Nucléaire : les grands défis d’EDF pour construire les nouveaux EPR2 au Bugey, dans l'Ain

La centrale nucléaire du Bugey, dans l'Ain, pourrait bien accueillir à horizon 2040-2045 l'une des trois premières paires de nouveaux réacteurs nucléaires, de type EPR2. C'est en tout cas le souhait d'EDF et de l'Etat, sur ce site qui dispose déjà de quatre réacteurs de 900 mégawatts (MW) en fonctionnement, ainsi qu'un autre en cours de démantèlement. En visite ce lundi, le ministre délégué à l'industrie et à l'énergie, Roland Lescure, a réaffirmé son soutien au programme, tandis qu'EDF détaillait son premier calendrier, ainsi que les enjeux du site, le seul pour l'instant retenu en bord de fleuve pour accueillir de nouveaux réacteurs.
La centrale nucléaire du Bugey, située dans l'Ain, exploite déjà quatre réacteurs nucléaires : deux en circuit ouvert (sans tours aéroréfrigérantes), et deux autres en circuit fermé (avec deux tours par unité, afin de rejeter une eau moins chaude).
La centrale nucléaire du Bugey, située dans l'Ain, exploite déjà quatre réacteurs nucléaires : deux en circuit ouvert (sans tours aéroréfrigérantes), et deux autres en circuit fermé (avec deux tours par unité, afin de rejeter une eau moins chaude). (Crédits : EDF)

Il s'agit de la deuxième visite ministérielle en moins d'un an... La centrale nucléaire du Bugey, située dans l'Ain, accueillait ce lundi le nouveau ministre délégué à l'énergie et à l'industrie (son portefeuille initial), Roland Lescure, pour sa première visite d'une installation nucléaire depuis son entrée en poste. Mais aussi Luc Rémont, président-directeur général d'EDF. Le tout pour présenter non seulement les étapes à venir mais aussi les enjeux techniques et industriels de la centrale, l'une des plus anciennes de France avec ses quatre réacteurs de plus de quarante ans. Celle-ci « représente à la fois le passé, le présent et l'avenir du nucléaire français », introduisait ainsi le ministre, dont le portefeuille « énergie » est désormais rattaché à Bercy.

Car en plus des quatre réacteurs de 900 MW en exploitation au Bugey, et du démantèlement en cours du tout premier réacteur de la centrale, de type graphite-gaz, le site pourrait bien accueillir l'une des trois premières paires de réacteurs EPR2 à horizon 2040-2045, après Penly (Seine-Maritime) et Gravelines (Nord).

Initié en novembre 2021 par le président de la République lors de son discours à Belfort, ce programme vise à construire dans un premier temps six réacteurs, avec une option portant sur huit autres à horizon 2050 en vue de remplacer les existants. Un rythme de construction « maximal » selon les prédictions de Réseau de transport d'électricité (RTE), qui prévoit d'ailleurs dans son étude « Futurs énergétiques 2050 » (2021) une diminution de la part du nucléaire dans le mix électrique, passant de 61,4 GW aujourd'hui à 50 GW dans son hypothèse la plus haute - comme nous l'expliquions dans cet article.

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Le Bugey produit 40 % de la consommation électrique d'Auvergne-Rhône-Alpes

Ainsi, après avoir été mise en balance plusieurs mois avec le site du Tricastin (Drôme) pour l'obtention du projet, la centrale du Bugey a été identifiée par l'Etat en juillet dernier pour accueillir deux de ces six réacteurs de troisième génération, d'une puissance respective de 1.650 MW. Car le site possède plusieurs « atouts majeurs », relève Gabriel Oblin, directeur du projet EPR2 chez EDF : c'est notamment le cas de sa situation géographique jugée stratégique, car « très bien maillée dans le réseau de transport d'électricité », afin d'alimenter en énergie une partie du grand quart Sud-est de l'Hexagone.

En effet, la centrale produit chaque année l'équivalent de 40% de l'électricité consommée en Auvergne-Rhône-Alpes, et 7% en France. Sachant que la Région est aussi la première productrice d'électricité d'origine nucléaire, qu'elle envoie ensuite vers d'autres collectivités non dotées de centrales de production. D'où la nécessité, selon les concepteurs du programme, de cibler au moins deux de ces nouveaux réacteurs non pas en bord de mer, mais à l'intérieur des terres, en bord de fleuve, afin d'alimenter cette partie du territoire.

