Ouverture de la concurrence du ferroviaire : Auvergne Rhône-Alpes suivra-t-elle le chemin de la Région Sud ?

DECRYPTAGE. Prévue dans le cadre de la transposition de la réglementation européenne, l'ouverture à la concurrence du marché ferroviaire n’en est encore qu’à ses débuts. Mais elle se traduira, à terme, sur l'ensemble des lignes TER, TGV mais également des liaisons Intercités. Alors que la Région Sud a annoncé, la première, l’attribution d’une concession à Transdev, la prudence semble pour l’heure de mise en Auvergne Rhône-Alpes, où la libéralisation progressive devrait se concrétiser, d’abord, par des arrivées sur le marché des lignes TGV ou Intercités.
En Auvergne Rhône-Alpes, le contrat actuel pour l'exploitation des TER s'échelonne par exemple sur la période 2017-2022. C'est donc surtout à compter de cette date (et plus largement du seuil de décembre 2023 fixé par la loi) que l'obligation d'ouvrir ses appels d'offres à la concurrence va devoir ainsi se traduire en actes.
En Auvergne Rhône-Alpes, le contrat actuel pour l'exploitation des TER s'échelonne par exemple sur la période 2017-2022. C'est donc surtout à compter de cette date (et plus largement du seuil de décembre 2023 fixé par la loi) que l'obligation d'ouvrir ses appels d'offres à la concurrence va devoir ainsi se traduire en actes. (Crédits : Alstom)

Elle peut ressembler à un vieux serpent de mer, et en même temps, à un sujet qui cristallise des inquiétudes tant sociales, qu'économiques et opérationnelles à l'égard de l'opérateur français historique, qu'est la SNCF. L'ouverture à la concurrence du marché du transport ferroviaire, engagée par des réglementations européennes transposées au sein de la loi française depuis 2018, n'est pas nouvelle, mais elle s'approche doucement mais surement de sa gare d'arrivée...

« Les premières libéralisations du secteur ont en réalité d'abord concerné le fret international en 2003, le fret intérieur en 2006, puis le trafic international de voyageurs en 2009. Le trafic national de voyageurs est ouvert depuis fin 2020 et l'Etat ou les Conseils Régionaux peuvent (théoriquement) organiser des appels d'offres depuis fin 2019 », explique Sylvain Touzeau, directeur associé au sein du cabinet de conseil Sia Partners.

Car si la loi fixe ainsi désormais la date butoir de janvier 2021 dans le cas des TGV, et de fin 2023 pour les TER et trains d'équilibres du territoire (TET), dans les faits, certaines Régions ont déjà lancé des appels d'offres, en vue d'anticiper le renouvellement des concessions TER passées sur plusieurs années avec leur opérateur historique, la SNCF.

En Auvergne Rhône-Alpes, le contrat actuel s'échelonne par exemple sur la période 2017-2022. C'est donc surtout à compter de cette date (et plus largement du seuil de décembre 2023 fixé par la loi) que l'obligation de devoir « allotir les lignes TER », et d'ouvrir ses appels d'offres à la concurrence, va devoir ainsi se traduire en actes.

Une convention TER qui prévoyait quelques cas « particuliers »

Car depuis 2002, ce sont bien les Régions qui ont hérité de la gestion des TER, et qui y consacrent un budget estimé à plus de 5,5 milliards d'euros par année. La Région Auvergne Rhône-Alpes y affecte elle-même une enveloppe annuelle de 1,3 milliards d'euros (coûts de fonctionnements), soit un tiers de son enveloppe dédiée aux transports.

Un dossier de taille, qui semble justifier une certaine prudence de la part de l'exécutif régional : alors que le président LR d'Auvergne Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, évoque volontiers l'achat des trains hydrogène ou encore l'amélioration de la ponctualité au sein de sa stratégie ferroviaire pour son second mandat, aucun mot n'est glissé sur la volonté d'ouverture à la concurrence, où la Région semble se montrer réservée pour l'instant. Sollicitée, son exécutif, à travers son vice-président en charge des Transports Frédéric Aguilera, n'a pas retourné nos demandes d'interviews.

Bruno Gazeau, président de la Fédération Nationale des Associations d'Usagers de Transport, traduit que du côté de la Région, il n'existe pas de volonté à voir "à tout prix" une mise en concurrence de la SNCF pour l'heure. « La preuve en est que s'ils avaient voulu le faire, ils auraient pu en partie ». Avant de glisser :

« À ce titre, nous sommes assez d'accords avec l'exécutif régional sur un sujet qui peut s'avérer aussi majeur pour des milliers d'usagers. Il est bon de prendre le temps de penser un cahier des charges qui convienne à la fois au principal financeur qu'est la Région, ainsi qu'aux usagers ».

Car l'actuelle convention TER de la région Auvergne Rhône-Alpes prévoyait déjà, en réalité, une poignée de cas de figures où la collectivité se laissait la possibilité de reprendre la gestion directe, en cours de convention, de certaines lignes.

