d'assez larges cours d'eau ainsi que de présenter une cabine aux passagers avec une très bonne fréquence. Ce qui pêche par dessus tout est sa vitess...

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