Chaleur urbaine : à Lyon, la chaleur perdue d’un industriel chauffera bientôt des logements

C'est une nouvelle étape dans la décarbonation des réseaux de distribution de chaleur lyonnais : la Métropole vient de signer un avenant au contrat qui la lie depuis 2017 avec Dalkia (filiale d'EDF), pour l'alimentation en énergie du réseau de chaleur urbain Centre Métropole. Cette rallonge de cinq ans et 173 millions d'euros vise à financer en partie la récupération de la chaleur fatale de l'industriel Tokai Cobex, installé à Vénissieux. Une première à Lyon.
Photomontage du futur récupérateur de chaleur qui sera installé au sein de l'usine Tokai Cobex Savoie, spécialisée dans la fabrication de graphite de synthèse, située à Vénissieux (Rhône).
Photomontage du futur récupérateur de chaleur qui sera installé au sein de l'usine Tokai Cobex Savoie, spécialisée dans la fabrication de graphite de synthèse, située à Vénissieux (Rhône). (Crédits : Archimade)

Faudra-t-il s'appuyer sur les industriels pour décarboner le chauffage des Grands Lyonnais ? C'est en tout cas le sens du premier contrat signé en décembre dernier et dont les contours ont été dévoilés ce jeudi par la Métropole de Lyon, Dalkia (filiale d'EDF) et l'Ademe avec l'usine de fabrication de graphite synthétique et de carbone Tokai Cobex Savoie, située à Vénissieux (Rhône).

Ce site industriel, implanté depuis près d'un siècle en région lyonnaise (sous le nom de Carbone Savoie), délivrera en effet près de 30 GWh d'énergie chaque année au réseau de chaleur urbain Centre Métropole, qui alimentera « bientôt » environ 100.000 équivalents logements, indique Bruno Bernard, président du Grand Lyon, dans un communiqué.

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Des calories aujourd'hui perdues, rejetées dans l'atmosphère à une température de 155 degrés, et qui seront à partir de 2025 en grande partie injectées dans ce réseau collectif allant de Lyon à Saint-Priest, en passant par Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Bron et Vénissieux. Et qui tend à devenir, en 2024, le deuxième plus grand réseau de chaleur urbain de France, derrière celui de Paris.

Cette chaleur récupérée viendra également réduire la part de gaz fossile encore utilisé aujourd'hui à 34 % en moyenne dans les sept réseaux du Grand Lyon. En contrepartie, pour celui de Centre Métropole, la part globale d'énergies renouvelables et récupérées passera de 65 % à 72 %.

Une DSP rallongée de cinq ans et de 173 millions d'euros

Un nouveau cap qui sert « d'exemple » selon Philippe Guelpa-Bonaro, vice-président de la Métropole de Lyon, délégué aux réseaux de chaleur. Car ce partenariat industriel est bien une première pour la collectivité écologiste, qui récupère déjà par ailleurs la chaleur fatale issue de ses deux incinérateurs de déchets (sous sa compétence).

Si Lyon a déjà approché certains grands comptes de la Vallée de la chimie, dont la raffinerie Total Energies de Feyzin, cela « n'a pour l'instant pas abouti », confirme le vice-président : questions d'investissements, de contraintes industrielles...

« Les enjeux économiques et la transition actuelle font qu'il n'est pas évident de motiver un industriel à faire des investissements pour qu'il nous revende de la chaleur », nous indiquait déjà l'élu au début du mois.

D'où le symbole de cette première initiative, aujourd'hui abondée par les pouvoirs publics et les partenaires privés. Car la collectivité écologiste vient à ce titre de signer un avenant à la délégation de service public la liant avec Dalkia depuis 2017.

L'échéance, fixée initialement à 2041, est repoussée de cinq ans. Au profit d'une rallonge très conséquente de son budget : fixé à l'origine à 490 millions d'euros pour les vingt-cinq ans d'exploitation, il est aujourd'hui étendu de 173 millions d'euros supplémentaires (dont 54,6 millions d'euros venant de l'Ademe, 30 millions de la Métropole de Lyon, puis le reste, soit quelque 88,4 millions d'euros, porté par Dalkia - via les financements d'EDF et de la Banque des Territoires).

