JO d'hiver 2030 : comment le Grand-Bornand veut conjuguer compétitions et manque de neige

Le Grand-Bornand (Haute-Savoie) fait partie des sites retenus par la candidature des Alpes françaises pour l'organisation des Jeux olympiques d'hiver 2030. Déjà en lice pour l'obtention des Championnats du monde de biathlon 2028, la station de basse altitude fait face à l'enjeu du manque de neige. Avec, comme symboles, les images des camions transvasant de la neige de culture vers le stade de ski de fond pour la Coupe du monde de biathlon, en décembre 2022. Qu'en sera-t-il à l'avenir ?
(Crédits : Capture d'écran Résilience Montagne)

Ces images ont fait le tour des écrans l'année passée : des camions, remplis de neige, ont descendu plusieurs jours d'affilée les épingles du Grand-Bornand (Haute-Savoie) en direction des pistes nues du stade de ski de fond, situé à 900 mètres d'altitude. Ce grand transbordement, estimé à 24.000 m3 de neige par les associations écologistes, a eu lieu en amont de la dernière Coupe du monde de biathlon qui se déroulait alors du 12 au 18 décembre 2022. Il visait à maintenir la compétition malgré les températures positives, comme le prévoit le cahier des charges, grâce à une neige, en partie de culture, conservée depuis l'année précédente sous une couche de sciure ou de cendres.

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C'est que l'hiver 2022-2023 a été particulièrement doux et sec, avec des températures supérieures de « 1 à 3 degrés » à la moyenne en décembre dans les Alpes, indique Météo-France. Si l'enjeu du manque de neige se pose depuis de nombreuses années, la saison dernière a traduit, concrètement, ses conséquences pour l'économie touristique et sportive, là où 31 % des stations de sports d'hiver alpines présentent un très haut risque de faible enneigement en 2050, avec un scénario climatique de +2 degrés, selon une étude réalisée par l'INRAE Grenoble et Météo France. La commune du Grand-Bornand, située entre 900 et 1.400 mètres d'altitude, et retenue par la candidature des Alpes françaises aux JO 2030, n'y échappe pas. La station, qui possède des infrastructures homologuées pour les grandes compétitions, est également candidate à l'organisation des Championnats du monde de biathlon 2028-2029.

De la neige de culture pour sécuriser les épreuves

Face au tollé, le maire de la station, André Perrillat-Amédé, avance plusieurs arguments : d'abord, les Mondiaux 2028, comme les Jeux olympiques, auraient lieu « en février », et non en décembre, ce qui signifie sur le papier un enneigement plus favorable. Aussi, l'édile se montre pragmatique : « Il n'y a pas une épreuve de ski, aujourd'hui, où l'on ne fait pas appel à de la neige de culture ou du stockage de neige, appelé "snowfarming" », rappelant que ces infrastructure sont inscrites dans les cahiers des charges des organisations de ski, « notamment pour des questions de sécurisation des épreuves ».

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Sur place, la commune dispose ainsi de plusieurs réserves de neige en altitude, situées à environ 9 kilomètres du stade de ski de fond. Elles consistent à conserver, dans de grands trous, protégés des vents et du soleil, de la neige naturelle d'une année sur l'autre, ou de la neige de culture, artificielle, produite sur place à partir de canons à neige. Les pertes, par évaporation, ne seraient que de 30 % selon plusieurs interlocuteurs. Cette technique est aussi utilisée par le domaine nordique de Confins-La-Clusaz depuis 2016 et le Plateau des Glières depuis 2018.

Grand Bornand stockage neige

35 % de la surface des pistes françaises utilise de la neige de culture

Ici, la polémique concerne non seulement le déplacement de cette neige par camions, mais aussi la création de neige, en grande partie stockée dans ces réserves. Elle nécessite en effet « de l'eau, de l'énergie et du froid », résume Valérie Paumier, présidente de l'association écologiste Résilience Montagne, opposée à ces infrastructures. Il faut en effet 0,5 m3 d'eau et 1 à 3 kWh d'électricité pour produire 1 m3 de neige, indique l'Association nationale des maires de stations de montagne.

La production consiste à pulvériser des microgouttelettes d'eau, qui se transforment en glace au contact du froid. Une eau captée par des retenues collinaires, prenant la forme de lacs, elles aussi situées en altitude et alimentées par du ruissellement gravitaire, « mais surtout, la plupart du temps, par des captages venant des sources et des torrents », dépeint la militante qui dénonce un « détournement » de l'eau. Le Grand-Bornand compte ainsi deux lacs artificiels : celui de la Cour, creusé en 1994 au Chinaillon (57.000m3), et celui du Maroly (300.000 m3), l'un des plus grands lacs artificiels des Alpes. Ceux-ci permettent par ailleurs l'alimentation, si nécessaire, en eau potable.