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220 hectares en cours d'acquisition

Ce qui amène au deuxième « atout » du site du Bugey selon l'électricien français. Ou plutôt, un second défi : sa source froide. À savoir l'eau prélevée dans le Rhône, qualifiée « de très bonne qualité » par Gabriel Oblin, là où le changement climatique suscite de nombreux enjeux concernant la préservation de la ressource en eau, notamment du Rhône, dont les débits pourraient diminuer de 20 % à horizon 2050 remarque l'Agence de l'eau dans sa dernière étude. Ainsi, la réglementation dispose aujourd'hui que les futurs réacteurs en bord de rivière devront être construits en circuit dit « fermé », avec des tours aéroréfrigérantes afin de prélever moins d'eau (mais une partie sera consommée), et ne pas trop augmenter la température de la partie rejetée. De premières études, dédiées au circuit de refroidissement et à la ressource en eau, devraient débuter au Bugey à l'été 2024 indique le groupe.

D'où, aussi, un calibrage des besoins en foncier largement revu à la hausse par EDF : si la centrale nucléaire actuelle occupe aujourd'hui un espace total de 100 hectares pour ses quatre réacteurs, ses quatre tours, son centre de formation, mais aussi son « magasin » d'uranium neuf et son site d'entreposage des déchets nucléaires, près de 220 autres ha ont été identifiés par le groupe pour le projet EPR2. Et ce, notamment afin d'implanter « une à deux tours aéroréfrigérantes par réacteur, soit deux à quatre nouvelles tours au total », remarque aujourd'hui Gabriel Oblin. Sachant que plusieurs options de génie civil sont envisageables, à la fois en termes de hauteur (donc d'impact paysager), et en matière de dispositifs d'évaporation.

Ces espaces fonciers, situés à quelques centaines de mètres en aval du fleuve, sont aujourd'hui en cours d'acquisition (d'ici à la fin de l'année, précise le groupe).

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Les travaux préparatoires projetés à partir 2027

Côté conception, le modèle de réacteur de type EPR2 serait en tout cas le même sur chacun des trois sites identifiés en France. Et si les premiers « basic design » de l'îlot nucléaire sont en ce moment en voie de finalisation selon EDF, l'étape suivante concerne le lancement d'études détaillées à l'été 2024, afin d'évaluer précisément les variables techniques de ce nouveau réacteur. Le tout, couplé à des questions économiques et territoriales regardées sur chaque site : les entreprises sous-traitantes, les ajustements réglementaires.

Par ailleurs, côté calendrier, l'entreprise entend saisir la Commission nationale du débat public mi-2024 pour organiser au Bugey une première phase consultative a priori en 2025. Ce qui pourrait l'amener, au fil des dépôts de demandes d'autorisations (déclaration d'utilité publique, autorisation environnementale), à un premier feu vert à l'été 2027 pour lancer ses premiers travaux préparatoires.

Ceux-ci, très conséquents, s'étaleraient sur de « longues années ». Car EDF fait face à un autre défi inhérent à la centrale du Bugey : la problématique du sol argileux, « qui n'est pas adapté à la construction des réacteurs », dépeint à nouveau Gabriel Oblin. D'où l'acquisition de nombreux espaces fonciers afin de transférer ces matières sur site, via une rotation des sols :

« Ce sont des travaux de terrassement. Nous voulons que sous l'îlot nucléaire, donc sous le réacteur, le sol soit parfait, ce qui est moins gênant ailleurs. Il s'agit donc de concentrer le terrain adapté sous le bâtiment du réacteur. Pour cela, nous allons progressivement permuter des terres, qui sont plus adaptées à la production nucléaire, avec des terres moins adaptées. Et nous allons, à travers des permutations, sur le site lui-même, recréer un sol, performant, pour construire du nucléaire. L'enjeu, c'est que rien ne sorte, rien ne rentre sur le site pendant cette phase-là », ajoute Gabriel Oblin.

En attendant, les pouvoirs publics locaux, la plupart favorables au projet (département de l'Ain, intercommunalités), s'organisent afin d'articuler l'ensemble des calendriers et des phases réglementaires. Ainsi, plusieurs chantiers administratifs sont lancés, dont la révision du Plan local d'urbanisme (PLU) de la commune de Loyettes, qui accueillerait la centrale, et qui fait déjà l'objet de plusieurs recours.

