Comment le pastoralisme alpin tente de s’adapter à l’épreuve du changement climatique

Alors que le Salon de l'agriculture a débuté samedi sur un fond de revendications liées à la crise agricole, il est un autre enjeu auquel doivent faire face les éleveurs et bergers : les aléas climatiques. Après cinq ans de travail, le projet européen Life Pastoralp, coordonné par l’université de Florence (Italie) avec l’INRAE et le CNRS, vient de rendre ses premières conclusions sur l’adaptation du pastoralisme. Il a établi un outil de cartographie en ligne pour suivre l’évolution des alpages et fait une série de recommandations techniques et politiques. L'enjeu : sauver une activité en péril.
Le parc national des Ecrins, qui compte environ 120.000 ovins et 6.000 bovins, fait face à de fortes variabilités et recherchait des outils pour mieux appréhender son exposition aux risques climatiques.
Le parc national des Ecrins, qui compte environ 120.000 ovins et 6.000 bovins, fait face à de fortes variabilités et recherchait des outils pour mieux appréhender son exposition aux risques climatiques. (Crédits : DR Muriel Della-Vedova)

L'étude s'est concentrée sur deux parcs nationaux, le Gran Paradiso en Italie et les Écrins en France. Pendant 5 ans, les scientifiques ont travaillé étroitement avec des éleveurs, bergers et autres acteurs locaux pour déterminer les vulnérabilités des pâturages face au changement climatique et établir des stratégies d'adaptation pour les activités pastorales en montagne.

Pour cela, ce vaste projet européen, baptisé Life Pastoralp, a reçu 2,3 millions d'euros de financement de la part de l'Union Européenne. Signe de l'intérêt porté au pastoralisme, activité essentielle qui participe notamment à l'entretien des paysages, à la vie économique et touristique locale.

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Le parc national des Ecrins, qui compte environ 120.000 ovins et 6.000 bovins, était déjà engagé dans le programme d'étude Alpages Sentinelles, mais cette étude est complémentaire selon Muriel Della-Vedova, chargée de mission agriculture pastoralisme au Parc.

« Nous sommes face à une forte variabilité. Il n'y a plus vraiment de règles d'une année sur l'autre, nous pouvons avoir des printemps précoces ou au contraire tardifs, des étés avec une forte sécheresse ou très pluvieux. Cela a un impact sur la pousse de l'herbe, cela peut aller du simple ou double en fonction des années. Il fallait donc des outils pour bien appréhender l'exposition aux risques climatiques et la sensibilité du milieu », précise cette experte pour qui ce programme Pastoralp « aide à formaliser des pratiques et des savoir-faire ».

Prédictions à plusieurs dizaines d'années

Cette variabilté accrue empêche ou rend difficile toute planification des activités. Il faut donc analyser, quantifier et prédire pour mieux comprendre. Plusieurs chercheurs de l'université de Florence en Italie, mais aussi de l'INRAE et du CNRS en France ont participé à cette étude. Notamment Gianni Bellochi, directeur de recherche à l'INRAE, spécialiste de l'agronomie, qui a construit des scénarios sur plusieurs dizaines d'années pour tenter de se projeter.

« Sur 2040-2070, nos modèles montrent qu'il y a aura plutôt une augmentation de la pluviométrie localement, mais avec une inégalité de la distribution. Les précipitations seront mal réparties, elles interviendront surtout au printemps et à l'automne. Cela nous donne des indications et nous laisse du temps pour nous adapter », explique le chercheur.

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Pastoralp a aussi mis en place une plateforme interactive qui recense tout un tas d'aléas climatiques et oriente les éleveurs vers des stratégies d'adaptation : anticipation des dates de pâturage dans l'année, agnelage plus précoce et donc changement de la date d'insémination, diminution du nombre de bêtes... Cette plateforme offre également l'accès en temps réel à des données provenant de caméras et de capteurs, notamment sur la température et l'humidité de l'air, ainsi que la productivité des alpages (pousse de l'herbe).

Des GPS sur les brebis

Pour Vincent Bellot, éleveur de brebis à l'Argentière-la-Bessée dans les Hautes-Alpes, Life Pastoralp est une aide précieuse sur la gestion de l'alpage. Une partie de ses brebis ont été équipées de capteurs GPS afin de suivre leurs déplacements dans les montagnes. « Cela met le doigts sur les endroits où l'on va trop et ceux où l'on ne va jamais. Il faut faire attention. C'est super compliqué de gérer correctement un alpage, c'est subtil et cet outil permet de sensibiliser nos bergers », témoigne cet éleveur du groupement pastoral du Fournel.

A partir des « zones blanches (peu fréquentées) et rouges (plus fréquentées) » déterminées par l'outil, le professionnel peut analyser le déplacement des troupeaux avec les bergers, de manière précise, dans le but de préserver la ressource.

« J'adore la technique et cette technologie est précieuse. Depuis la nuit des temps, les éleveurs et les bergers s'adaptent face à la nature mais là, cela nous fait gagner du temps. On s'adapte plus rapidement », note Vincent Bellot, dont les 360 brebis montent de juin à fin octobre dans les alpages, entre 400 et 2.500m d'altitude.

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« Tout cela doit aussi être replacé, reconsidéré dans un cadre plus global. Il faut aussi prendre en compte les aspects socio-économiques du territoire. C'est assez complexe. Par exemple, on se rend compte qu'actuellement la préoccupation la plus forte des acteurs locaux, ce n'est pas le changement climatique mais l'avenir de la PAC, la politique agricole commune, mais aussi le retour des grands prédateurs, notamment le loup. Car des troupeaux sont attaqués », souligne Gianni Bellochi.

Recommandations politiques

Pour faire bouger les lignes, Pastoralp a émis toute une série de recommandations de nature politique à destination des décideurs. « Car ce qui a émergé de la part des acteurs locaux, c'est qu'il y a un décalage entre les directives européennes et les réalités du terrains », indique le directeur de recherche.

« Il faut, par exemple, rendre plus flexible l'utilisation des alpages. Il ne faut pas que la date de mise en pâturage soit réglementée ou figée dans le cadre d'obtention d'aide. Il faut aussi renforcer la formation initiale des bergers et préciser le statut de berger stagiaire notamment pour faciliter le tutorat », poursuit Muriel Della-Vedova.

Derrière, l'enjeu est bien de sauvegarder cette activité pastorale sur le territoire, car au dérèglement climatique s'ajoute un contexte économique compliqué. Pour Vincent Bellot, « l'activité est en péril » avec des fermes qui ne trouvent pas de repreneurs.

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