Au contraire, Jean-Luc Boch, président de l'ANSM, y voit « un cycle de vases communicants » : « On prend l'eau en retenue collinaire, on l'injecte sous enneigeur, sans intrant chimique, puis la neige fond au printemps avant de revenir dans la retenue collinaire et ainsi de suite ». Le maire de La Plagne, en Tarentaise, dresse un tableau où activités touristiques, grands événements et transition écologique s'aligneraient : « La neige de culture utilise déjà de l'électricité décarbonée, c'est ce qu'on veut tous. Idem pour les télésièges, qui sont tous électriques. Nous n'avons que ça en montagne ! »

Une production indispensable au tissu économique actuel

Au total, environ 30 millions de m3 de neige de culture sont produits chaque année, pour recouvrir 35 % de la surface des pistes en France et « sécuriser 120.000 emplois », indique l'ANSM. Jean-Luc Boch aime à rappeler que « les fuites des réseaux d'eau potable représentent, en comparaison, 1,3 milliards de m3 d'eau perdue chaque année en France ». En Auvergne-Rhône-Alpes, la Région soutient par ailleurs la production de neige de culture à des fins de « protection » des activités touristiques. Elle déploie ainsi depuis 2016 son « plan Montagne », doté de 30 millions d'euros, fléchés vers l'enneigement.

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Ces données soulèvent la question de la dépendance du tissu économique, et la direction de sa transition. Dans un article publié dans nos colonnes par le docteur en géographie et aménagement Lucas Berard-Chenu, co-auteur d'une recherche consacrée au déploiement de l'enneigement artificiel dans l'industrie française du ski : « La production de neige a conduit l'industrie des sports d'hiver sur un authentique « sentier de dépendance » : les choix antérieurs d'investir dans cette production et les gains d'enneigements permis par le passé encouragent la poursuite des investissements, en privant d'autres activités des ressources mobilisées, qu'elles soient économiques ou naturelles, comme la ressource en eau ».

Au Grand-Bornand, 50 millions d'euros d'investissements pour les grandes compétitions

Confronté à cet enjeu pour maintenir les grandes compétitions, le Grand-Bornand prévoit ainsi des investissements. La commune, soutenue par le département de la Haute-Savoie et la Région, veut construire un nouveau point de stockage de neige à proximité du site de compétition, afin d'éviter un déplacement par la route.

« Nous avons déjà sur place des réserves de neige qui nous permettent d'organiser ces épreuves. Elles seront complétées, améliorées, pour traiter sur place la mise en œuvre de la neige, si cela est nécessaire, et ne plus avoir recours au transport de neige », décrit André Perrillat-Amédé, maire de la commune par ailleurs labellisée Flocon vert ».

Ce nouveau point de stockage serait complété par d'autres investissements, visant à construire de nouveaux bâtiments modulaires et réversibles au sein du village, « qui seront intégralement utilisés à des fins de service public, et affectés de manière temporaire pour ces grands événements ». Parmi eux : des locaux de services, un PC sécurité, des points d'accueil pour les bénévoles, les équipes, mais aussi un parking intégré. L'ensemble de ces investissements représente « 30 millions d'euros, dont 22 millions d'euros pour les infrastructures du village et le reste pour les aménagements complémentaires du stade, déjà homologué de catégorie A et qui ne nécessite pas de gros travaux. Nous sommes dans la logique de réutilisation des installations existantes, portée par cette candidature », ajoute l'édile. Lors d'une réunion publique organisée en septembre dernier, une enveloppe de 50 millions d'euros était également évoquée, dont 40 millions d'euros pour le Département, comme le rapportent nos confrères de L'Essor Savoyard

« Organiser les premiers JO durables »

Les parties prenantes entendent profiter de ces grands événements pour accompagner la transition écologique des territoires, qui constitue l'un des principaux arguments de la candidature alpine : « organiser les premiers JO durables », comme l'a déclaré Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Décarbonation des transports, rénovation des logements, accessibilité de la montagne, production de neige de culture : « Si nous voulons des Jeux vertueux, qui ont un sens pour la population, il faudra mettre en places des mobilités dites douces, avec des bus à hydrogène, des bus électriques, beaucoup de ferroviaire, de jour comme de nuit pour desservir les territoires et occuper les créneaux disponibles », décrit Jean-Luc Boch.

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Les mobilités sont en effet le principal point noir en termes d'émissions de CO2, là où en montagne, la moitié d'entre elles provient des transports. Parmi les grands enjeux soulevés par la candidature, Laurent Wauquiez a notamment pointé la question des ascenseurs valléens, pour relier plusieurs stations entre elles et éviter l'usage de la voiture. Selon nos informations, le Grand-Bornand pourrait faire partie des sites concernés. Des réflexions sont à l'œuvre avec Annecy, le Département et la Région, autour d'un « schéma directeur des mobilités ». Mais les infrastructures similaires existantes souffrent d'un défaut de remplissage et, structurellement, de rentabilité. « Quelle ligne téléphérique est capable de remplir des centaines de milliers de lits en Tarentaise ? » , questionne Valérie Paumier. Ces infrastructures nécessiteront, selon tous les acteurs, une vision d'ensemble autour de la place de la voiture et du train dans les vallées. Un vaste défi, à réaliser en six ans, si la candidature des Alpes françaises est validée par le Comité international olympique en juillet prochain.

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