Législatives 2022 : Haute-Loire, Nord-Isère... "La présence du RN est possible, mais ne pourra pas faire beaucoup plus"

Entretien. Auteur des mots de l’élection présidentielle sous la Ve République, Paul Bacot, professeur émérite de Science politique à l'IEP de Lyon et chercheur au laboratoire Triangle (CNRS/ENS-Lyon), revient sur les enjeux des législatives à venir. A l’heure où la France Insoumise et les Ecologistes annoncent les prémisses d’un accord de la gauche, Paul Bacot énumère les ressorts régionaux des prochaines législatives avec une conviction : si les rangs des soutiens de l’extrême droite ont grossi, seules quelques circonscriptions de Haute-Loire ou du Nord-Isère, où cette formation politique tend à s’implanter plus durablement, seraient directement menacées à l’échelle régionale.
Emmanuel Macron avait en effet gagné avec un concours de circonstances, mais il ne faut pas pour autant en déduire une loi d'évolution immuable, qui acterait nécessairement de la fin des partis politiques, en faveur d'un grand remplacement par des fans-clubs, met en garde Paul Bacot.
"Emmanuel Macron avait en effet gagné avec un concours de circonstances, mais il ne faut pas pour autant en déduire une loi d'évolution immuable, qui acterait nécessairement de la fin des partis politiques, en faveur d'un grand remplacement par des fans-clubs", met en garde Paul Bacot. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Tout d'abord, quels sont les principaux enseignements que vous retirez de ce second tour des présidentielles au sein de la région Auvergne Rhône-Alpes en quelques mots ?

PAUL BACOT - La scène régionale n'a pas connu de très fortes spécificités, si ce n'est une tendance plutôt "macronienne" qui se dégage et se confirme dans l'ensemble, du Nord au Sud. Dans les métropoles et dans les villes, c'est surtout le report, certes partiel, des voix "mélenchonistes" qui ont fait le succès de Macron. On l'a notamment retrouvé sur Lyon et dans un certain nombre de villes, même si cela est moins spectaculaire qu'en 2017. Il semble également que le report des voix écologistes se soit fait, même s'il est difficile d'en avoir la preuve.

Ce second tour a surtout été marqué par l'ascension de l'extrême droite en France, comme en région Auvergne Rhône-Alpes, où le terrain n'était jusqu'alors pas forcément favorable ? Vous évoquiez d'ailleurs vous-même en parallèle une certaine évolution de la notion même des partis politiques durant cette élection, qui se dirigeraient désormais plutôt vers des « fans-clubs »...

On peut difficilement parler d'un électorat d'extrême droite à mon sens, mais plutôt d'un électorat qui s'est rassemblé autour d'une candidate d'extrême-droite.

Nous avons l'habitude d'avoir une définition assez précise des partis politiques, au sein de laquelle figurent notamment des critères de durabilité. Car un parti politique est prévu pour durer au-delà d'une personne, ou d'une élection...

Or, on voit bien que LREM s'est construit dans la perspective de l'élection de 2017 et n'est finalement pas allée au-delà, en ne réussissant pas à s'implanter lors des dernières élections, que ce soit au niveau local, régional ou départemental. C'est la même chose pour la France Insoumise qui demeure tirée par la figure de Jean-Luc Mélenchon, ou encore dans une certaine mesure du RN, même s'il est nécessaire de nuancer sur ce point, car ce dernier ressemble davantage à un parti, mais reste une entreprise familiale.

Existe-t-il pour autant un gros risque d'instabilité sur la scène politique comme cela est pointé par plusieurs observateurs de la scène politique avec un tel fonctionnement ?

Il n'est pas certain pour autant que l'avenir soit désormais tourné vers le remplacement des partis par des mouvements de ce type. Lorsque l'on parle à cette échelle, il faut se référer à la comparaison internationale, où l'on voit par exemple qu'en Allemagne, en Espagne, au Portugal, ou en Angleterre, il y a encore des partis qui correspondent aux traditionnelles forces politiques que l'on connaissait jusqu'ici.

Pourquoi n'est-ce plus le cas en France ? Ceci n'est pas le fait d'une seule raison, mais plutôt de circonstances exceptionnelles, qui ont mené il y a cinq ans à ce phénomène. On l'a déjà résumé par la rencontre d'un homme improbable et d'une conjoncture improbable. On avait pu dire qu'Emmanuel Macron avait en effet gagné "un concours de circonstances", il ne faut donc pas pour autant en déduire une loi d'évolution immuable, qui acterait nécessairement la fin des partis politiques, en faveur d'un grand remplacement par des "fan-clubs".

Vous estimez que la première formation qui pourrait renaître de ses cendres serait plutôt le PS, alors que celui-ci se trouve justement au plus bas ?

Il est vrai qu'il existe un problème de place plus fondamental pour les Républicains, face à Emmanuel Macron qui prend et pourrait prendre encore un peu plus de place dans le centre droit, ne laissant ainsi pas beaucoup d'espace politique aux Républicains pour exister. Il a également pris de la place au centre gauche, et c'est toute l'ambiguïté de sa présidence, qui a été servie également par les circonstances, et notamment le Covid.

