JO de Paris 2024 : quand la pénurie de candidats met à l’épreuve les entreprises de sécurité privée

ENQUETE. Si la tension est moins forte en Auvergne-Rhône-Alpes qu’en Ile-de-France, l’inquiétude concernant la capacité du secteur de la sécurité privée à assumer ses missions pendant les Jeux Olympiques est palpable. Dans un contexte de pénurie de candidats, les entreprises titulaires des marchés devront être capables d’aligner, pour chaque match, entre 650 et 950 agents pour le Groupama Stadium à Lyon et entre 300 et 450 pour le stade Geoffroy Guichard à Saint-Etienne. D'autant plus que les JO 2024 s'inscrivent dans un contexte déjà très tendu pour le secteur.
A quelques mois des JO de Paris 2024, qui délocaliseront notamment seize matchs de football à Lyon et Saint-Etienne, la situation s'avère très tendue au sein des entreprises de sécurité privée.
A quelques mois des JO de Paris 2024, qui délocaliseront notamment seize matchs de football à Lyon et Saint-Etienne, la situation s'avère très tendue au sein des entreprises de sécurité privée. (Crédits : Adobe)

Après quatre vagues d'appels d'offres jugées plutôt laborieuses par les organisations professionnelles, le Comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques a confirmé à La Tribune que 100% des 200 marchés afférant à la sécurité privée avaient (enfin) trouvé preneurs cette fin avril. Pour un budget total de 320 millions d'euros.

De quoi lever les inquiétudes exprimées ces dernières semaines ? Inquiétudes allant jusqu'à l'évocation d'une intervention de militaires et forces de l'ordre nationales pour suppléer aux éventuelles défaillances des entreprises de sécurité privée.

« Non », répond sans détour Pierre Brajeux, le président de la Fédération française de la Sécurité Privée. Pour lui, en synthèse, tout n'est pas encore perdu mais rien n'est gagné non plus...

« Attribuer les marchés, c'est un premier pas positif, c'est vrai car il n'était déjà pas certain que ce point soit rempli, tant l'organisation de ces appels d'offres a été peu efficace. En revanche, cela ne veut pas dire que les entreprises de sécurité privée seront finalement en mesure d'assurer leurs engagements. 100% de marchés attribués ne signifie pas 100% d'agents recrutés. La pénurie de candidats se fait cruellement ressentir. Nous sommes dans la dernière ligne droite, c'est maintenant qu'il faut donner un dernier coup d'épaule pour passer le cap en communicant de manière massive ».

Pénurie de candidats

Selon les chiffres fournis par le comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques d'été (COJOP) Paris 2024, un besoin quotidien de 17.000 à 22.000 agents a été évalué pour assurer la sécurité des épreuves.

Les syndicats professionnels (FFSP, Groupement des Entreprises de Sécurité et l'Union Française des Acteurs de compétence en sécurité) ont faire leurs comptes : il manquerait, à date, 8.000 agents de sécurité par jour. Besoin auquel il faudra ajouter, précise Pierre Brajeux, un nombre non négligeable d'agents supplémentaires réclamés par des clients hors sites olympiques, mais en lien avec l'augmentation prévisible de la fréquentation touristique dans les environs : pour la surveillance des transports, des commerces, des hôtels etc.

Une vigilance extrême est donc de mise. Les JO 2024 s'inscrivent en effet dans un contexte déjà très tendu pour le secteur.

Selon la Fédération française de la Sécurité Privée, il manquerait en effet, hors JO, 20.000 agents de sécurité environ en France pour que les entreprises puissent fonctionner en vitesse de croisière. Les 20.000 agents supplémentaires nécessaires, chaque jour, pour les JO viennent ainsi challenger fortement le monde de la sécurité privée qui emploie actuellement environ 180.000 agents.

Pourquoi une telle pénurie ? Selon Cédric Bertet, le président Auvergne Rhône-Alpes du SNEPS-CFTC (syndicat national des employés de la prévention et de la sécurité), il y aurait un avant et un après Covid.

« Après 10 ans d'ancienneté, un agent gagne en moyenne 1.500 euros nets. Nombreux cumulent plusieurs jobs pour gagner un salaire correct. Avec du travail de nuit, les week-ends, les jours fériés. Notre profession est l'une des championnes en nombre de divorces... Il y a eu une prise de conscience avec le Covid, nous avons vu beaucoup de reconversions. Et désormais, on constate que c'est de plus en plus difficile d'attirer des jeunes. France Travail leur paie des formations, mais ils repartent aussi sec».

650 à 950 agents pour le Groupama Stadium et 300 à 450 pour le stade Geoffroy Guichard

Si cette tension sur les effectifs se concentre en Ile-de-France, où se dérouleront la plupart des épreuves des JO 2024, les autres villes accueillant des épreuves doivent aussi jongler avec cette problématique.

C'est le cas de Lyon et Saint-Etienne où se joueront respectivement dix et six matchs de football. Selon les chiffres transmis par le COJOP, les besoins journaliers en agents de sécurité privée sont estimés entre 650 et 950 agents pour le Groupama Stadium à Lyon et entre 300 et 450 pour le stade Geoffroy Guichard à Saint-Etienne.

