Eau potable : avec sa tarification solidaire, la Métropole de Lyon veut inciter les gros consommateurs à la sobriété

Un peu plus d'un an après la bascule du traitement de l'eau en régie publique, l'exécutif écologiste de la Métropole de Lyon a mis au vote ce lundi sa proposition de nouvelle grille tarifaire de l'eau potable, qui entrera en vigueur en janvier 2025. Pour la première fois progressive, notamment dans l'objectif de réduire les consommations, cette structuration met aussi en lumière le sujet des coûts de production. Notamment en questionnant, à terme, le modèle économique et réglementaire à l'œuvre en France : celui de « l'eau paie l'eau ».
La proposition de nouvelle tarification de l'eau potable de la Métropole de Lyon instaurerait pour la première fois le principe de progressivité : les 12 premiers mètres cubes deviendraient gratuits, tandis que les plus gros consommateurs (plus de 180 m3 par an) verraient leur facture augmenter.
La proposition de nouvelle tarification de l'eau potable de la Métropole de Lyon instaurerait pour la première fois le principe de progressivité : les 12 premiers mètres cubes deviendraient gratuits, tandis que les plus gros consommateurs (plus de 180 m3 par an) verraient leur facture augmenter. (Crédits : Pixabay / CC)

[Article mis à jour le 11/03/2024 à 13 h 34 avec l'ajout du vote du Conseil et des déclarations de l'opposition métropolitaine. Puis à 17 h 59 concernant l'allocation eau de la Métropole de Grenoble.]

Elle instaurera pour la première fois le principe de progressivité en région lyonnaise : la nouvelle grille tarifaire de l'eau potable, élaborée par la Métropole de Lyon pour 2025, constitue une étape supplémentaire vers l'aboutissement du projet de l'exécutif écologiste en matière de gestion de l'eau potable. Ce, un peu plus d'un an après le passage de la collectivité en régie publique de l'eau, succédant ainsi à Veolia. À l'image de Paris, de Nice ou de Rennes avant elle. Mais aussi de Dunkerque, de Montpellier, ou encore Bordeaux aujourd'hui.

Voté ce lundi matin par le conseil métropolitain, ce nouveau barème - dont les tarifs ne seraient ensuite déterminés qu'en juin prochain par la régie publique - distingue les prix de l'eau en fonction de ses usages et du niveau de consommation.

Ce, en créant trois tranches de tarifs, progressives, pour les particuliers en fonction de leur consommation annuelle d'eau, et quatre pour les professionnels - en plus de l'abonnement annuel (fixé à 48,55 euros en 2024). Notamment afin d'inciter à limiter les usages excessifs, dans l'idée de réduire de 15 % la consommation d'eau de la Métropole de Lyon à horizon 2035.

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Économiquement, cette nouvelle structuration, incitative, trouverait son point d'équilibre dans la redistribution des efforts : une première tranche « vitale », de 12 mètres cubes par an, devient en effet gratuite pour tous. Et sera financée par les plus gros consommateurs, qui utilisent plus de 180 mètres cubes par an, seuil au-delà duquel le prix du mètre cube d'eau sera doublé.

Ce premier niveau, gratuit, représentera « une consommation de 30 litres d'eau par jour, permettant à un foyer de six personnes de boire et de cuisiner pendant un an », ajoute la collectivité, reconnaissant par ailleurs qu'elle ne suffira pas à une consommation d'eau moyenne.

D'où une deuxième tranche, au tarif classique, qui concernera « la très grande majorité des Grand Lyonnais », remarque Anne Grosperrin, vice-présidente déléguée au cycle de l'eau. Et allant cette fois jusqu'à 180 mètres cubes par an. Soit la consommation annuelle d'une famille d'environ six à sept personnes, toujours selon la collectivité.

Seuil au-delà duquel la majoration interviendra l'année prochaine, dans une troisième et dernière tranche, qui concernerait cette fois environ 16.000 foyers, soit 5 % des usagers ; les plus gros consommateurs.

« Attribuer une valeur sociale à l'eau »

Pour les acteurs non domestiques, à savoir les entreprises ou bien les institutions, le tarif de l'eau sera également différencié. La collectivité affirme ainsi vouloir mettre en place un barème « doux », avec un écart de prix de 15 % entre la première et la quatrième tranche.

Sachant que la Métropole ne peut distinguer et prioriser les différents usages non domestiques, « par exemple entre des activités de loisirs et un hôpital », pointe Anne Grosperrin. Mais l'idée reste d'inciter les plus gros acteurs à réduire leur consommation. Ainsi, la quatrième et dernière tranche du barème ne concernerait que 94 compteurs, estime la collectivité : des « grands comptes », dont certains se situent dans la Vallée de la chimie.

« La plupart des grands groupes sont déjà sur ces démarches », ajoute Bruno Bernard à ce propos.