C'est notamment le cas de lignes strictement routières, dont l'exploitation a été confiée à la SNCF, comme celle de Saint-Gervais - Vallorcine (exploitée en train à voie métrique) ainsi que de trois lignes de l'Ouest lyonnais (Lyon-Saint-Paul/Tassin vers Brignais, Saint-Bel et Lozanne) opérées par un tram-train, presque entièrement dissocié du réseau ferroviaire.

Outre le fait que ces deux dernières lignes soient très spécifiques, « dans la pratique, la Région AuRA a maintenu l'exploitation par la SNCF sur ces deux lignes. On ne peut pas préjuger de ce qui est envisagé dans la future convention TER », observe toutefois Rémi Teston, project manager pour le domaine des Transports au sein du cabinet Sia Partners.

Le symbole de la Région Sud

L'heure ne semble donc pas encore au choix audacieux réalisé par la Région Sud, qui a quant à elle choisi d'afficher haut et fort sa volonté de devenir pionnière en choisissant d'ouvrir à la concurrence 33% de son réseau TER ferroviaire (soumis à une convention TRE jusqu'en 2023), tandis que trois autres Régions (Hauts-de-France, Grand Est et Pays-de-la-Loire) y songeraient également.

Pour la Région Sud, cette ouverture a pris la forme de deux lots, concernant la ligne Marseille - Toulon - Nice (soit 10% du réseau) confiée à Transdev, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations et prévoit notamment l'acquisition de nouveau matériel, la construction d'un nouveau centre de maintenance ainsi qu'une augmentation de l'offre.

Tandis que la seconde ligne concerne l'étoile de Nice (soit 23% du réseau) qui demeurera confié à la SNCF pour 10 ans, à compter de décembre 2024 avec, outre l'exploitation, la construction d'un nouveau centre de maintenance.

« Même si le trafic des lignes visé peut-être important, il n'est pas comparable à ce qui est enregistré en région Auvergne Rhône-Alpes, où nous avons un fonctionnement ferroviaire en étoile qui dessert plusieurs métropoles », nuance Bruno Gazeau.

D'ailleurs, plus que la libéralisation des lignes, la Fnaut rappelle tout l'enjeu que représente l'Étoile ferroviaire lyonnaise dans la gestion de l'accroissement du trafic, et qui se heurte toujours à un manque de consensus politique en matière de financements notamment. « La gestion des flux est déjà très compliquée pour les transports du quotidien, il ne s'agirait pas d'ajouter davantage de complexité ».

Pour Sylvain Touzeau, « ce qui est arrivé en Région Sud demeure un double symbole puisque cela signe à la fois l'arrivée de Transdev, mais également la capacité, démontrée par la SNCF, de gagner un lot de plus importante envergure ».

Les raisons de la prudence

Le président de la Région Sud Renaud Muselier l'indiquait cependant lui-même à la presse à propos de cette ouverture à la concurrence sur l'étoile de Nice, dont il n'a pas caché les défis : "Nous avions plusieurs candidats mais nous avons mis la barre très haut, tellement haut que les autres n'ont pu suivre. Et la SNCF, elle, a pu".

Car dans cette ouverture du marché, les écueils sont nombreux, et connus d'avance : outre la difficulté de devoir gérer la complexité des réseaux et de la multitude d'acteurs qui les empruntent, il s'agit également de parvenir à trouver, pour le nouvel opérateur, la bonne équation économique afin de rentabiliser le service, tout en proposant une plus-value, souvent axée sur un renforcement de la fréquence du nombre de trains annoncés.

Bien que le principal argument commercial de ces nouveaux opérateurs pourrait consister à proposer un renforcement de l'offre, celui-ci dépendra en réalité en premier lieu de la capacité du réseau ferroviaire existant à l'absorber...

Sylvain Touzeau rappelle : « Sur certaines portions du réseau, des limitations de vitesse doivent être imposées en raison de l'état de l'infrastructure. Ainsi, un train, même neuf, ne pourra pas les dépasser tant que l'infrastructure n'aura pas été rénovée. Cela suppose des programmes d'investissement lourds, qui s'étendent parfois plusieurs mois voire années, et qui pendant ce temps, pénalisent les circulations ».

Sur le plan opérationnel également, le partage de certains parcs de matériels, actuellement réalisé en bout de ligne entre plusieurs régions, ainsi que la gestion de l'affectation des quais et des grilles d'horaires, au sein de grandes gares comme Lyon Part-Dieu, ne seront pas sans poser également quelques défis. Sans compter que des décrets clés de la réforme ferroviaire, comme celui concernant la gestion de gares par les régions, ou encore les conditions sociales de transfert du personnel SNCF, peinent également à aboutir.

Distribution, uniformisation tarifaire... de grands chantiers

Autre sujet à l'agenda face à l'arrivée de ce « big bang » pour le réseau ferré : « Il conviendra aussi d'envisager la question de la distribution, qui est déjà multiple », comme le précise Sylvain Touzeau. Aujourd'hui, en effet, plusieurs canaux coexistent (guichets, distributeurs automatiques/bornes, site TER SNCF), sites des Conseils Régionaux, sites des agences de voyage (oui.sncf.com, Trainline, etc).

