Présidentielles 2022 : "La France n'est pas fondamentalement d'extrême droite" (Erwan Lecoeur, sociologue)

ENTRETIEN - Sociologue de formation, spécialiste de sujets politiques et sociaux (principalement de l'extrême droite et de l'écologie politique), Erwan Lecoeur est chercheur associé au laboratoire Pacte de Grenoble, mais également proche des milieux écologistes. Chute des partis traditionnels et de EELV, place de l'extrême droite... Il revient sur les premiers enseignements des présidentielles au niveau local et national, avec une conviction : le second tour s'ouvre sur une France plus divisée que jamais et désormais scindée en trois blocs, entre social-écologie, libéral-gestionnaire et populisme identitaire, tandis qu'un "accident politique" est encore possible.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Quelle est votre analyse des résultats de ce premier tour, à l'échelle nationale comme en Auvergne Rhône-Alpes, où le vote global a suivi la tendance de fond malgré quelques disparités sur certains territoires comme le Rhône ou la Métropole et Ville de Lyon ?

ERWAN LECOEUR - Je suis pas étonné car on s'attendait à ces scores, en vertu des sondages annoncés au cours des dernières semaines.

Après avoir longtemps erré dans un écran de fumée médiatique, autour de la candidature de Zemmour, les choses sont redevenues telles qu'il y a un an, c'est-à-dire avec un duel Emmanuel Macron - Marine Le Pen, et un troisième homme qui est devenu le candidat de la social-écologie, si on doit le résumer ainsi.

Car aujourd'hui, il existe bel et bien une France séparée en trois blocs : la social écologie, représentée par Jean-Luc Mélenchon, le bloc libéral-gestionnaire avec Emmanuel Macron, et le bloc populiste identitaire de Marine Le Pen.

Et surtout, ce premier tour signe la mort des deux grands partis historiques que sont LR et le PS, dont les actes de décès ont été définitivement prononcés.

Cette campagne a été marquée par l'émergence de deux candidats de l'extrême-droite dont Marine le Pen et Eric Zemmour, qui est tantôt qualifié de "dindon de la farce", tantôt de "lièvre" de l'extrême droite ?

Éric Zemmour a surtout été le lièvre, car il a couru médiatiquement au-devant de Marine Le Pen, et a ramené des électeurs devenus ensuite disponibles pour elle. Il a été à la fois médiatiquement fort et politiquement et sociologiquement faible, puisqu'il représente l'un des électorats de la famille Le Pen le plus à droite, composé des électeurs traditionnels, catholiques, mais qui ne sont pas en réalité l'électorat majoritaire de l'extrême-droite.

Mais grâce à lui, Marine Le Pen a également réussi à élargir très fortement son audience, en récupérant une partie des abstentionnistes qui ne votaient plus, comme les classes populaires, mais aussi les femmes, les jeunes, et les personnes anti-vax ou qui ont pu être Gilets jaunes.

La stratégie de "dédiabolisation" de Marien le Pen a finalement fonctionné ?

Marine Le Pen a appris et beaucoup travaillé au cours des cinq dernières années, c'est tout de même sa troisième campagne. Elle lui a permis d'apparaître aussi comme plus sympathique, car on constate aujourd'hui que les styles Zemmour, mais aussi Macron, ne sont pas appréciés par la société française.

Sur les trois premiers candidats, chacun a également bénéficié d'une sorte de "vote utile" au sein de son camp. C'est aussi le cas pour Jean-Luc Mélenchon, qui a récupéré ce que la gauche a pu être dans les années 1980, ainsi qu'une partie du vote écologiste.

Dès le départ, plusieurs candidats à gauche ont été incapables de se départager, si bien qu'ils perdent tous, à la fin. Il a notamment manqué quelques voies provenant de Roussel, Hidalgo et Jadot à Jean-Luc Mélenchon pour accéder à un deuxième tour, où tout aurait alors pu être différent.

Ce sont les égos qui ont tué tous les espoirs à gauche, car leurs idées sont au contraire sociologiquement plutôt valorisées. La France n'est pas fondamentalement d'extrême droite, elle est plutôt ouverte, antiraciste, et demande plus de solidarité et d'écologie : pour autant, à la fin, elle vote à droite et à l'extrême droite, ce qui est un paradoxe du fait de la médiocrité politique.

Les écologistes attendaient justement cette présidentielles avec beaucoup d'ambitions : ils ont finalement complètement raté la marche ? A quoi tient cette dégringolade ?

En effet, il y a eu une énorme déception qui tient en particulier au fait qu'il y avait eu, avant cela, les municipales et régionales.

On l'a d'ailleurs bien vu en Auvergne Rhône-Alpes, où des villes avaient massivement voté écologiste à Lyon, Grenoble, Annecy et même Chambéry, faisant de l'écologie une vraie force politique.

Mais là où EELV, mais aussi le PS et LR sont encore des forces locales, qui continuent de gouverner des villes, des régions et des départements, on s'aperçoit que ces partis ne sont plus soutenus à l'échelle nationale, où on leur préfère à ce niveau des mouvements autour d'un leader comme Mélenchon, Macron ou le Pen. Et ce, alors-même que ces camps sont, au contraire, totalement absents au niveau local.