À Saint-Etienne, ce sont les entreprises Bloom Services, Stand'Up, APR, WeeSure, Dom Sécurité, ABC sécurité et SPI sécurité qui ont été mandatées.

A Lyon, impossible cependant d'obtenir une liste des entreprises retenues. Ni la Préfecture du Rhône, ni le comité d'organisation des Jeux Olympiques, ni l'OL (mandaté en tant qu'organisateur de l'événement sur son stade) n'ont souhaité nous communiquer cette information, nous signalant seulement que l'OL avait activé son « réseau habituel d'entreprises qualifiées dans la gestion de la sécurité événementielle ».

Mais quoi qu'il en soit, les besoins sont avérés. Selon le baromètre Kyu de l'emploi, sur les 7.000 offres d'emploi publiées par le secteur de la sécurité privée entre décembre 2023 et mars 2024 (soit 2,3 fois plus que l'année précédente sur la même période), la deuxième région la plus demandeuse après l'Île-de-France (27% des offres d'emplois à elle seule) était Auvergne-Rhône-Alpes, qui concentrait 14% des offres d'emplois. « Cela représente une augmentation de 28% pour la région lyonnaise et de 8% à Saint-Etienne », analyse Audrey Ferreira, consultante pour le cabinet de conseils et études Kyu Associés.

Dom Sécurité France, par exemple, s'active depuis plusieurs mois. L'entreprise stéphanoise (1.000 collaborateurs dont 250 sur la région stéphanoise ; 30 millions d'euros de chiffre d'affaires) a obtenu deux marchés dans le cadre des JO 2024 : la sécurisation du Kop Nord de Geoffroy Guichard (une cinquantaine d'agents pour chacun des matchs) et la sécurisation des trois hôtels qui hébergeront des équipes officielles (8 agents pour chaque hôtel pour une surveillance 24h/24 du 18 au 31 juillet).

Une dizaine de ces agents devront obligatoirement être des femmes (pour les fouilles du même sexe), un caillou de plus dans la chaussure des recruteurs. Et ce n'est pas propre à Dom Sécurité : les femmes sont globalement largement sous-représentées dans la sécurité privée.

« Nous travaillons sur le sujet des JO depuis que nous avons été officiellement retenus en décembre dernier. Nous n'intervenons plus sur les matchs de l'ASSE mais pour les JO, nous avons décidé de nous positionner : c'est un gage de notoriété et de visibilité pour nous. Mais soyons honnêtes, le recrutement est une problématique importante. Nous allons réussir, comme nous le faisons toujours, mais il ne faut pas nier que c'est complexe. Nous savons que le métier est difficile et qu'il a du mal à séduire», explique Alexis Giry, chef de projet JO pour Dom Sécurité France.

Notons au passage que l'entreprise est l'une des rares à avoir accepté de jouer le jeu de la transparence, parmi les nombreuses organisations sollicitées dans la région, signe probablement de la fébrilité ambiante sur le sujet.

Se démarquer dans un contexte concurrentiel

Alors pour séduire des candidats, Alexis Giry met en avant l'aspect relationnel, le contact humain, et la promesse d'avoir un job d'appoint les week-ends par exemple, le reste de l'année. Il s'appuie aussi sur les forums et les jobs datings spécifiques JO organisés par France Travail. Lors du dernier, mi-avril à Saint-Etienne, il a ainsi pu rencontrer 24 candidats. Un bon score estime-t-il. Mais combien iront jusqu'au bout du chemin avec lui ?

Le chargé de projet JO ne peut s'avancer, il est en effet parfaitement conscient que la concurrence est particulièrement rude actuellement. « Quand nous faisons passer les entretiens, c'est nous qui nous vendons, pas l'inverse... ». Dom Sécurité s'appuiera en sous-traitance, pour un petit volume, notamment sur l'entreprise lyonnaise Vanguard Security.

La problématique se pose un peu différemment pour WeeSure (200 millions d'euros de chiffre d'affaires ; 5.500 salariés en France et 1.200 en Afrique), qui va devoir aligner environ 120 agents pour sécuriser la tribune Faurand de Geoffroy Guichard ainsi que les salons VIP. L'entreprise dispose en effet déjà d'une équipe en charge de la sécurisation des matches de l'ASSE, pour lesquels le calibrage est sensiblement identique.

« WeeSure ne s'est positionnée qu'à Saint-Etienne pour les JO car nous travaillons déjà sur le stade Geoffroy Guichard et nous ne voulions pas laisser notre tribune... C'était stratégique. Et puis, nos agents avaient envie d'y aller. Nous avons un petit avantage : en étant positionnés côté Faurand, nos agents sont du côté de l'entrée/sortie des joueurs et joueuses, c'est intéressant pour eux de pouvoir possiblement les côtoyer de près. Et puis, comme nous avons la sécurisation des salons, nous proposons des vacations de 5h30. Elles sont peut-être un peu plus longues qu'ailleurs et donc plus attractives », avance Sylvain Morel, le directeur adjoint de l'agence stéphanoise de WeeSure.

