Photowatt : et si l’avenir de la filiale d'EDF se jouait en 2023 aux côtés d’une gigafactory ?

ANALYSE. Il avait déjà échappé de justesse par deux fois à une disparition, la première lors du rachat « in extremis par EDF » en 2012 à la barre du Tribunal de commerce sous l’impulsion de l’Etat, et la seconde en 2021, alors que les contours du plan Hercule encourageaient EDF à se dessaisir de cette filiale déficitaire. Mais depuis l’an dernier, l’avenir de Photowatt demeure toujours sous le joug d’une possible cession, qui pourrait cette fois intervenir avec l’appui d’un projet de gigafactory et d’une filière solaire en plein boom, en marge du projet de loi sur l’accélération des ENR. Et sous réserve que le nouveau patron d’EDF, en provenance du voisin Schneider Electric, prenne la mesure du dossier qui l’attend.
(Crédits : DR/Photowatt)

Le ciel n'a jamais semblé aussi dégagé pour la filière solaire. Après plusieurs années de dumping pratiqué sur les prix des approvisionnements mondiaux et une production qui était alors passée quasi entièrement en Asie, la transition énergétique en cours en Europe esquisse le retour à une nouvelle forme de souveraineté pour l'industrie photovoltaïque. Si la filière n'a pas encore bénéficié de son propre plan national, à l'image des batteries, les perspectives de marché désormais au beau fixe et la nécessité de rapatrier une partie de cette production au plus près de son marché promettent de meilleurs jours à la filière française.

Avec en son sein, un fleuron à l'abandon ou presque : l'isérois Photowatt, qui se pose comme l'un des derniers fabricants de wafers de silicium pour la fabrication de modules photovoltaïques. Avec ses 184 salariés, la société se trouve toujours dans le giron d'EDF, mais son avenir fait toujours l'objet de tractations en interne.

Officiellement toujours « ouvert aux discussions et aux partenariats qui pourraient se dégager avec d'autres acteurs », EDF n'a pas oublié sa volonté de se départir de la société, qui n'a jamais réussi à s'intégrer complètement dans l'offre de l'énergéticien.

Rachetée à grands coups d'incitatifs de l'Etat français à la barre du Tribunal de commerce de Lyon, l'actionnaire EDF navigue en effet entre deux eaux puisqu'il continue de développer, via sa filiale EDF-ENR, des projets solaires mais dont les contrats d'approvisionnements sont soumis aux appels à projets de la CRE (Commission de régulation de l'énergie). Et donc au facteur prix, en premier lieu.

Résultat ? Les syndicats de sa filiale Photowatt regrettent en cette fin d'année que leur maison-mère continue d'acheter des panneaux à ses concurrents, le plus souvent asiatiques.

Les discussions sont « toujours ouvertes »

Et malgré l'application d'un critère carbone au sein des appels d'offres de la CRE, qui est venu redonner un élément de compétitivité à la filière européenne, il en faudrait bien plus pour que l'isérois Photowatt se relève d'une décennie de sommeil. « L'intégration de ce critère devrait commencer à se voir dans les appels de la CRE et les livraisons à venir début 2023 », estiment les élus de la CFE-CGC, l'un des trois syndicats de la société iséroise aux côtés de la CGT et de FO.

Mais il n'en reste pas moins que depuis son rachat en 2012, la société demeure en pertes : elle perdrait environ 22 millions d'euros par année selon EDF, pour un chiffre d'affaires qui était estimé à 27,2 millions d'euros en 2020.

Si EDF ne se cache pas de continuer les discussions, les premières négociations ouvertes l'an dernier avec un fabricant de fours industriels, ECM technologies, avaient finalement échoué. Depuis, l'énergéticien a réinjecté, sans bruit, 7,6 millions d'euros en cette fin d'année dans l'outil de Photowatt. Et ce, en plus des 350 millions investis depuis sa reprise en 2012. Objectif : maintenir la compétitivité de l'outil industriel en faisant passer deux de ses fours à un standard du marché actuel (des wafers 210mm²), en vue "d'accompagner les besoins du marché photovoltaïque de demain" en révisant la taille des plaques de silicium qui composent ses panneaux.

