Avec son Paris-Lyon, Trenitalia fait coup double : il s’installe sur l’open access et scrute (aussi) le marché des TER

Après le lancement d’une première liaison à grande vitesse Paris-Milan via Lyon, place à un direct Paris-Lyon depuis le 5 avril dernier. Et celui-ci devrait rapidement monter en puissance, puisque 5 allers-retours quotidiens sont attendus début juin. L’opérateur italien Trenitalia France (ex-Thello) resserre son emprise sur le marché français, en premier lieu sur le marché de la grande vitesse, dont il espère faire grossir le gâteau, mais aussi sur celui du TER, même si son directeur général admet déjà que les contraintes ne seront pas les mêmes. Avec à la clé, une filiale créée spécifiquement pour assoir ses ambitions hexagonales.
En plus du marché de l'open access, c'est aussi plus indirectement le marché des trains régionaux qui intéresse l'opérateur italien. Nous regarderons également les dossiers qui pourraient nous permettre de créer des synergies avec le réseau grand vitesse , assure Roberto Rinaudo, dg pour Trenitalia France, la nouvelle entité créée par le groupe italien pour conquérir le marché français.
En plus du marché de "l'open access", c'est aussi plus indirectement le marché des trains régionaux qui intéresse l'opérateur italien. "Nous regarderons également les dossiers qui pourraient nous permettre de créer des synergies avec le réseau grand vitesse" , assure Roberto Rinaudo, dg pour Trenitalia France, la nouvelle entité créée par le groupe italien pour conquérir le marché français. (Crédits : Ferrovie dello Stato Italiane)

Il avait commencé ses premiers pas sur le marché français avec deux autres lignes, le train de nuit Paris-Milan-Venise et la liaison Marseille-Nice-Milan, toutes deux suspendues puis finalement arrêtées durant la crise sanitaire. Mais cela, pour mieux se saisir finalement d'un autre segment en plein essor : celui de l'ouverture à la concurrence du marché de la grande vitesse (open access).

Après le lancement d'une première ligne Paris-Milan (via Lyon) en décembre dernier, l'opérateur ferroviaire italien Trenitalia accélère : depuis le 5 avril, il a également inauguré une rotation supplémentaire et directe entre Paris et Lyon, et se prépare à proposer au total pas moins de cinq allers-retours quotidiens entre les deux métropoles françaises à compter de début juin.

Une logique qui vise à se saisir des nouvelles opportunités présentes sur le marché de l'open access pour faire grossir la part du gâteau global, selon le directeur général de Trenitalia France, la nouvelle entité française qui prend la suite de la marque Thello, depuis fin 2021, signe d'un renouvellement de stratégie pour le groupe :

« L'ouverture à la concurrence en Italie a permis de démontrer que l'arrivée de nouveaux opérateurs donne la possibilité d'avoir plus d'offres et de choix et de stimuler la demande, permettant ainsi la croissance du marché ferroviaire. Et c'est avant tout cela notre objectif, et non pas de faire la guerre à la SNCF, mais plutôt d'être complémentaire », assure Roberto Rinaudo.

« Quand l'Italie a enregistré par exemple l'arrivée en 2012 d'un nouvel opérateur sur la ligne principale Rome-Milan, qui est comparable à la ligne Paris-Lyon, le marché a connu en moins de quatre ans une croissance de 90%, le tout assorti d'une augmentation de la qualité de service. L'offre de service plus riche a permis d'inciter plus de voyageurs à prendre le train, plutôt que d'utiliser d'autres moyens de transport », fait-il valoir.

La France, le plus grand marché ferroviaire européen

Et quoi de mieux que de commencer pour cela par une ligne qui présente un double symbole, puisqu'elle incarne à la fois la ligne TGV la plus ancienne de France, mais aussi la plus importante en termes de fréquentation et donc, la plus rentable ?

« La France est un pays stratégique fondamental dans la réalisation d'une stratégie de développement en Europe car il s'agit du plus grand marché ferroviaire européen, en termes de taille après l'Allemagne. De plus, la France est un pays transfrontalier situé près de l'Italie, et donc bien adapté pour développer une offre internationale conjointe entre les deux pays », affirme Roberto Rinaudo.

