(Publié le 20/10/2022 à 07:00, actualisé à 16:36)
Un lac artificiel de 148.000 m3 crée la discorde au cœur du massif des Aravis, en Haute-Savoie. A 1.500 mètres d'altitude, à La Clusaz, le projet de retenue collinaire porté par la mairie s'est attiré les foudres de nombreuses associations de sauvegarde de l'environnement, qui réclament la suspension du projet ainsi que des études complémentaires.
La retenue collinaire - qui serait la 5ème construite par la commune, les quatre déjà présentes collectant jusqu'à 270.000 m3 d'eau - est présentée par la municipalité comme une solution aux problèmes liés à la sécheresse sur le territoire.
"Notre sol ne retient pas l'eau. Et ma responsabilité, c'est d'assurer la vie et l'avenir de mon village, en garantissant notamment l'accès à l'eau potable pour les habitants et pour les agriculteurs, mais aussi pour maintenir les emplois, et financer ainsi notre transition", a ainsi déclaré, par communiqué, Didier Thévenet, maire de la Clusaz - qui n'a pas pu se rendre disponible pour répondre à nos questions.
Pendant cinq ans, la mairie a donc mené des études et réalisé une concertation préalable, avec enquête publique, pour ce projet estimé à 10 millions d'euros de travaux.
Le 19 septembre dernier, un arrêté préfectoral de la Préfecture de Haute-Savoie a déclaré le projet d'utilité publique, ouvrant la voie au début des travaux.
En réaction, certaines associations (dont le collectif Extinction Rebellion) ont décidé d'occuper, depuis le 24 septembre dernier, le Bois de la Colombière, créant une "Zone à défendre", baptisée la"CluZAD". Objectif : dénoncer un projet allant à l'encontre du développement durable, destructeur d'un bois et de zones humides.
"L'argument de l'eau potable permet de revendiquer l'intérêt public majeur"
"L'eau potable sert d'alibi au projet, selon nous", dénonce Valérie Paumier, de Résilience Montagne.
Si un tiers de la retenue sera consacrée à l'alimentation de la commune en eau potable, les 98.000 autres m3 ont pour objectif d'augmenter la capacité d'enneigement artificiel de la station. La retenue pourrait ainsi permettre de couvrir 45% du domaine skiable, contre 27% actuellement.
Pour les opposants, il s'agit là de la motivation première de la commune. "En France, l'argument de l'eau potable permet de revendiquer l'intérêt public majeur d'un projet, détaille Corentin Mele, chargé de mission chez France Nature Environnement Haute-Savoie, contacté par la Tribune. Et, de fait, l'intérêt public majeur vaut dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces ou d'espaces protégés. C'est pour cela que le projet de retenue collinaire a été autorisé".
Pourtant, sur le front de l'eau potable, les associations considèrent que toutes les pistes n'ont pas été creusées. "On estime que si l'enjeu du projet, c'était vraiment d'augmenter les ressources en eau potable, il y avait des solutions plus simples ou moins onéreuses et énergivores pour le faire", poursuit Corentin Mele.
Financer la transition écologique
Quoiqu'il en soit, la mairie estime que la neige artificielle est nécessaire à l'économie locale - une activité qui génère 20 millions d'euros sur le territoire, et 2.000 emplois locaux, selon les chiffres de la mairie.
"Ici, les remontées mécaniques appartiennent à notre commune et financent donc la crèche, l'école, les logements sociaux, la mobilité...", explique Didier Thévenet, premier édile de la Clusaz.
La retenue collinaire, en prolongeant les périodes d'ouverture de la station de ski, permettrait selon lui de financer la réflexion pour sortir du tourisme tout-ski. "Nous sommes pleinement mobilisés sur la transition, sur notre diversification, sur notre plan de sobriété", a martelé Didier Thévenet.
D'autres acteurs comme Marie-Louise Donzel-Gonet, vice-présidente du conseil départemental de Haute-Savoie et présidente du syndicat interprofessionnel du reblochon, y voient également une manière de sécuriser l'approvisionnement en eau des agriculteurs face aux changements climatiques à venir.
"On flingue l'imaginaire de la montagne"
Mais du côté des associations de sauvegarde de la montagne, le message a du mal à passer. "Avec cette retenue, on ancre le territoire dans le monde ancien, alors qu'on sait qu'il est fini ! Même les plus hautes stations sont en danger en raison du réchauffement climatique", déplore ainsi Vincent Neirinck, expert de l'association Mountain Wilderness.
"La réponse ne peut pas être technique, il va falloir engager un changement dans les modalités de vie ! Jusqu'à quand va-t-on trouver ça fun de skier sur une bande de glace gelée avant 10 heures et liquide à partir de 10h02 ? On flingue l'imaginaire de la montagne ! Ce n'est pas de la neige en boîte. Est-ce que cela n'aurait pas plus de sens d'attirer les personnes sur les fondamentaux de la montagne plutôt ? Les espaces naturels ?"
Alors que les projets de retenues d'eau se multiplient dans les Alpes (Mountain Wilderness en dénombre une quarantaine en 2021 rien qu'en Savoie et en Haute-Savoie), l'association appelle à davantage de débats publics et de concertation, et surtout, au développement d'une vision globale et de long terme.
La tension sur ce dossier est même montée d'un cran il y a quelques jours, alors qu'un adjoint écologiste au maire d'Annecy, Guillaume Tatu, a annoncé avoir reçu des menaces de mort après avoir marqué son opposition à ce projet sur les réseaux sociaux.
Un recours en référé ce jeudi
De leur côté, l'association Mountain Wilderness, accompagnée par d'autres comme France Nature Environnement Haute-Savoie, ont choisi de se tourner vers la justice pour tenter de faire stopper le projet de retenue collinaire de la Clusaz. Une audience en référé doit donc se tenir ce jeudi 20 octobre au tribunal administratif de Grenoble. Objectif : déterminer si les travaux prévus pourront débuter ou non. La décision ne devrait cependant pas être connue avant mardi prochain.
Inquiets des menaces que la construction de la retenue collinaire pourrait faire peser sur un environnement fragile, une zone située près de la tourbière de Beauregard et classée Natura 2000 alors qu'elle abrite 58 espèces protégées, ces associations ont réclamé une étude d'impact plus poussée, notamment sur la vie piscicole ainsi qu'un diagnostic approfondi sur les ressources en eau disponibles.
Quelle que soit l'issue du référé, les associations affûtent également leurs arguments en faveur d'un recours sur le fond, qui, lui, pourrait permettre de statuer à plus long terme sur l'ensemble du dossier. Avec l'espoir, en attendant, que la justice délivrera une décision permettant de bloquer les travaux. En attendant, une délégation d'associations devrait également être reçue prochainement en Préfecture.
(avec ML)
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