Les raisons de ce nouvel apport sont multiples : le raccordement de Tokai Cobex a d'abord nécessité des investissements porté par le consortium, et non par l'industriel lui-même. En contrepartie, l'entreprise s'engage à fournir de la chaleur dans la durée, le temps du contrat. Le tout, à un prix au kilowattheure fournis « défiant toute concurrence », soit « cinq à dix fois moins élevé que ceux des énergies fossiles », détaille Joseph Bertin, président de Tokai Cobex Savoie :

« Notre engagement n'est pas strictement financier. Nous venons en garantie de l'investissement. En parallèle, nous ajoutons aussi une contrainte à notre procédé, à savoir un nouvel interlocuteur, qui peut soit nous freiner, ou bien nous forcer à ne pas arrêter la production. Ce n'est pas tout à fait neutre. Cet ensemble de choses, que l'on accepte en tant qu'industriel, montre notre engagement », ajoute le président du site.

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« Doubler la quantité de chaleur renouvelable en dix ans »

L'utilisation de la chaleur fatale est en tout cas identifiée par l'Ademe depuis plusieurs années. Emmanuel Goy, son directeur régional adjoint, soulignait déjà dans nos colonnes, début mars, la progression de demandes de subventions allant dans cette direction.

Il faut dire que le Fonds vert, consistant à délivrer des aides aux collectivités afin de renforcer leurs performances environnementales, a déjà accompagné près de 1.400 projets de chaleur renouvelable en 2023, pour un montant de 600 millions d'euros (trois fois plus qu'en 2020, précise l'Ademe).

Mais désormais, se dessine « un enjeu d'accélération », analyse David Marchal, directeur exécutif de l'expertise et des programmes pour l'Agence :

« La trajectoire, c'est de doubler la quantité de chaleur renouvelable d'ici 2035 pour sortir des énergies fossiles, représentant encore les deux tiers de la chaleur produite en France. Pour cela, il va falloir augmenter cette part, en accompagnant les économies d'énergie et en allant chercher de la chaleur fatale. Ce qui demandera aussi aux réseaux de chaleur d'évoluer, notamment vers de la plus basse température ».

Dalkia, qui opère près de 330 réseaux de chaleur et de froid en France, estime à environ 100 TWh la chaleur fatale à aller chercher aujourd'hui. « Ce qui représente environ un quart de la production électrique en France », souligne Sylvie Jéhanno, sa présidente-directrice générale. « De même, nous estimons que 16 % de ces points de chaleur se situent près d'un réseau de distribution collectif ».

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La Métropole étend aussi les réseaux existants

En parallèle, l'avenant au contrat de DSP financera également d'autres investissements : à commencer par la construction d'une nouvelle chaufferie bois-énergie à Vaulx-en-Velin, permettant d'ajouter 180 GWh supplémentaires aux réseaux - sachant que la filière bois (consistant entre autres à brûler des chutes) reste prépondérante dans l'alimentation des chauffages collectifs. Mais aussi l'extension du réseau collectif de Saint-Priest, à raison de 8.000 équivalents logements supplémentaires en 2027.

Autant de projets qui devront aussi s'accompagner de nouveaux raccordements, envisageables pour des logements neufs, mais plus difficilement pour des bâtiments existants, non équipés de tuyauteries collectives.

D'autant que, comme le soulignait Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon, dans notre grand entretien consacré à la crise du logement et aux enjeux de l'immobilier : « L'impact du ZAN sera faible, pour ne pas dire nul, à l'échelle de la métropole (...) Nous savons déjà que notre trajectoire de consommation des sols sera inférieure à celle du ZAN ».

Autrement dit : il faudra aussi faire, à l'avenir, avec le parc de logements existants. Des enjeux de rénovation qui ne trouvent pas encore toutes les réponses nécessaires en matière de financement, dans un contexte de crise des secteurdu BTP et de l'immobilier.

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