Objectif affiché : amener de nouvelles clientèles à opter pour le train. Et si à ce sujet, l'exercice pourrait sembler pas encore gagné à première vue, puisque face à l'arrivée de ce nouveau challenger, la SNCF proposait déjà jusqu'ici 24 allers-retours quotidiens, Trenitalia veut jouer sur d'autres atouts : « Bien qu'il y ait aussi eu une baisse de prix en Italie, nous ne sommes pas sur une guerre des prix : le point déterminant sur ce marché est plutôt la perception envoyée aux utilisateurs qu'ils paient un bon rapport qualité-prix par rapport à l'offre proposée », estime Roberto Rinaudo.

Trenitalia a ainsi mis en place un système de quatre classes de confort différentes, pour des tarifs qui démarrent à 23 euros (contre 16 à 26 euros pour son concurrent la SNCF) et qui grimpent ensuite rapidement en fonction du taux de remplissage de ses trains, tandis que sa classe executive, comparable à la business class du transport aérien selon l'opération, profite d'un tarif fixé à 139 euros sur la ligne Paris-Lyon et 165 euros sur la ligne Paris-Milan.

La compagnie italienne assure qu'elle ne vise cependant pas uniquement la classe affaires dans son business model, dont elle se garde encore de partager les projections : « notre objectif, c'est de servir la plus grande partie des voyageurs, qu'il s'agisse de déplacements pour les loisirs, professionnels ou pour les études. »

Après trois mois d'exploitation du Paris-Milan, qui s'arrêtait déjà par Lyon (en plus de desservir d'autres gares alpines comme Chambéry ou Modane), l'opérateur évoque déjà des résultats jugés encourageants : « Nous enregistrons déjà un taux de remplissage moyen de 87%, ce qui n'est pas mal pour une ligne lancée il y a tout juste trois mois ».

Deux années de procédure réglementaire pour un lancement

En contrepartie, l'investissement aura nécessairement été de taille car sur le marché de "l'open access" destiné à la grande vitesse, c'est à l'opérateur d'investir dans sa flotte de trains, et non pas aux collectivités, comme dans le cadre des trains régionaux.

Et à ce sujet, Trenitalia a fait le choix d'acquérir cinq nouveaux trains Grande Vitesse Frecciarossa ("la flèche rouge"), datant de 2014, et qui ont également nécessité des investissements afin d'être homologués pour circuler sur le réseau français. Bien que l'opérateur se garde de communiquer le montant nécessaire, il affirme qu'il est compris à l'intérieur d'un long process d'entrée, ayant lui-même débuté deux années auparavant, par l'obtention d'un certificat de sécurité ferroviaire sur le territoire, l'homologation de ses trains sur le réseau, mais également l'affectation de sillons dédiés à son offre.

Ensuite, comme tout opérateur, il devra s'acquitter des droits d'utilisation du réseau français existant en s'acquittant de « péages » ferroviaires, lors de chaque passage. « Des dispositifs de tarification différenciée ont été prévus par la loi afin que les nouveaux opérateurs puissent bénéficier de réductions de péages de manière transitoire, le temps d'absorber les coûts d'entrée sur un nouveau marché. Et mais cela doit être approuvé par le régulateur et nous attendons à ce sujet un retour définitif de la part de l'ART », glisse la compagnie italienne.

« Le processus de réservation en France est complexe mais surtout, il est relativement long, car il nécessite de pouvoir demander ces sillons au moins deux avant le lancement d'une ligne. Cela se fait aussi en prenant en compte les intérêts des autres opérateurs présents ou attendus sur ce marché, en sachant que le réseau français est déjà particulièrement occupé. Sur le marché italien, il s'agit un peu de la même logique, même si les délais sont un peu plus courts », expose Roberto Rinaudo.