Mais cette évolution ne fait pas oublier « un contexte de marché complexe et compétitif, avec une domination par l'Asie qui demeure forte », ni les « difficultés de Photowatt pour retrouver un équilibre économique » pointées par sa maison-mère.

« Nous nous sommes remis au niveau du marché concernant le format de nos modules, mais le fait que nos capacités de production soient limitées à une centaine de mégawatts nous freine pour devenir rentables », répond Émilie Brechbuhl, déléguée syndicale CFE-CGC.

Avec le sentiment nourri, du côté des salariés, par le fait qu'EDF ferait pour l'instant « le dos rond, en attendant que le contexte soit propice à la cession ».

« Lors de sa reprise par EDF, qui avait lancé un grand plan solaire, on pouvait imaginer que Photowatt allait pouvoir en profiter pour monter en charge et changer d'échelle : or, des investissements ont été faits, mais surtout en vue de maintenir les outils de production existants, sans réelle volonté de les développer », observe Damien Callet, chargé d'études économiques au sein du cabinet Xerfi.

Des rapprochements avec des projets de gigafactories

Du côté d'EDF, on martèle que l'heure est toujours à la recherche « de la meilleure solution possible pour Photowatt et ses salariés, ce qui passe par des investissements menés en continu pour qu'il puisse rester dans la course technologique avec des outils de fabrication adaptés, et notamment des modules grands formats », confirme une source proche du dossier, tout en affirmant regretter que « le système de la concurrence européenne n'oblige à rechercher le tarif le plus bas ».

Présentée comme « toujours structurellement déficitaire », le seul salut de Photowatt passerait désormais par une sortie du groupe EDF. « Les solutions de partenariat industriels étudiées rejoignent également des projets de gigafactories qui en seraient un peu le fil rouge. Des discussions sont en cours avec les différents porteurs de projets européens pour essayer de trouver des synergies et voir comment Photowatt pourrait s'intégrer dans la chaîne de valeur des projets », ajoute cette même source.

Parmi les candidats, figurerait le projet Carbon, monté en région lyonnaise par trois associés issus du secteur industriel et énergétique, en vue de développer une gigafactory française de panneaux solaires d'une capacité de 15 gigawatts (GW) en 2030 (et de de 5 GW dès 2025). Avec, à la clé, la création de 2.000 emplois directs, et une (très) ambitieuse enveloppe de 1,3 milliards d'euros à réunir pour un site industriel de 50 à 60 hectares, avec une première levée de fonds en cours et dont les premières données devraient être communiquées début 2023.

« A ce stade, l'équipe regarde attentivement le dossier mais est trop tôt pour en dire davantage », nous confirme à son tour un interlocuteur proche du dossier Carbon, qui rappelle que Photowatt n'est autre que « la plus ancienne entreprise du solaire à l'échelle mondiale. C'est un dossier symbolique et sensible, ce qui fait dire que la manière dont il sera traité pourrait potentiellement dire beaucoup de chose sur l'avenir de la filière pv en France ».

Car avec à la fois ses compétences, mais également ses équipements (machines-outils pour la découpe des wafers en silicium), Photowatt pourrait bien constituer un chainon déterminant dans une filière où les futurs besoins en recrutements et en formation sont jugés importants pour accompagner la transition énergétique en cours.

"Créer les conditions de marché" nécessaires à l'émergence de projets

« En plus d'un acteur comme Photowatt qui demeure emblématique sur la partie des lingots de silicium et de leur découpe, nous avons encore en France une poignée d'acteurs au sein de la filière comme Voltec Solar en Alsace ou Systovi dans les Pays de la Loire, qui ont certes des capacités d'assemblage très limitées par rapport à ce dont disposent les acteurs chinois », illustre Jean-Gabriel Robert, directeur de mission senior au sein du département développement durable du cabinet de conseil EY.

Mais selon lui, l'échelle à laquelle raisonne la filière solaire est désormais européenne, avec le concours d'acteurs allemands comme Wacker pour la production de silicium de qualité solaire ou Meyer Burger pour la production de cellules, ainsi que de l'italien Enel, qui nourrit un projet d'usine de panneaux photovoltaïques épaulé par des financements européens à Catane (Italie).

