« En 2050, 53% des stations européennes seront exposées à un risque très élevé de manque de neige » (Hugues François, chercheur à l’INRAE Grenoble)

Chaque nouvelle saison hivernale nous rapproche-t-elle de la fin du ski ? Alors que l'observatoire européen Copernicus vient d'ores et déjà d'annoncer que 2023 sera l'année la plus chaude de l'histoire à l'échelle planétaire, avec 0,13 degrés de plus enregistrés sur les 11 premiers mois de l'année par rapport à 2016, la question de l'avenir des stations de ski est plus prégnante que jamais. Entretien avec le chercheur grenoblois Hugues François (INRAE), l'un de ses principaux contributeurs de l'étude publiée par l'INRAE et Météo France sur l'avenir de l'enneigement des stations de ski européennes.
À horizon 2050, sans production de neige et dans la trajectoire d'un scénario de réchauffement planétaire de +2 degrés, plus de la moitié des stations de ski européennes pourraient être exposées à un risque élevé de faible enneigement.
À horizon 2050, sans production de neige et dans la trajectoire d'un scénario de réchauffement planétaire de +2 degrés, plus de la moitié des stations de ski européennes pourraient être exposées à un risque élevé de faible enneigement. (Crédits : DR/yucca films)

LA TRIBUNE - Vous travaillez depuis plus de deux ans sur cette étude qui a été publiée il y a quelques semaines dans la revue scientifique Nature Climate Change. Vous avez étudié les scénarii à venir, en matière d'enneigement, de plus de 2.000 stations de ski européennes, dans 28 pays, de la Turquie à l'Islande en passant par les Balkans, la Scandinavie, les Carpates, les Alpes etc. Quelles sont les conclusions ? Devrons-nous faire une croix sur le ski ?

Hugues François - En partant du scenario le plus probable désormais, c'est-à-dire un réchauffement planétaire de plus deux degrés qui devrait être atteint à horizon 2050, il apparaît que 53% des stations européennes seront exposées à un risque qualifié de « très élevé » de manque de neige, sans production de neige. Avec une hausse de + 3 degrés, cette proportion passerait à 75% environ et à 98% dans l'hypothèse d'une hausse de quatre degrés.

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Les situations sont très variables selon l'implantation géographique. Plus spécifiquement, dans les Alpes françaises, la proportion est de 31% des stations présentant un très haut risque de faible enneigement avec une hypothèse de + 2 degrés. Dans les Pyrénées, ce sont 89% des stations qui seraient exposées à un très haut niveau de risque de faible enneigement et 80% dans les moyennes montagnes Franco-Suisse (Massif-Central, Vosges et Jura).

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LA TRIBUNE - Sur quels outils vous êtes-vous appuyés pour arriver à ces conclusions ?

Cette étude repose sur une dynamique de recherche amorcée depuis assez longtemps et qui croise les outils et les compétences de Météo France et de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Nous avons développé des outils de modélisation permettant d'avoir une vision assez précise de ce qu'on peut attendre en matière d'enneigement dans les prochaines décennies, en fonction du changement climatique.

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LA TRIBUNE - Est-ce que la production de neige artificielle pourrait permettre de compenser ce faible enneigement ?

Il n'est pas possible de généraliser, car la contribution de la production de neige pour s'adapter aux impacts du changement climatique est très hétérogène, en fonction des massifs et à l'intérieur des massifs. La capacité à produire de la neige dépend également des conditions météo locales et varie donc beaucoup d'une station à l'autre. Cela dépend notamment de la latitude et de l'altitude. La production de neige peut avoir un impact positif sur les conditions d'enneigement des domaines skiables mais ne constitue pas une solution générique. En outre, la capacité de production diminue également en fonction du niveau de réchauffement.

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Pour donner quelques chiffres, selon nos modélisations, à + 2° de réchauffement planétaire en 2050, la production de neige permettrait de faire passer à 27% la proportion des stations européennes exposées à un haut risque de faible enneigement. Avec 50% des pistes couvertes par les installations de production de neige, la proportion de stations exposées à un risque très élevé passe de 31 à 7% dans les Alpes françaises. Dans les Pyrénées, ce chiffre passe de 89 à 9%. En revanche, dans les moyennes montagnes franco-suisses, l'exposition au risque est réduite de manière moins importante : il passe de 80% de stations exposées à un très haut niveau de risque de faible enneigement à 54%.