Quant à l'arrivée justement annoncée de son concurrent Renfe, qui a finalement été repoussée d'un an, en raison d'autorisations qui n'ont pas pu être délivrées pour l'heure, quant à la compatibilité de ses rames avec le réseau hexagonal, Trenitalia se montre confiant : « la présence de plusieurs opérateurs viendra encore enrichir le gâteau ». De même que les dispositions de la Loi Climat, qui pourrait permettre de « booster les ventes, tout en confirmant également la détermination du gouvernement français en faveur de la poursuite d'une politique de transition écologique favorisant une offre de transport ferroviaire plus régulière », abonde Roberto Rinaudo.

Utiliser le levier du digital

Côté commercialisation, Trenitalia n'aura pas là non plus la force de frappe de son concurrent SNCF, mais il compte bien surfer sur de nouvelles habitudes d'achat, en proposant une expérience avant tout digitale, associée à deux points d'accueil physiques, l'un à Paris, l'autre à Lyon, ainsi qu'à un réseau des bornes automatiques installées en gare de Lyon Perrache, Lyon-Part-Dieu et Chambéry.

« Nous comptons beaucoup sur les canaux digitaux parce que nous ne pourrions de toute façon pas disposer de la même puissance que l'opérateur historique. Nous devions utiliser le levier du digial », affiche son directeur général France.

Avec en ligne de mire également, le développement de quelques trajets intermédiaires qui pourraient venir compléter son modèle, puisque le Paris-Milan effectuera également deux arrêts en Savoie, à Chambéry et Modane, en passant par Turin également avant de rejoindre son terminus. « Des trajets comme Lyon-Turin ou Lyon-Milan nous paraissent intéressants à proposer, au même titre que Chambéry-Paris par exemple ».

Mais il s'agit également, pour l'italien, de s'offrir, à plus long terme, une position pour se positionner également le marché des TER français, qui vient lui aussi de s'ouvrir à la concurrence.

La question de la taille des lots attribués en suspens

Candidat déçu à la première ouverture actée dans la Région Sud face à Transdev, Trenitalia affirme qu'il se montrera intéressé à participer à d'autres appels d'offres régionaux.

« Mais nous évaluerons les choses au cas par cas. Nous restons très prudents car sur ce marché, c'est avant tout chaque Région qui décide de son cahier des charges, et des caractéristiques en place », reconnaît Roberto Rinaudo.

Et contrairement au marché italien, pourrait se poser entre autres une question de taille, car si de l'autre côté des Alpes, les appels d'offres sont souvent lancés sur la totalité du périmètre régional, ce n'est pas le cas en France, où il peut être découpé en plusieurs lots, comme on a pu le voir avec la Région Sud, qui avait notamment ouvert son appel à candidats sur deux lots différents.

Un choix qui pourrait donc accroître la complexité de gestion des différentes parties prenantes sur un même réseau régional, mais aussi grignoter un peu du volume nécessaire à la rentabilité du marché ferroviaire, où le volume est actuellement nécessaire aux opérateurs.

« On pourrait en effet rencontrer un enjeu de dimensionnement du marché, car le ferroviaire a besoin de grands investissements et de pouvoir réaliser des économies d'échelle, surtout si les régions souhaitent pouvoir renforcer la fréquence de dessertes », glisse Roberto Rinaudo. « Nous regarderons donc également les dossiers qui pourraient nous permettre de créer des synergies avec le réseau grand vitesse ».

Après la région PACA, c'est donc le nom de la Région Auvergne Rhône-Alpes, pas encore officiellement candidate à ce type de renouvellement, qui pourrait donc figurer en haut des priorités de l'opérateur italien, si l'on en croit son premier positionnement sur la ligne TGV Paris-Lyon.

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Commentaires 2
à écrit le 03/05/2022 à 11:08
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La sncf a des efforts culturels économiques à faire c est certain…cependant on bouge pas une boîte biberonnée par l’etat pendant 70 ans et au ca de 37 milliards comme une pme agile… donc attention à ne pas trop déséquilibrer l édifice car l’activi...

à écrit le 02/05/2022 à 13:47
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On a hâte d'entendre nos syndicalistes habitués à défendre leur indéfendable mafia de la Sncf (au détriment d'ailleurs des nombreux honnêtes et majoritaires travailleurs de cette noble entreprise), sur ce sujet ! A coup sûr, on va secouer le chiffo...

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