En Auvergne Rhône-Alpes, les scores ont été particulièrement rudes pour EELV car s'ils font un peu mieux qu'à la maille nationale, les écologistes ne franchissent même pas la barre des 10% ?

En effet, on voit surtout Mélenchon qui sort une tête à Grenoble, ou Macron qui revient à Lyon. Mais de ce point de vue, les résultats de la présidentielle ne sont pas une surprise pour les écologistes, qui n'ont jamais réussi à faire un score correct à cette élection et à dépasser un vivier de 1,5 à 2 millions de votants. Ils ne sont pas faits pour ça, et on ne leur fait pas encore suffisamment confiance, au niveau national, sur les thématiques régaliennes et nationales, comme la gestion des frappes et armes nucléaires, la gestion de la police, de l'éducation, ou de la santé...

C'est pourquoi depuis le début, on dit qu'il faut d'abord qu'ils prouvent leur capacité aux municipales et aux régionales.

Grégory Doucet parlait déjà d'un "troisième tour" avec les législatives de juin prochain : cependant, au vu du contexte, et de la déroute financière de EELV qui fait un appel aux dons pour boucler ses frais de campagne, peut-on réellement assister à une remontée des écologistes ?

Les législatives sont en général une catastrophe pour les écologistes, avec un scrutin majoritaire qui ne leur est pas favorable et ne l'a jamais été. Ils n'ont d'ailleurs quasiment jamais eu de député, sauf dans le cas où ils réussissent une alliance avec le Parti socialiste. Mais cette fois, compte-tenu du contexte de ce dernier, rien n'est gagné.

Si bien que si Jean-Luc Mélenchon ne leur fait pas une place, les écologistes n'auront personne avec qui faire alliance pour gagner des députés.

EELV n'est pas un parti taillé pour cela, c'est plutôt une collection d'individus. C'est pourquoi à l'avenir, les écologistes devront faire preuve d'humilité et prouver leur capacité à être réellement rassembleurs, et à parler plus largement qu'à leurs sympathisants, ce qu'ils arrivent déjà faire localement. C'est la même chose aux européennes, où ils sont très clairement su mettre en valeur un programme et des valeurs pro-européennes dont ils ont récolté les fruits.

Mais on a désormais la sensation qu'EELV devrait mourir pour renaître autrement, avec d'autres.

En attendant, face au second tour qui se profile, émerge dès ce dimanche soir une forme de front républicain : va-t-il réellement changera donne ?

Le front républicain est une déclaration de dirigeants qui date du XXe siècle, et même si les dirigeants sont en quelque sorte obligés de le faire, cela aura concrètement assez peu d'effet, car on sent qu'une partie de l'électorat de Jean-Luc Mélenchon va notamment beaucoup s'abstenir. D'ailleurs, ce dernier leur demande très clairement de ne pas voter Le Pen, mais ne leur demande pas non plus de voter Macron.

En fonction du niveau d'abstention, et notamment de si elle devenait massive, Marine Le Pen pourrait être élue ou non... Cela dépendra aussi de l'électorat de gauche, et de s'il accepte de voter contre l'extrême droite une 3e fois, pour "sauver le soldat Macron". De son côté, Marine Le Pen va tenter de faire de ce second tour un référendum anti-Macron et de rassembler plus largement. Tout cela déterminera si l'on pourrait avoir ou non un accident politique le 24 avril prochain.

Quel que soit le résultat, la France pourrait donc ressortir encore plus divisée sur le mandat à venir ?

Oui car si Emmanuel Macron avait jusqu'ici fait l'illusion de la nouveauté au sein du premier mandat, aujourd'hui son programme est connu de tous, et il n'aura pas le même effet. De ce point de vue, la nouveauté se placera plutôt du côté de Marine Le Pen. Les législatives vont donc constituer un réel troisième tour, mais avec d'autres règles.

Lors des législatives, le Rassemblement national pourrait certes encore gagner des voix, mais il ne devrait pas devenir majoritaire à l'Assemblée. Au fond, on ne voit pas très bien quelle majorité pourrait sortir de ces présidentielles, que le second tour couronne Macron ou Le Pen d'ailleurs. Car ni l'un ni l'autre n'aura la majorité avec son propre camp, et devra nécessairement s'appuyer sur la droite ou sur la gauche.

En fonction du résultat du second tour, on pourrait donc s'attendre à une forme de confusion politique encore plus forte, avec une tripartisaion des blocs politiques qui complique tout. D'autant plus que notre système électoral est uniquement majoritaire, il fonctionne à 50 % des voix, plus une. Cela devient absurde car plus aucune démocratie sérieuse ne fonctionne sur cette base, mis à part les États-Unis et le Royaume-Uni.

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Commentaires 2
à écrit le 12/04/2022 à 9:51
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Bonjour, La France veux surtout un changement complet de politique, la droite, la gauche, Macron, s'est du pareil, et depuis 30 ans la France est dans le déclin, économique, écologique, démographique... Le grand remplacer existe , mais ils ne faut ...

à écrit le 11/04/2022 à 15:51
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C'est pour qu'il faut voter Le Pen au deuxième tour, jamais elle n'aura une majorité de député. Si c'est l'autre, on repart pour 5 ans de Playmobil.

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