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LA TRIBUNE - Mais cette production de neige artificielle ne participe-t-elle pas elle-même au cycle du réchauffement climatique ?

L'empreinte carbone de la production de neige en elle-même est assez limitée. Cependant, elle ne peut pas être détachée de celle de l'activité touristique et des émissions de gaz à effet de serre principalement dues au transport pour se rendre en station et à l'hébergement durant le séjour au ski. La question est également celle du lien entre le maintien des activités touristiques et les objectifs de décarbonation des économies pour limiter le changement climatique dont les impacts menacent le tourisme de montagne.

Autre point à ne pas négliger sur ce sujet : l'eau. Notre étude évalue le besoin en eau nécessaire pour produire de la neige en fonction du besoin et des conditions climatiques, mais ne tient pas compte de la disponibilité des ressources en eau nécessaires. En outre, notre étude n'évalue pas non plus les conditions de partage de la ressource entre différents usages, y compris pour répondre aux besoins des écosystèmes.

LA TRIBUNE - Finalement, quel est le message de cette étude ?

Le principal enjeu est de permettre aux stations d'évaluer les risques auxquelles elles sont exposées face au réchauffement climatique et la capacité de la production de neige pour en limiter les effets et jusqu'à quel point. D'une certaine manière, l'enjeu c'est de rentrer dans une forme de démarche coûts/bénéfices pour évaluer l'opportunité de concentrer les efforts sur le tourisme de neige par rapport à d'autres voies de développement. L'ensemble de ces éléments apporte des données objectivées aux responsables de stations de sports d'hiver pour définir leur stratégie d'adaptation. Jusqu'à quel point investir dans les installations de production ? Dans le renouvellement des remontées mécaniques ?

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Il faut savoir que dans un premier temps, le changement climatique a été ignoré par de nombreux professionnels du tourisme de ski. Ceci est sans doute lié aux progrès techniques de la production de neige qui ont amélioré la capacité des gestionnaires à composer avec la variabilité naturelle de l'enneigement d'une année à l'autre, contribuant ainsi à masquer les premiers effets sensibles du réchauffement climatique. Du côté de la recherche, la première étude publiée à l'échelle européenne, au début des années 2000, ne tenait pas compte de la production de neige. Le fait de prendre en compte les pratiques de gestion de l'enneigement utilisées par les stations de sports d'hiver a contribué à la reconnaissance du changement climatique et de ses impacts au sein de la profession.

L'avenir des stations de sports d'hiver est un objet de débat généralement clivant et un des enjeux de nos travaux est d'apporter des éléments factuels comme bases d'échanges aussi constructifs que possible. En France, nos travaux contribuent depuis 2020 à la production du service climatique ClimSnow, en partenariat avec le bureau d'étude Dianeige, qui a été utilisé par plus de 150 stations. Cet outil dresse un état des lieux de l'enneigement et de son évolution projetée sous la forme d'un ensemble de graphiques et de cartes établi pour chaque station.

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Commentaires 6
à écrit le 12/12/2023 à 12:00
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Bof il y a des problèmes plus grave que la fin du ski😁

à écrit le 12/12/2023 à 10:06
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Si vous allez à la montagne ce Noël, il y a de grandes chances que vous logiez dans une… passoire énergétique. Dans les stations de ski des Alpes, cela concerne plus d’un logement sur deux, trois fois plus que la moyenne française. Ce taux atteint mê...

le 12/12/2023 à 15:38
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@ lachose vous avez raison sur le diagnostique ; il convient d'ajouter une réalité peu débattue ... ce sont les énormes coûts pour les collectivités locales, coûts engendrés par les créations et les frais de fonctionnements et d'entretiens des infras...

à écrit le 12/12/2023 à 9:20
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Positivons: il reste encore 17 ans

à écrit le 12/12/2023 à 0:29
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Un peu de neige était tombée ces derniers jours. Aujourd'hui en montagne 9°C à 1600m - 6°C à 2400m au 15 Décembre! Résultat ça fond, ça déborde, ca ravine et ça inonde. Le ski en station est agonisant.

le 12/12/2023 à 16:58
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L'ennui est aussi que les activités douces qui peuvent remplacer les activités liées à l'or blanc, ça rapporte moins. Hors logement. Et ça peut aussi moins attirer, ceux qui pouvaient se les payer. Je préfère la montagne hors hiver, ça tombe bien.

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