« A l'avenir, d'autres solutions sont possibles : vente à bord, etc mais cela relève de la décision de chaque Conseil Régional », note Rémi Teston. Avec un impératif : que cette décision ne pénalise pas les voyageurs, « et se traduise notamment par une unification tarifaire », revendique la Fnaut (Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports).

« Car il ne faudrait pas qu'un usager qui prenne deux lignes différentes soit pénalisé en devant utiliser deux canaux différents. Même chose au niveau des politiques tarifaires encadrant par exemple le transport de vélos : on ne peut pas imaginer qu'il soit payant dans un cas et gratuit dans l'autre », avance Bruno Gazeau.

C'est pourquoi, malgré l'ampleur des marchés qui sont appelés à être progressivement ouverts à la concurrence, le challenge sera de taille pour les futurs opérateurs, tout comme pour SNCF Réseau et les Régions concernées. De quoi laisser penser que ce choix prendra plutôt la forme d'une transformation (très) progressive.

Une libéralisation qui passera par d'autres voies ?

En attendant, la question de la libéralisation pourrait suivre son chemin par d'autres voies, à commencer par celles des lignes Intercités, pour lesquelles c'est cette fois l'Etat qui est directement à la manœuvre. Mais là encore, les dossiers demeurent dans les cartons car pour l'heure, seules les lignes Intercités Lyon-Nantes et Nantes-Bordeaux ont été pour l'heure soumises à la concurrence, l'unique candidate ayant une nouvelle fois été la SNCF...

Un projet emblématique sous forme de SCIC, conduit par la SCIC Railcoop, vient par ailleurs d'obtenir sa licence d'exploitation de la part de l'ART (Autorité de Régulation des Transports).

En plus de son projet phare de train Lyon-Bordeaux, qui constitue, en quelque sorte, un Intercités (mais en dehors du périmètre des Trains d'Equilibre du Territoire -TET), cette nouvelle coopérative compte bien se saisir des nouvelles possibilités offertes par la libéralisation du secteur, souhaite notamment exploiter une ligne directe entre Saint-Etienne et Thionville ainsi qu'une autre entre Thionville et Grenoble, via Dijon.

Comme l'indiquait le porte-parole de Railcoop, il s'agit cependant de "venir en complémentarité" et de ne pas "se mettre en concurrence avec la SNCF" sur ce dossier. Mais la SCIC vient d'annoncer cette semaine le report de son projet de six mois, arguant de "retards" accumulés par SNCF Réseau dans la fourniture des créneaux de circulation. "Sur l'ensemble des demandes de circulation formulées, seules 55% ont été pourvues par SNCF Réseau, sous réserve toutefois que Railcoop finance l'ouverture de postes (pourtant réputés ouverts au moment de la construction du service avec SNCF Réseau)", précisait la coopérative.

C'est donc probablement sur le terrain des lignes à grande vitesse (TGV) que l'on pourrait voir circuler, dans un avenir proche, des trains qui ne seraient pas directement exploités par la SNCF.

En région Auvergne Rhône-Alpes, plusieurs opérateurs ont déjà annoncé, au cours des dernières semaines, leur volonté d'entrer sur ce marché à l'échelle régionale, même si la crise sanitaire aura provoqué certains retards.

A commencer par le groupe italien Trenitalia, qui souhaite relancer sa filiale Thello et exploiter à partir d'octobre 2021, un train à grande vitesse Paris-Lyon-Turin et Milan. Soit deux allers-retours quotidiens, qui auront cependant dans un premier temps vocation à « compléter » l'offre TGV Inoui France-Italie de la SNCF, plus qu'ils ne la concurrencent. Son homologue espagnol, la Renfe, s'intéresse aussi pour sa part au trajet entre Lyon et Marseille.

Et Rémi Teston d'ajouter : « bien que l'ouverture à la concurrence signifie nécessairement que l'opérateur historique puisse perdre des parts de marchés, l'exemple allemand démontre que l'opérateur historique a pu conserver 70 à 80 % du réseau des grandes lignes ».

Pour l'heure, la SNCF demeure encore « l'acteur principal du ferroviaire en France », comme le rappelle Sylvain Touzeau, ainsi que « le pilier indispensable à l'entretien et à la sécurité du réseau ferroviaire et des circulations, via la SA SNCF Réseau, mais aussi à l'entretien des gares, en lien avec les collectivités territoriales (Régions, Île-de-France Mobilités) via la filiale SNCF Réseau Gares et Connexions ».

Contactée, SNCF Réseau n'a pas été en mesure de répondre à notre demande dans le délai imparti. Elle précisait néanmoins : "L'ouverture du marché est un processus qui débute et qui peut prendre du temps pour arriver à maturité. Le système est souple et autorise les acteurs à prendre en compte la situation économique et sanitaire pour différer certains de leurs projets".

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Commentaire 1
à écrit le 11/10/2021 à 15:12
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Coquille : "le contrat actuel pour l'exploitation des TER courre par exemple sur la période 2017-2022" sous la photo. Court peut-être (ou "qu'il coure", au subjonctif mais avec un seul r).

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