Les craintes se précisent autour de Photowatt. Après l'inquiétude des syndicats, ce sont les collectivités locales qui ont récemment fait montre de leur soutien à l'un des derniers fabricants de modules photovoltaïques en Europe, qui emploie près de 215 salariés sur son site de Bourgoin-Jallieu.
Au cours des dernières semaines, la Région Auvergne Rhône-Alpes ainsi que le conseil municipal de la ville de Bourgoin-Jallieu ont toutes deux voté des motions de soutien à l'industriel auralpin, qui produit encore des plaques de silicium et de modules photovoltaïques en France. Mais pour combien de temps ? Car alors que la crise sanitaire a fait émerger des préoccupations en faveur du retour d'une souveraineté industrielle "à la française", le photovoltaïque, qui n'a pas été identifié comme l'une des priorités stratégiques au sein du plan France relance, crépite.
Affaiblie par la concurrence chinoise, et notamment par la mise à l'arrêt des lois anti-dumping sur les panneaux solaires provenant de Chine par la Commission européenne, la filière française du solaire souffre d'un manque criant de compétitivité, qui se traduit dans les chiffres.
La filiale d'EDF, Photowatt, perdrait ainsi en moyenne 20 millions d'euros par an (22 millions en 2020, 36 millions en 2019). Alors qu'en même temps, la demande augmente et les énergies renouvelables sont identifiées comme appelées à croître au sein du mix énergétique au cours des prochaines années.
Le groupe EDF, qui avait été fortement incité par le gouvernement de l'époque à reprendre l'entreprise à la barre du tribunal de commerce en 2012, serait sur le point de se désengager.
C'est en tous les cas l'alerte lancée par les syndicats : « Nous avons découvert à l'automne dernier qu'EDF ne déposait plus de dossiers d'appel d'offres comprenant les panneaux Photowatt. Et ce, car ils avaient pris la décision de nous fermer, et de passer commande auprès d'autres fournisseurs, principalement asiatiques, alors que nous sommes capables de fournir des panneaux bas carbone », regrettent les élus CFE-CGC.
Si pour l'heure, la production du site de Bourgoin-Jallieu (Nord Isère) se maintient, étant donné la durée des cycles de développement de ce marché -qui conduit les fabricants à observer un décalage de 12 à 24 mois entre la phase d'appels d'offres et la réalisation effective-, les salariés ne cachent plus leurs craintes pour la pérennité du site.
« Entre-temps, nous avons cependant gagné des appels d'offres avec d'autres fournisseurs qu'EDF, qui continuent de nous faire confiance, notamment dans le domaine de l'agrivoltaïque, où les panneaux sont utilisés dans les champs pour produire de l'énergie mais également protéger les récoltes », souligne Barbara Bazer-Bachi, élue CGE-CGC du CSE.
Une filiale structurellement déficitaire ?
Depuis, le groupe EDF a récemment confirmé qu'il étudiait actuellement « la meilleure solution possible » pour Photowatt et ses salariés, à commencer par celle d'un « partenariat industriel » avec d'autres acteurs de la filière.
Tout en rappelant que le groupe a investi, depuis la reprise en 2012, près de 360 millions d'euros, face à une filiale affichée comme « structurellement déficitaire ». Mais il ne confirme pas, pour l'heure, la possibilité d'une cession pure.
Les syndicats ne l'entendent toutefois pas de cette oreille et rappellent qu'un plan de transformation avait en effet été déployé par le groupe EDF en 2018. L'objectif affiché : se départir de l'assemblage en France en vue de le transférer en Chine, tout en maintenant et augmentant les capacités de production de ses plaques de silicium et de ses modules photovoltaïques, afin de gagner en compétitivité.
« Cela représentait une montée en capacité multipliée par huit, avec l'ambition d'atteindre les 500 mégawatts de production annuelle », annoncent les syndicats. Un site, situé à Vaulx-Milieu (Nord-Isère) avait à cette occasion été fermé, faisant tomber les effectifs de 315 à 215 salariés.
Pour autant, les représentants du personnel affirment que ce plan n'a jamais été finalisé, et n'aurait donc jamais pu montrer ses effets : « Seul un quart de ce plan a été réalisé, on ne peut donc pas se prononcer sur un objectif de réduction des pertes alors que les investissements ont été arrêtés depuis près d'un an », estime Barbara Bazer-Bachi.
Dans un contexte marqué par le plan Hercule
"Si l'on abandonne maintenant, c'en est fini du savoir photovoltaïque en France", s'inquiétait pour sa part Emilie Brechbuhl, ingénieure et déléguée syndicale CFE-CGC.
Reste que le contexte de l'énergéticien EDF n'est pas nécessairement favorable à la poursuite de Photowatt : car dans le cadre du plan Hercule, annoncé d'ici 2022, une séparation du groupe est envisagé en deux parties : à savoir un pan « bleu » qui demeurerait contrôlé par l'Etat français comprenant le nucléaire, les actifs hydrauliques et le transport d'électricité (RTE), et un pan « vert » qui deviendrait ainsi ouvert aux capitaux boursiers à hauteur de 35 % (comprenant notamment ses branches Enedis, EDF Renouvelables, Dalkia, etc).
« Nous aurions notre place dans un EDF vert est certain que dans ce cadre, avoir une filiale déficitaire ne semble pas attrayant pour le groupe », tranche un élu syndical.
Portrait d'un possible repreneur
Parmi les pistes évoquées pour Photowatt, figurerait désormais la possibilité d'une reprise par l'un des fournisseurs actuels, le fabricant de fours industriels grenoblois ECM Technologies. Une telle perspective a été confirmée par le maire LR de Bourgoin-Jallieu, Vincent Chriqui, ainsi que par le Comité social et économique (CSE) de l'entreprise.
