A Lyon, un pipeline hydrogène pour la Vallée de la chimie préfigure la première maille d’un réseau européen

DECRYPTAGE. Dans une filière hydrogène en pleine expansion, tout reste à imaginer, et en premier lieu la distribution de cette énergie, qui sera nécessaire à la décarbonation des mobilités, comme à celle de l'industrie. En Auvergne Rhône-Alpes, un projet de production d'hydrogène vert, associé à la création d'un premier tronçon de pipeline d'un kilomètre afin d'alimenter la vallée de la chimie lyonnaise voisine, pourrait même incarner la première brique d'un réseau européen de distribution. Avec aux manettes, la compagnie CNR qui, en s'associant avec Engie, espère esquisser en même temps sa propre stratégie hydrogène d'ici à 2030.
La CNR et son partenaire Engie vont débuter, dans les prochaines semaines, une première phase de consultation avec des fournisseurs potentiels. Pour être présents d'ici 2025 sur le volet de la production, le compte à rebours a déjà commencé.
La CNR et son partenaire Engie vont débuter, dans les prochaines semaines, une première phase de consultation avec des fournisseurs potentiels. "Pour être présents d'ici 2025 sur le volet de la production, le compte à rebours a déjà commencé". (Crédits : DR/Camille Moirenc)

Il fera près d'un kilomètre, mais il attire déjà toutes les attentions. L'officialisation du projet a eu lieu au siège même du Conseil régional d'Auvergne Rhône-Alpes, afin de mettre en lumière un projet d'importance stratégique, dans une région qui s'était positionnée très tôt, avant même la crise sanitaire, dans le développement de sa filière hydrogène.

Car après des projets expérimentaux de décarbonation des mobilités comme Hympulsion et Zéro Emission Valley, encore fallait-il doper l'approvisionnement des stations à installer en hydrogène vert. D'autant plus que sur le terrain, les besoins de l'industrie ont considérablement grimpé avec la crise énergétique et les cibles de décarbonation fixées pour réduire les émissions de CO2.

Résultat ? Alors qu'un acteur de l'énergie comme la Compagnie nationale du Rhône (CNR), déjà présent dans l'hydroélectricité et les énergies renouvelables (solaire et éoliennes notamment, avec sa filiale Solarhona), nourrissait aussi des ambitions dans le monde de l'hydrogène en vue de diversifier sa production, les besoins de la Région et des industriels se sont combinés pour faire naître un projet : OH2.

Les prémisses d'une future dorsale européenne ?

Car face aux besoins d'approvisionnement et de distribution en hydrogène décarboné de ces deux types d'acteurs (et notamment de Symbio qui aura besoin, pour sa gigafactory de piles à combustible de Saint-Fons, d'une capacité de 4 tonnes d'hydrogène vert par jour), la CNR a eu une idée : associer son projet de création d'un électrolyseur, installé sur son barrage hydroélectrique de Pierre-Bénite, à un projet de pipeline reliant celui-ci à la Vallée de la chimie lyonnaise voisine, où se trouve son futur client, Symbio.

Avec à la clé, près d'un kilomètre de cannalisation de grande dimension, permettant de franchir un bras du Rhône et de déboucher sur un premier hub de raccordement, permettant ensuite à différents opérateurs d'imaginer d'autres connexions. Et pourquoi pas, la liaison de ce premier tronçon avec un projet de dorsale européenne de l'hydrogène, qui serait en capacité de relier ensuite la France à ses pays voisins, le long de la vallée du Rhône par exemple.

Les plans d'une telle dorsale ne sont pas encore formalisés (ni financés) et devront faire appel à des opérateurs comme GRTGaz et GRDF qui sont les autorités compétentes dans le domaine des réseaux publics du gaz, mais il n'empêche que CNR et la Région Auvergne Rhône-Alpes y songent déjà.

Un réseau en deux étapes : la première pour 2025

Pour l'heure, le projet de pipeline OH2 se concentrera d'abord sur deux phases : la première, et la plus avancée, consistera à associer la création d'un site de production d'hydrogène vert (et donc, d'un à plusieurs électrolyseurs) sur le site du barrage hydroélectrique de Pierre-Bénite, avec près d'un kilomètre de canalisations restant à créer également afin de relier ce lieu à un futur hub de raccordement, qui serait lui-même connecté à un centre de mise en conditionnement, sur place, de l'hydrogène en bouteille.

pipeline hydrogène OH2 Pierre Bénite

"A partir du moment où l'on crée ensuite un hub de raccordement, c'est aussi l'opportunité pour d'autres acteurs d'imaginer le développement de canalisations supplémentaires pour aller desservir d'autres usages et sites", ajoute Frédéric Storck, directeur de la transition énergétique et de l'innovation chez CNR.

Une vision au sein de laquelle l'écosystème lyonnais pourrait ainsi interconnecter plusieurs acteurs, dont GRTGaz et GRDF avec leurs réseaux, mais aussi des projets de stockage d'hydrogène en cavité saline développés par Storengy et son projet Hypster dans le département voisin de l'Ain, ainsi que des usages soutenus par les collectivités comme la Région ou la Métropole de Lyon. "Tout reste à écrire", concède Frédéric Storck.