Une course contre la montre

A ce jour, il se dit plutôt optimiste sur sa capacité à disposer du nombre suffisant d'agent les jours J, mais précise qu'il sera définitivement fixé seulement 15 jours à l'avance.

« Certains peuvent se retirer au dernier moment et nous n'avons pas encore les besoins précis. Nous allons rentrer environ 250 demandes d'accréditations sur la plateforme dédiée, mais cela ne veut certainement pas dire que les 250 seront disponibles ».

En cas de carence, il sait qu'il pourra potentiellement mobiliser des agents dépendant d'autres agences françaises de WeeSure car, quoi qu'il arrive, il n'est pas question de se mettre en position de défaillance sur ce marché.

A Lyon, un sous-traitant d'une entreprise intervenant directement pour les JO (et préférant rester anonyme) travaille depuis un an sur le sujet. Il va devoir mobiliser une soixantaine d'agents. Il a l'habitude de travailler à l'occasion des matchs se jouant au Groupama Stadium mais la demande liée aux JO ajoute une couche supplémentaire d'activité. Sans compter que l'événement a lieu pendant les congés estivaux traditionnels. « Nous sensibilisons nos agents depuis plusieurs mois. Nous savons que nous allons devoir jongler avec les plannings mais cela devrait se passer dans de bonnes conditions ».

Cédric Bertet, le représentant SNEPS-CFTC, est quant à lui beaucoup moins optimiste.

« Globalement, toutes les entreprises de la région sont en recherche d'agents. C'est catastrophique. Les entreprises attributaires des marchés vont, pour la plupart, sous-traiter en partie. Et leurs sous-traitants eux-mêmes vont sous-traiter à leur tour. Je suis très pessimiste pour la suite et je suis inquiet sur la qualité des recrutements et des formations qui pourront être dispensées dans les temps. Je crains fort que l'image de notre métier en prenne un coup au passage ».

Accélération des formations

Pour alimenter en candidats les entreprises de sécurité privée, un travail sur la formation est justement mené depuis l'année dernière, avec la création spécifiquement pour les JO d'un nouveau certificat de qualification professionnelle : le PSGE (Participer aux Activités privées de sécurité des grands événements). Il s'agit d'une formation « light » par rapport à la formation habituelle, à laquelle doivent se soumettre tous les agents pour obtenir leur carte professionnelle (obligatoire à l'exercice de leurs fonctions).

Cette formation accélérée, en trois semaines au lieu de cinq, a été lancée mi 2023 pour faciliter les. Elle autorise les titulaires à travailler dans la sécurité privée pour les cinq prochaines années, mais uniquement sur l'événementiel. Elle est prise en charge financièrement à 100% par France Travail (et est même abondée d'une prime en Région Ile-de-France) et vise les demandeurs d'emploi (en reconversion ou pas) mais aussi les étudiants, les retraités. Bref, tous ceux qui voudraient bien venir renforcer les troupes de la sécurité privée pour les JO (et après).

En Auvergne-Rhône-Alpes, France Travail a financé 600 entrées en formation depuis juillet 2023 (formation événementielle et formation traditionnelle incluses). Au total, en incluant les remises à niveau périodiques obligatoires, 1.500 personnes ont été formées et sont habilitées à exercer le métier d'agent de sécurité (événementiel ou toutes activités).

« Nous travaillons sur la question depuis l'été dernier. Nous avons d'abord exploré notre vivier déjà existant, mais il est vrai qu'il était peu fourni puisque c'est un métier déjà en tension. Nous avons sollicité les personnes qui avaient déjà travaillé dans ce secteur, mais qui avaient perdu leur habilitation. Nous avons formé 200 personnes dans ce cadre et puis, plus globalement, nous avons essayé de mobiliser les demandeurs d'emploi et plus généralement la population. En particulier, les étudiants. Nous avons travaillé sur ce sujet avec le rectorat et le Crous », explique Jacques-Alex Dorliat, directeur régional adjoint des opérations de France Travail en Auvergne Rhône-Alpes.

Parmi ces nouveaux arrivants dans le domaine de la sécurité privée, 200 environ ont été formés à Saint-Etienne par Global Pro Formation, l'un des acteurs importants du secteur en Auvergne-Rhône-Alpes. « Il est certain que depuis l'été dernier, nous assistons à une véritable montée en puissance. Nous avons encore beaucoup de formations en cours, mais c'est la dernière ligne droite. Avec les trois semaines de formation, il ne reste plus beaucoup de temps pour être prêt », conclut Saber Bourezg, le dirigeant de l'organisme de formation. Le compte à rebours est désormais lancé...

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Commentaire 1
à écrit le 14/05/2024 à 10:45
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J'espère que vous parlez des salaires de misères qui parasitent cette profession ! Parce que si les gens ne veulent pas y aller c'est comme pour tout ces méfiés sous valorisés systématiquement et pas parce que les français osnt feignants, les jeunes,...

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