« L'enjeu n'est pas tant de financer ces nouveaux projets qui peuvent sortir de terre que de créer les conditions de marché. Car les acteurs affirment qu'il existe effectivement des aides disponibles du côté de l'Europe, mais quand on regarde ce qui se fait aux Etats-Unis ou en Inde, ce qui est important est désormais d'avoir des conditions d'exploitation qui soient elles-mêmes durables », reprend Jean-Gabriel Robert.

Avec entre autres, des enjeux de montée en volume et d'automatisation permis par la robotisation, mais aussi le sujet des coûts de l'énergie, en particulier pour les étapes de production de silicium de qualité solaire, où l'électricité peut représenter jusqu'à 20 à 40 % des coûts de production. « Si l'on peut garantir un accès à l'électricité bas carbone, durablement et de manière compétitive, ce sont des éléments qui sont susceptibles de rendre la production en Europe très attractive, y compris pour des acteurs étrangers », ajoute-t-il.

Quid de la stratégie du futur pdg d'EDF ?

Reste à demi-mots la question de transférer tout ou partie de la production pour réaliser les économies d'échelles qui manquent aujourd'hui à Photowatt et qui demeure sur la table. Tout comme celle, moins drastique, de conserver une partie uniquement de la production en interne.

« Qu'une gigafactory sous-traite une petite partie de sa production à un acteur comme Photowatt est une option envisageable. Cela lui permettrait aussi de disposer de compétences qui restent rares dans ce domaine car il ne faut pas oublier qu'une gigafactory est une entreprise qui part souvent de zéro », souligne l'un de nos interlocuteurs.

Une option pas franchement écartée par les syndicats, mais pas soutenue complètement non plus : « les discussions sont ouvertes mais nous ne savons pas avec qui, toujours plutôt dans l'optique d'une cession complète », reprend Barbara Bazer-Bachi, déléguée syndicale CFE-CGC, qui continue de militer plutôt pour un maintien au sein du groupe EDF, « afin de répondre aux besoins à la fois d'EDF ENR pour les grands champs solaires, toitures et ombrières, mais aussi de Green Power basée en Italie ».

« Dans un contexte international peu rassurant, avec des chinois qui continuent d'être leaders sur ce marché et l'essor de l'Inflation Réduction Act et des crédits d'impôts pour financer des installations aux Etats-Unis, on ne voit pas comment l'Europe pourrait se passer d'un acteur comme Photowatt », ajoute Émilie Brechbuhl.

Les représentants des salariés seront attentifs à un autre élément début 2023 : la prise en main du nouveau patron d'EDF, Luc Rémont, qui résonne aussi comme un « local de l'étape », puisqu'il était issu des rangs du grenoblois Schneider Electric.

« Nous sommes en attente d'un positionnement de M. Rémont vis-à-vis de Photowatt, afin de voir si le groupe reste souhaiter dans sa position ou apporter quelque chose de nouveau. Le fait qu'il provienne lui aussi d'une entreprise industrielle française pourrait lui faire prendre la mesure du dossier », souffle un représentant des salariés.

Avec notamment l'espoir que le nouveau pdg d'EDF établisse une feuille de route pour l'énergéticien avec, en filigrane, une « vision globale de l'ensemble de la filière ».

« La prochaine PPE 2024-2028 qui doit venir compléter la programmation 2019-2023 sera également une étape à surveiller. Elle a déjà fixé de nouvelles cibles pour la filière ENR, l'enjeu est plutôt de savoir s'ils seront atteints », avance Damien Callet chez Xerfi.

Avec, comme le rappelle Jean-Gabriel Robert, chez EY, des objectifs actuels qui se situaient jusqu'ici pour la France bien en deça de son voisin allemand par exemple :

« Les objectifs affichés jusqu'ici par la France (à travers le discours du président Emmanuel Macron à Belfort en février dernier, ndlr) tablent sur 100 gigawatts de capacités solaires installées à l'horizon 2050, contre 200 gigawatts annoncés par exemple chez nos voisins allemands à horizon 2030. La programmation actuelle n'a pas encore pris la mesure de la transformation de l'économie à laquelle nous allons assister ».

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