Le tout, dans l'esprit de l'électricien, pour couler le premier béton des îlots nucléaires entre 2033 et 2034, pour une mise en service « à horizon 2040-2045 ».

Mais un autre élément majeur pourrait s'ajouter au dossier et potentiellement ralentir le processus, donc potentiellement augmenter les coûts : la Compagnie nationale du Rhône lance en ce moment un projet de construction de nouveau et dernier barrage hydroélectrique sur le Rhône, à quelques kilomètres de la centrale nucléaire du Bugey et du site des EPR2. Or, pour l'instant, les études d'EDF ne sont pas calibrées en fonction de cet élément, indique le groupe. Idem du côté de la CNR pour le projet Rhônergia, en ce moment en phase de concertation préalable, jusqu'au 29 février.

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Commentaires 12
à écrit le 21/02/2024 à 9:08
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Mais non. Sachant que la "solution" des énergies du vent et du soleil n'en est pas une (cf. le fiasco allemand), celle du nucléaire pour sauver le climat s'impose. Certes, l'EPR a été conçu de manière trop complexe et confié à des constructeurs qui a...

à écrit le 20/02/2024 à 19:08
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Concentration du risque nucléaire sur le site existant de Saint-Vulbas (1234 hab.) plutôt qu'une dilution du risque sur un site nouveau à La Balme-les-Grottes (1138 hab.) pour une sombre histoire de gros sous (cf. manne financière pour le maire et...

à écrit le 20/02/2024 à 15:08
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On peut toujours critiquer la politique énergétique en Allemagne mais celle de la France risque d'être suicidaire!!!! N'oubliez pas la capacité de l'Allemagne ä transformer ses inconvénients en avantages. La Fédéralisme imposée par les alliiés, la ré...

le 21/02/2024 à 9:02
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L'Allemagne est sortie du nucléaire et doit sortir du charbon : il ne restera que les énergies du vent et du soleil, secourues pour au moins 60 % par des centrales à gaz, car il n'est pas question pour l'Allemagne d'affaiblir son économie, et tant pi...

à écrit le 20/02/2024 à 14:40
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Ce qu'est un EPR 2 n'est toujours pas défini et on commence à construire ? La phase de définition qui devait être définitivement arrêtée en 2023 ne le sera pas non plus en 2024... Les retards commencent déjà à s'accumuler et l'affaire prend le même ...

à écrit le 20/02/2024 à 14:38
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Ce qu'est un EPR 2 n'est toujours pas défini et on commence à construire ? La phase de définition qui devait être définitivement arrêtée en 2023 ne le sera pas non plus en 2024... Les retards commencent déjà à s'accumuler et l'affaire prend le même ...

à écrit le 20/02/2024 à 14:36
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Ce qu'est un EPR 2 n'est toujours pas défini et on commence à construire ? La phase de définition qui devait être définitivement arrêtée en 2023 ne le sera pas non plus en 2024... Les retards commencent déjà à s'accumuler et l'affaire prend le même ...

à écrit le 20/02/2024 à 10:27
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Comme l'epr de flamanville ! c'est certain qu'il faut augmenter les factures si l'on part du principe ou l'on ne dispose plus des compétences que l'on a transféré au chinois par exemple, mais que nous avons du coup un système fonctionnant sur des t...

à écrit le 20/02/2024 à 7:05
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Vu que la gaz Russe est réduit, que le gaz de schiste américain est limité et sa fourniture peu fiable, vu le péril énergétique que connaît l’Allemagne qui voit son industrie entrer dans une décennie de récession, vu les conséquences électorales expl...

le 20/02/2024 à 14:38
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En effet vous ne comprenez pas grand chose, comme tous les dogmatiques afgeofes à 60 ans de mensonges.

à écrit le 20/02/2024 à 4:12
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On n'a pas encore mis le premier EPR en route sur le sol français, et on persiste dans cette filière qui ne fonctionne que dans les pays comme la Chine où les sécurités sont moindre. Revenons plutôt aux anciens réacteurs qui ont fait leurs preuves de...

le 20/02/2024 à 14:40
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Entre temps on a réalisé que nous avons eu beaucoup de chance car ils sont très dangereux, ce qui a motivé L'EPR

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