Dix ans de travaux, un budget prévisionnel de 15 milliards d'euros... Le projet du Futur collisionneur circulaire (FCC) est gigantesque, tant scientifiquement que financièrement. Conséquence : c'est aussi un projet de très longue haleine.
Le CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire) - cet organisme créé en 1954 et qui compte aujourd'hui 23 États membres mobilisés autour de sujets liés à la physique fondamentale, à la découverte des constituants et des lois de l'Univers - planche dessus depuis une dizaine d'années. Et si le dossier va à son terme, l'équipement ne serait mis en service qu'en 2045. Au mieux.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? D'un collisionneur de particules haute performance nouvelle génération, se matérialisant par un tunnel circulaire de 91 kilomètres de circonférence, enfoui 200 mètres sous terre et s'étalant entre Genève et Annecy, en passant notamment sous le lac Léman. Le tout, dans l'idée de générer une telle énergie, qu'elle permettrait d'étudier les éléments les plus infimes de la matière. Un intérêt scientifique qui se conjugue désormais à des questions d'acceptabilité.
Un anneau de 91 kilomètres
Si le CERN avait avancé jusqu'ici, plutôt discrètement, sans se heurter à trop d'oppositions, y compris depuis le début de la phase d'étude de faisabilité il y a deux ans, il entre désormais dans la phase plus délicate des concertations et des réunions publiques.
Associations environnementales et riverains se sont récemment emparés du sujet. Avec à la clé des campagnes d'informations et des premiers recours (gracieux pour le moment), déposés il y a quelques semaines. Notamment contre un arrêté préfectoral pris en décembre dernier et autorisant le CERN à réaliser des forages et des carottages sur des espaces publics et privés afin d'évaluer la stabilité des sols.
Car au total, 13 puits d'accès, répartis sur huit sites (dont sept en France), ont été prévus ; parties émergées d'un immense iceberg scientifique. À la clé, des centaines d'emplois et du travail pour de nombreuses entreprises locales du secteur de la construction, mais aussi des services.
Ce projet prendrait la suite du LHC (Large Hadron Collider), cet équipement déjà unique au monde, qui accélère des protons et des ions à une vitesse proche de celle de la lumière.
La suite du « LHC », un anneau de 27 km entre la Suisse et la France
Cet anneau de 27 kilomètres de circonférence, enterré à cent mètres de profondeur entre la Suisse et la France et mis en service en 2008, avait permis en 2012 une avancée scientifique très importante : la découverte du « Boson de Higgs », une particule dont l'existence avait été jusqu'ici seulement supposée, base du modèle standard de la physique des particules.
D'ici deux ans, ce LHC sera arrêté et fera l'objet d'un lifting haut-de-gamme pendant trois ans afin de multiplier par dix ses capacités de collisions.
« Il fonctionnera ensuite pendant une dizaine d'années, puis il arrivera en fin de vie. Nous ne pourrons pas aller au-delà de 25 ans d'utilisation. Le Futur collisionneur circulaire, sur lequel nous travaillons actuellement, prendra ensuite le relais. Il s'agira d'abord d'une machine à électrons, pendant 15 ans, puis d'une machine à protons. La précision des mesures sera multipliée par 100 », explique Arnaud Marsollier, porte-parole du CERN.
Et de rassurer sur le gigantisme de ce projet : « Oui, c'est un très grand défi, un projet sur plusieurs générations de scientifiques probablement, mais le CERN a déjà l'expérience du LHC. Nous avons toutes les compétences nécessaires pour le mener à terme ».
Les travaux pourraient démarrer dès 2033. S'il réussit évidemment à lever tous les freins, notamment celui de l'opposition de certaines associations locales et environnementales.
Interrogations autour de l'impact environnemental du chantier
Ces associations se sont fédérées, fin 2023, d'un côté et de l'autre de la frontière avec la Suisse, au sein du collectif CO-CERNés lancé à l'initiative de l'ONG genevoise Noé21 (Nouvelle Orientation Economique pour le 21e siècle).
Une première réunion d'information a attiré récemment plusieurs dizaines de personnes à Reignier-Esery, en Haute-Savoie. Une pétition a été mise en ligne et a déjà collecté près de 2.500 signatures.
Parmi les motifs d'inquiétude, en premier lieu, figure l'impact environnemental du chantier. « Nous ne remettons pas en cause l'intérêt scientifique du projet, ni la qualité du CERN, introduit Jean-Pierre Burnet, conseiller d'opposition (écologiste) à la mairie d'Allinges (Haute-Savoie) et président de l'ACASS (Actions contre les atteintes au sous-sol), ex « Non au gaz de schiste ». En revanche, ce chantier va avoir des conséquences importantes sur les populations et l'écosystème local ».
« Nous estimons à 20 millions de tonnes les gravats qui seront extraits. Où vont-ils être entreposés ? Cela signifie aussi des rotations importantes de camions. Aussi, les puits d'accès au tunnel nécessitent des plateformes de cinq hectares, tandis qu'ils sont pour l'instant au milieu de champs. Il faudra donc construire des infrastructures, des routes d'accès etc. », s'inquiète l'élu et représentant associatif.
Jean-Pierre Burnet explique également n'avoir appris que « très récemment » l'existence de ce projet de très grande ampleur. « Le CERN a échangé avec les communes concernées, mais il n'y a pas eu d'information à la population. Les riverains sont seulement en train de découvrir ce projet énorme ».
Autre point de méfiance mis en avant par CO-CERNés : la consommation énergétique de l'équipement, qu'il estime à l'équivalent de la consommation annuelle de tout le canton de Berne (Suisse) - plus d'un million d'habitants - alors même « que la sobriété est réclamée à tous ».
« Nous craignons aussi les conséquences sur les ressources en eau, sur les séismes car nous sommes quand même dans une zone exposée », poursuit Jean-Pierre Burnet.
Des inquiétudes qui rejoignent des questions autour des choix de société : « Comment continuer le « business as usual » et la fuite en avant, même au nom de la science et de la recherche fondamentale ? », interrogent ainsi neuf personnalités associatives et politiques, pour certaines membres et élus des partis écologistes français et suisse, dans une tribune au Monde, publiée le 21 mars dernier.
« Plus que jamais, nous sommes toutes et tous concernés par un projet d'une telle ampleur, et plus largement par cette interrogation abyssale : « Où va la science à l'heure de l'urgence climatique absolue ? », poursuivent-elles.
Des réunions publiques pour expliquer le projet
Le CERN, de son côté, ne souhaite pas entrer dans la polémique. Arnaud Marsollier, son porte-parole, assure d'ailleurs que le CERN comprend les inquiétudes et est très engagé dans une démarche de préservation de l'environnement.
« Pour l'évacuation des gravats, nous allons étudier des évacuations par le train ou par les autoroutes afin de limiter les nuisances locales. Nous n'allons certainement pas faire rouler des centaines de camions dans des petits villages ».
Quant à la consommation énergétique, elle sera 1,5 fois supérieure à celle du LHC actuelle, reconnait Arnaud Marsollier, mais alors même que l'équipement sera trois fois plus grand. « Nous étudions comment nous pourrions réutiliser la chaleur fatale générées par nos expériences pour chauffer des quartiers voisins ».
Après avoir avancé discrètement sur son projet, « une étape nécessaire vu le très long terme sur lequel nous nous projetons », le CERN va désormais exposer plus publiquement, et de manière plus détaillée son projet de Futur Collisionneur Circulaire. Des réunions publiques sont prévues tout au long de l'année 2024, elles font d'ailleurs partie intégrante de l'étude de faisabilité. La première se tiendra le 24 avril prochain.
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