Pour l'heure, CNR et Engie se sont associés afin d'imaginer cette première portion, avec un impératif : les besoins de leurs deux cibles principales, à savoir le projet Hympulsion et la gigafactory de Symbio, les conduisant à s'engager sur une livraison courant 2025.

Avec une capacité de production qui pourrait atteindre "les 8 tonnes d'hydrogène par jour dès sa mise en fonctionnement" grâce à un électrolyseur d'une capacité de 20MW, a confirmé la présidente de CNR, Laurence Borie-Bancel.

"Car autant, le sujet des canalisations hydrogène n'est pas déterminant pour desservir un usage relié aux mobilités, où les stations peuvent être alimentées par des camions tubes trailers, autant cela devient un enjeu pour des usages industriels dès lors qu'ils dépassent une tonne par jour", explique à La Tribune Frédéric Storck, qui précise que l'option actuellement étudiée est celle d'un électrolyseur de 15 à 20 mégawatts, compte-tenu des besoins à venir des deux projets Symbio et Hympulsion.

"Le site existant nous permettra de monter en puissance et d'aller jusqu'à une capacité de 90 MW au total, en empilant des briques de production, mais sans changer notre système de raccordement à RTE", ajoute-t-il.

Un appel d'offres pour 2023

Si le budget total n'a pas encore été confirmé, c'est parce qu'il dépend en premier lieu des prix des équipements nécessaires (électrolyseurs et canalisations), dont les coûts en matières premières ont explosé au cours des quelques mois, ainsi que des solutions technologiques qui seront proposées par les différents équipementiers.

L'une des options envisagées est de se tourner vers la réalisation de 20MW de capacité, en reliant plusieurs électrolyseurs de 5 MW chacun, en fonction des technologies et modules proposés par les fabricants.

Ces derniers devront être consultés par CNR au sein d'un appel d'offres, qui devrait être adressé en 2023 à destination de l'ensemble des fournisseurs du marché, compte-tenu du montant nécessaire :

"On parle de plusieurs dizaines de millions d'euros, mais il existe encore une forme d'incertitude sur le coût du projet final, car nous sommes dans une période où les prix des matières premières ont beaucoup augmenté", souligne Frédéric Storck. Selon nos informations, l'isérois McPhy, en local, devrait notamment faire partie des entreprises consultées.

Des aides de l'Etat attendues pour confirmer le modèle de l'hydrogène vert

Mais avant de boucler l'enveloppe finale, et de graver dans le marbre le contenu du cahier des charges, CNR attend en premier lieu un retour de l'Etat, concernant à la fois les aides auxquelles elle pourrait prétendre (avec notamment, un appel à projet de l'Ademe attendu pour 2023). Mais aussi les conditions de fixation des futures aides de l'Etat qui permettront aux acteurs de la filière de proposer un hydrogène vert compétitif.

Car dans sa stratégie nationale d'accélération hydrogène, l'Etat a prévu, en accord avec la Commission européenne, la fixation d'enveloppes qui permettront de soutenir la compétitivité de la filière, face à l'hydrogène gris.

"Nous sommes en attente de clarifications concernant les aides au fonctionnement d'un tel projet, avec la possibilité d'avoir une subvention sur le prix d'un hydrogène qui soit renouvelable, en fonction du CO2 évité. Ce type de disposition est prévu dans le cadre des mécanismes européens, et cela fait aujourd'hui partie des conditions essentielles à ce type de projet", affiche Frédéric Storck.

Car si l'objectif est à terme, d'arriver à un prix à parité avec l'hydrogène gris, il existe à la fois un marché à impulser et à démocratiser, comme dans le cas du solaire, mais aussi des gains technologiques à attendre encore, notamment sur le procédé d'électrolyse elle-même, branche sur laquelle travaillent notamment des acteurs comme la spin-off du CEA Genvia (qui parvient à atteindre des rendements supérieurs en utilisant la chaleur fatale).

Un volet du plan Etat-Région à débloquer

D'un autre côté, la création d'un premier hub de raccordement, qui permettra ensuite d'ouvrir la voie à de nouvelles prolongations et usages de l'hydrogène vert qui sera produit sur le barrage de Pierre-Bénite, constituera une seconde portion du projet.

Un volet qui pourrait être quant à lui pris en charge par d'autres acteurs publics (Région Auvergne Rhône Alpes, Banque des Territoires, Métropole de Lyon...) ainsi que des réseaux gaziers (GRT Gaz, GRDF).

Là encore, le budget n'est pas connu et pourrait également faire l'objet de négociations, dans le cadre des discussions sur le volet infrastructures, encore en cours, du plan Etat-Région.

D'ici là, la CNR et son partenaire Engie vont débuter, dans les prochaines semaines, une première phase de consultation avec des fournisseurs potentiels. "Pour être présents d'ici 2025 sur le volet de la production, le compte à rebours a déjà commencé", illustre Frédéric Storck.

Ce projet s'inscrit par ailleurs dans la feuille de route hydrogène de la CNR, qui prévoit notamment de développer, au coeur de la vallée du Rhône, jusqu'à 120 MW de capacité d'électrolyse d'ici à 2030. "Le projet de Pierre-Bénite en constituera la première étape".

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