Cette crise lui a amené plusieurs choses : la démonstration tout d'abord qu'il pouvait gérer de graves crises, mais aussi le report d'une série de mesures libérales qu'il souhaitait mettre en place en allant vite et qui, s'il avait pu les compléter, aurait sans doute contribué à ramener l'électorat de gauche vers d'autres formations politiques aux présidentielles.

Au lieu de cela, il a mené, durant cette période, l'une des politiques les plus socialistes que la France a eu depuis la guerre, avec une économie somme toute financée par l'État.

Pour autant, les électeurs de gauche reprochent justement, parfois de manière épidermique, son manque de fibre sociale avec des mesures comme la réduction des APL ?

C'est justement l'héritage de sa présidence avant la crise, et s'il avait continué comme cela, la face des présidentielles s'en serait retrouvée probablement changée. La crise Covid a en effet stoppé la défection des voix d'Emmanuel Macron.

Il existe en effet toujours une part de l'électorat socialiste qui a approuvé les actions d'Emmanuel Macron, mais celle-ci est descendue au plus bas au début de son mandat puis est remontée à 40 % durant cette crise...

D'un autre côté, la reconstruction de la scène politique passera par celle de la droite et des Républicains. Mais on a aussi vu, durant l'entre-deux-tours, le président LR de la région Auvergne Rhône-Alpes Laurent Wauquiez affirmer, devant les cadres de son parti, qu'il fallait respecter les sensibilités de l'ensemble des adhérents, en ne donnant pas de consignes de vote...

Si les Républicains veulent se refaire une place, il faut effectivement qu'ils reprennent des électeurs du côté de l'extrême droite et surtout, ne pas brusquer ceux qui sont partis de l'autre côté.

Car il y a probablement davantage à récupérer pour la droite au sein des troupes qui sont parties gonfler l'électorat de Marine Le Pen ou d'Éric Zemmour, que du côté d'Emmanuel Macron. Il s'agit de mener une stratégie de récupération à moyen terme désormais.

Les législatives vont désormais se tenir dans près d'un mois, à la mi-juin : cette élection n'est habituellement pas favorable au Rassemblement national, mais existe-t-il aujourd'hui un vrai risque que certaines circonscriptions ne basculent, à l'échelle régionale notamment ?

Est-ce que nous aurons, lors de la prochaine mandature, des députés RN à notre échelle régionale à l'Assemblée nationale ?

La chose n'est pas évidente, mais elle est possible, notamment dans certains territoires comme la Haute-Loire, où les scores RN se sont révélés. Dans le Nord-Isère également, il existe quelques possibilités. Mais je ne vois pas comment le RN pourrait faire beaucoup plus à l'échelle de la région.

Car nous sommes aujourd'hui dans un système majoritaire qui exige, soit d'être suffisamment implanté pour gagner seul, soit de faire alliance, et cela ne sera pas possible pour le RN.

Du côté de la gauche, on travaille à une alliance la plus large possible - La France Insoumise et les écologistes viennent d'annoncer ce matin une première union, qui demande désormais à être complétée encore par le PS, les communistes et autres forces de gauche-. Est-ce un objectif atteignable, selon vous ?

La gauche va en effet essayer de s'unir, mais le problème, c'est qu'il subsiste toujours de gros points de désaccords entre ses différents partis, mais comme ils ne concernent pas directement les échelons locaux et régionaux, ceux-ci ont jusqu'ici pu s'effacer lors des élections précédentes.

Un certain nombre de coalitions de ce type existent en effet déjà au sein de plusieurs métropoles et villes comme Lyon et pourraient en ce sens faciliter les choses.

Pour autant, alors que les élections locales permettent, à travers des scrutins de listes, d'assurer une plus grande représentativité à tout le monde, ce n'est pas le cas du scrutin uninominal à deux tours, qui rend les choses beaucoup plus difficiles.

Si une union plus large parvenait à se dessiner, reste également à savoir si les troupes suivraient.

Plusieurs avancent l'option d'une forme de cohabitation qui puisse se dégager à l'issue de ces législatives ? Est-ce l'option la plus probable selon vous ?

Je ne suis pas certain car tous les précédents montrent que l'électorat qui se mobilise aux législatives est d'abord celui qui a gagné l'élection présidentielle.

On peut se demander également si la position prise par Jean-Luc Mélenchon, de se poser comme candidat au poste de premier ministre, ne va pas jouer justement dans le sens d'une plus forte mobilisation encore du côté des soutiens d'Emmanuel Macron.

Cette perspective pourrait également avoir un effet négatif à gauche. Car proposer le rassemblement derrière le portrait de Jean-Luc Mélenchon pourrait aussi revenir à agiter le chiffon rouge pour une partie du centre gauche.

Le parti présidentiel a-t-il encore la capacité pour autant d'élargir sa base de soutiens ?

C'est encore possible des deux côtés du centre probablement, et en particulier du côté du PS, où il n'est pas certain qu'une partie des responsables politiques et élus locaux aillent dans le sens d'une coalition avec Jean-Luc Mélenchon. Nous pourrions donc continuer à voir passer des gens dans le camp d'Emmanuel Macron, avec ou sans récompense d'ailleurs au niveau du prochain gouvernement.

Cette stratégie est même encore plus vraie du côté de la droite, où il y a encore une marge de manœuvre que LREM pourrait avoir sur certaines circonscriptions. On va peut-être le voir dans notre région.

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