« Notre objectif n'est pas de facturer les tranches supérieures, mais bien la sobriété en eau et la diminution des consommations, ce que font déjà beaucoup d'industriels, qui travaillent à des économies énergétiques et à des économies d'eau », complète le président de la Métropole de Lyon

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L'opposition dépose cinq amendements

Cette nouvelle formule, présentée et votée en assemblée plénière ce lundi, a fait réagir certains conseillers métropolitains, tant sur le fond que sur la forme. Si quatre des groupes d'opposition * ont déclaré collectivement « adhérer » aux objectifs de sobriété sur la ressource en eau, ils ont pour autant relevé une tarification « bien timide sur le plan de la solidarité. Et pas plus cohérente pour inciter à la sobriété », a tancé Emilie Prost (groupe Progressistes et républicains).

« Nous avons été étonnés de voir qu'un monde parallèle travaillait de son côté », a complété Gisèle Coin (Synergies élus et citoyens). Avant d'interroger l'échelonnage du barème : « Le second barème de la grille "non domestique" commence à 180 mètres cubes par an pour les entreprises. Nous avons contacté la chambre des métiers et de l'artisanat. Ainsi, on apprend qu'une boulangerie consomme 350 m3 par an et qu'il en existe 900 dans la métropole ».

« Avec ces chiffres, il est facile de se rendre compte que la consommation des petits commerçants et artisans est au-dessus des 180 m3. L'argument de stabiliser le montant de la facture tombe à plat, pour ne pas dire à l'eau », a poursuivi la conseillère métropolitaine.

Ainsi, les quatre groupes réunis ont déposé cinq amendements, dont deux concernaient une révision des barèmes domestiques et non-domestiques, en les échelonnant davantage et en enlevant la gratuité pour les 12 premiers mètres cubes. En contrepartie, les élus ont suggéré ce lundi une réduction de moitié du prix de l'eau pour les 30 premiers mètres cubes. « Donc une tarification plus juste et plus facile à mettre en place que le virement eau (lire notre encadré) a posteriori », a déclaré Emilie Prost.

De même, ils ont proposé de réduire le prix de la part d'abonnement fixe. « Étant donné que l'abonnement annuel moyen pour un compteur standard des abonnés d'eau Grand Lyon est supérieur à la moyenne nationale ».

Ces amendements ont été rejetés, à midi, par le conseil métropolitain.

* Amendements déposés par les groupes Inventer la Métropole de demain, Les Progressistes et républicains, La Métro positive et Synergies élus et citoyens

« Le prix de l'eau ne pourra pas baisser »

À travers cette nouvelle structure, la collectivité tente en tout cas de greffer l'idée « d'attribuer une valeur sociale à la consommation d'eau », soutient également Anne Grosperrin.

L'élue estime ainsi « qu'un mètre cube d'eau n'égale pas un autre mètre cube d'eau, en fonction de la nature de son usage ».

Pour autant, derrière ce nouveau schéma, ne cache-t-il pas également une tension sur les coûts de production ? Si la collectivité a souhaité reprendre la main sur un service sensible, notamment au regard de l'évolution de la ressource, elle devra aussi trouver un équilibre durable face à une hausse d'abord « circonstancielle » des coûts de l'eau potable.

« Nous avons en effet ressenti une hausse des coûts de l'énergie, mais beaucoup moins que d'autres territoires, parce que nous avons une bonne qualité de l'eau, ne nécessitant pas de traitements », souligne la vice-présidente.

Hausse qui, surtout conjuguée et alignée à l'inflation, s'est traduite entre 2023 et 2024 par une augmentation de +5,14 % de la facture d'eau des Grands Lyonnais, pour se fixer à 3,48 euros TTC (et 1,15 euro HT) le mètre cube d'eau cette année, contre 3,31 euros TTC l'année dernière. Des prix situés dans « la fourchette basse » de la moyenne française, ajoute Anne Grosperrin.

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En parallèle, la collectivité anticipe déjà, comme beaucoup d'autres, des investissements conséquents dans les années à venir. À commencer par le financement de la reprise, cette année, de la plateforme consommateur de Veolia, cette fois en régie publique. Mais aussi d'autres « grands projets », dont « la rénovation de l'usine de secours de La Pape, qui ne permettait jusqu'alors pas de répondre aux besoins en cas de problèmes sur le champ captant ».

« Nous avons aussi engagé un travail sur le schéma directeur d'alimentation en eau potable, qui va permettre d'avoir une vision des investissements à long terme. Il va pour la première fois s'articuler avec ceux des autres collectivités, autour de la Métropole, pour des raisons de vision », ajoute l'élue écologiste.

La Métropole questionne le modèle économique

Car le Grand Lyon réfléchit aussi sur le modèle économique des années à venir, au regard des problématiques structurelles qui s'annoncent : réchauffement climatique affectant la ressource (en qualité et en quantité), modernisation des infrastructures.

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Et si la consommation d'eau des plus gros utilisateurs diminuait dans les années à venir, comme l'entend la collectivité, comment réagirait-elle face à une diminution de ses recettes ?