Les salariés craignent cependant qu'un tel scénario n'impacte l'assise financière du groupe :
« Nous avons de très bonnes relations avec ECM Technologies comme client, mais aura-t-il les reins assez solides pour réaliser les investissements nécessaires dans une filière comme la nôtre ? », s'inquiète Emilie Brechbuhl.
Contacté, le dirigeant de cette PME, qui se positionne comme un « leader mondial de la cémentation basse pression », avec des ventes réalisées pour 80% à l'export, n'a pour l'heure pas pu donner suite à nos demandes d'interviews. Il employait, selon les dernières données communiquées en 2019, 370 collaborateurs pour un chiffre d'affaires de 90 millions d'euros, et figurait parmi les 110 lauréats des « fonds de soutien à la modernisation et à la diversification des filières automobile et aéronautique » de France Relance, pour le développement d'un nouveau four moins polluant et moins énergivore d'ici fin 2021.
Serait-ce suffisant pour assurer la pérennité d'un acteur comme Photowatt, qui emploie lui-même 215 salariés et perdait près de 25 millions par an ?
La PPE, une opportunité pour relancer la filière ?
Car pour assurer une forme de compétitivité avec les panneaux chinois, les syndicats rappellent que leur seul salut demeure celui de la différenciation, qui nécessitera des investissements soutenus en matière de R&D (chiffres : NC).
Ils misent d'ailleurs particulièrement sur le critère du coût carbone, qui doit faire son entrée au cours de la future programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2021-2026, et qui pourrait ainsi redonner un air de compétitivité aux modules solaires français.
« Nous avions développé en interne un matériau (Crystal Advanced) qui a l'avantage de présenter un très faible bilan carbone et permet d'améliorer l'étape la plus énergivore qui se joue lors de la fusion du lingot. Cela devait nous permettre de mieux nous positionner sur le marché français, et notamment sur les appels d'offres de la CRE », explique Emilie Brechbuhl.
La PPE prévoyait également que d'ici 2028, 35,6 à 44,5 gigawatts de photovoltaïque soient installés. « Pour autant, beaucoup d'appels d'offres actuels se basent encore sur le critère du prix, le critère Carbone est encore à contre-courant », regrette Cédric Thuderoz, secrétaire général du syndicat CGT Energie Isère.
Plus largement, les représentants du personnel estiment que le maintien d'une intégration au sein d'un groupe comme EDF « a tout son sens » puisqu'il permet de relier une grande partie de la chaîne du photovoltaïque : à savoir la fabrication des panneaux solaires au sein de Photowatt, celle du développement et de l'installation au sein du groupe EDF... Voire même celle du couplement vers de nouvelles formes de production et stockage, comme celles proposées par le drômois McPhy, dont l'énergéticien français est partenaire.
« Nous pourrions monter des projets conjoints en utilisant les panneaux de Photowatt et la technologie de McPhy, en imaginant des modules bas Carbone et compétitifs sur le marché français », illustre Barbara Bazer-Bachi.
« Il faut réactiver l'écosystème industriel existant : Photowatt est historiquement installé dans le Nord-Isère car il était ainsi à proximité d'un partenaire qui construit des fours pour la technologie silicium, mais également de laboratoires de recherche comme le CEA avec lequel il avait tissé des partenariats jusqu'en 2018, tandis que des acteurs comme STMicroelectronics sont capables de fabriquer des composants, sans oublier la présence d'un pôle numérique sur Lyon qui pourrait contribuer à la relance du photovoltaïque en y associant de l'intelligence artificielle », reprend Cédric Thuderoz.
Un dossier qui se politise
De son côté, le gouvernement français, qui a à nouveau été sollicité sur ce dossier par le biais du ministère de l'Economie, avait d'abord précisé, il y a quelques jours, que l'activité de Photowatt ne constituait pas « le cœur de métier d'EDF », confirmant qu'il privilégierait plutôt « le scénario d'une reprise » pour garantir l'avenir du site.
Pour autant, ce mercredi 31 mars, le sujet s'est même invité au Sénat, où le premier ministre Jean Castex, qui répondait à une question posée par le sénateur écologiste de l'Isère, Guillaume Gontard, a affirmé qu'il avait "sauvé Photowatt" à la suite de sa prise de fonction au sein du gouvernement, alors qu'"EDF voulait s'en séparer".
Une occasion de rappeler, pour le premier ministre, qu'il travaillait avec la Commission Européenne "pour introduire des critères de contenu de production locale dans tous les appels d'offres", mais également plus largement son soutien aux différents projets en cours de développement en France. Dont ceux portés par le français Akuo, mais également le dossier de la fusion entre les ETI françaises Cetih et Alspan-Strub au sein du projet Bélénos, ainsi que celui de REC Solar à Sarreguemines, "pour lequel le gouvernement est pleinement mobilisé et qui va demander beaucoup d'argent public".
Ce projet, qui vise à investir un milliard d'euros et 2.500 emplois pour la construction d'une gigafactory de cellules photovoltaïques en Moselle, vient finalement d'être reporté à fin juin, faute d'un tour de table abouti, qui devait être conduit par le norvégien Rec Solar et des investisseurs chinois.
« Avec le Covid, on a parlé de transition énergétique mais également de gros projets de gigafactory, comme celui du norvégien Rec Solar en Moselle avec des investisseurs chinois... Faut-il vraiment tuer une filière pour en faire émerger une autre ? », se questionnent les représentants CFE-CGC.
Et Cédric Thuderoz d'ajouter : « A l'heure où la pandémie nous a fait repenser la relocalisation de l'industrie et de ses emplois, peut-on réellement se passer d'un acteur majeur du photovoltaïque en France, voire même en Europe ? ».
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