Auquel cas, il s'agirait « d'ajuster », dépeint Florestan Groult, vice-président de la régie publique de l'eau, tout en portant dès aujourd'hui un « plaidoyer » : celui de questionner le modèle économique et réglementaire actuellement en vigueur en France, à savoir le schéma de « l'eau paie l'eau ». Autrement dit, un financement du traitement de l'eau par les recettes provenant des usagers.

« C'est toute la question de l'équation à trouver, ajoute à ce titre Anne Grosperrin. C'est-à-dire que nous aurons à faire face à de telles problématiques que le prix de l'eau ne pourra pas baisser. Et là, nous touchons du doigt le modèle de « l'eau paie l'eau ». C'est une question soulevée auprès du gouvernement et qui est directement reliée à celle de la solidarité ».

À ce sujet, Lucien Angeletti, co-président de l'association Eau bien commun Métropole, déclare « souscrire » à la position métropolitaine. Ce délégué associatif, qui a participé à l'élaboration de la nouvelle tarification auprès des élus et des services de la Métropole, voit également arriver « à terme, un problème d'équilibre financier ».

« Nous avons un peu de temps devant nous, et de nombreuses possibilités, afin de trouver d'autres moyens que faire uniquement payer le consommateur. D'abord, il faudrait aller récupérer toutes les personnes qui puisent dans la nappe phréatique sans droit, et ce n'est pas négligeable. Mais aussi, beaucoup d'autres acteurs, par exemple industriels ».

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À ce propos, la Métropole dit se rapprocher de plusieurs grandes entreprises du territoire sur les questions de consommation d'abord, dans la continuité du « plan eau » lancé l'année dernière par le gouvernement, et visant lui aussi une diminution de -10 % des prélèvements en 2030.

Une aide sociale à l'eau, déjà expérimentée à Grenoble

Afin d'éviter des écueils pour les foyers précaires, la Métropole de Lyon va accompagner sa nouvelle grille tarifaire d'une aide directe à l'eau potable, qui viendra remplacer l'actuel Fonds social eau : entre 20 et 80 euros seront versés chaque année aux usagers dont la consommation d'eau dépasserait 3 % des revenus, via la CAF, la CARSAT ou la MSA.

Cette aide concernerait environ 115.000 foyers à l'échelle du Grand Lyon, et représenterait environ 4,3 millions d'euros versés par la collectivité, qui s'appuie notamment sur l'expérience de sa voisine Grenoble, précurseur en la matière.

La capitale du Dauphiné met en effet en œuvre depuis 2016 le même type d'aide personnalisée, comprenant trois critères : le revenu du ménage, sa composition (la consommation d'eau est fortement proportionnelle) et le prix de l'eau.

Surtout, ce dispositif est automatique car il s'appuie sur le traitement des données de la CAF. Les bénéficiaires n'ont aucune demande à formuler.

Après avoir commandé une évaluation en 2021, la Métropole de Grenoble a depuis fait évoluer ce service. Notamment afin de « toucher plus de personnes, et notamment des personnes seules », indique la collectivité.

« En modifiant les volumes de consommation retenus et en tenant compte d'un reste à vivre dans le calcul de l'allocation eau, le nombre de bénéficiaires de cette allocation a doublé (passant de 9 000 allocataires à plus de 20 000 avec une aide moyenne de 33 €) », ajoute Grenoble Alpes Métropole.

De même, ce dispositif est aujourd'hui exploré au niveau national, à travers les CAF : chaque commune peut désormais mettre en place une tarification sociale de l'eau.

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Commentaires 6
à écrit le 11/03/2024 à 20:54
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pour une fois une idée assez réaliste ... rare chez les "écolos bobos" .... Mais notre petit Lemaire va nous créer un chèque "spécial eau" .... car on serait surpris de voir qui gaspille le plus l'eau .....il n'y a pas encore eu de sondage "droite-g...

à écrit le 11/03/2024 à 16:04
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Ce qui compte c'est de consommer peu. Des gens qui ont une résidence secondaire paieront peu car étant peu présents. Le plus compliqué est de prévoir un plafond pour familles 'nombreuses' (avec les données de relevés pour les facturations, il doit y ...

à écrit le 11/03/2024 à 13:41
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Globalement le fait de faire payer en tranches est un choix intelligent pout tout type de consommateur quand on veut inciter à l'économie. Mais surtout pas une autre prestation sociale de la CAF nommée "aide sociale à l'eau": les soi-disant plus dé...

le 11/03/2024 à 17:03
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Comme souvent la recherche effrénée du mieux est l’ennemi du bien. La priorité semble plutôt de maîtriser les fuites plutôt que de monter une usine à gaz pour économiser 15 %, enfin en théorie……..

à écrit le 11/03/2024 à 13:15
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Et la baguette de pain "solidaire", bientôt aussi ? Cette démagogie gauchiste est pathotologique...

le 11/03/2024 à 13:46
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seulement pour le pain complet, de qualité. :-) Si on n'a pas de pain, mangeons de la brioche. L'eau a-t-elle un prix ? Celui de sa gestion et purification.

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