Dans la course désormais engagée à l'électrification du parc automobile mondial, on sait déjà que l'autonomie représente le graal à atteindre... Dans cet objectif, les batteries lithium-ion avec anodes (électrodes négatives) en silicium sont aujourd'hui considérées par l'industrie automobile comme la voie la plus rapide pour démultiplier les capacités. Une augmentation de 50% de la densité des batteries est ainsi attendue.
Avec toutefois deux freins significatifs au remplacement des anodes actuelles en graphite : le premier est financier, car les processus de fabrication actuels de ces nouvelles batteries lithium-ion, avec anode en silicium, sont encore assez coûteux et nécessitent des investissements significatifs, et s'avèrent donc peu compétitifs.
Le second demeure technique, puisque le silicium se transforme au cours du cycle de la batterie et nécessite une conception spécifique. Mais de nombreux acteurs, notamment aux Etats-Unis et en Chine, se sont attaqués au sujet, sur tous les segments de la chaîne d'approvisionnement des batteries (matériau d'anode, électrode, cellule de batteries).
Des nanofils de silicium
Parmi ces acteurs, la start-up grenobloise Enwires. Créée en 2016 par la chercheuse Olga Burchak, spécialisée dans la chimie des matériaux, suite à ses travaux de recherche au sein du CEA (laboratoire SyMMES), Enwires travaille sur la production, par voie chimique, de nanofils de silicium à intégrer à un graphite spécifique.
« Notre procédé de fabrication est protégé par sept brevets. Il permet d'obtenir des nanofils calibrés avec précision, à un coût extrêmement compétitif. Avec notre matériau, une batterie de même poids et de même taille, disposera d'une autonomie supérieure de 50% à une batterie lithium-ion fabriquée avec du graphite traditionnel. Le temps de charge est aussi largement abaissé », avance la fondatrice d'Enwires, actuellement à la tête d'une équipe de six collaborateurs.
Une ligne préindustrielle
Après plusieurs années de R&D intensive dans laquelle cinq millions d'euros ont été investis (abondés pour les trois quarts par des financements publics), Enwires vient de franchir une étape importante : celle de la pré-industrialisation avec une première ligne de production, inaugurée récemment à Montbonnot, capable de produire 10 kilos par jour. 500.000 euros ont été investis.
Elle lui permet, dès à présent, de lancer les premiers tests industriels, avec des clients, afin de valider ses nanomatériaux dans les process industriels des fournisseurs de graphite et les fabricants de batterie. Un contrat de co-développement a été signé avec un fabricant européen de batteries (dont le nom reste confidentiel) pour valider la compétitivité de son nanofil. « Les premières séries de tests sont une réussite », assure Olga Burchak.
Cette étape pré-industrielle devrait se poursuivre jusqu'en 2026. A cet horizon, une seconde ligne devrait être installée, via un investissement de 3 à 4 millions d'euros, pour une production de 50 tonnes par an, nouvelle étape avant une échelle industrielle. A terme, les lignes d'Enwires seront installées directement chez les clients.
« Aujourd'hui, 95% du graphite utilisé dans les batteries sont fabriqués en Chine. Nous visons plutôt les nouveaux entrants sur ce marché, situés ailleurs », précise la dirigeante.
Les objectifs annoncés sont ambitieux : 100 millions d'euros d'ici 2030.
« D'ici cinq ans, nous visons l'installation de dix lignes de production chez cinq clients. Ce sera beaucoup pour nous, mais une petite goutte dans ce marché des batteries qui est en croissance forte, avec l'émergence de gigafactories un peu partout et notamment en Europe même si pour le moment, elles achètent essentiellement les matières premières en Asie », commente Olga Burchak.
A horizon 2030, le marché mondial des batteries à anode en silicium est estimé à 2,5 milliards de dollars par le cabinet américain Exactitude Consultancy. Un marché qui commence à être très concurrentiel avec plus de 1.800 détenteurs de brevets recensés à travers le monde sur le sujet des anodes en silicium, tous sujets confondus : matériaux d'électrodes, électrodes, électrolytes, cellules de batterie etc.
Sur cet immense secteur en émergence, dont les bases industrielles ne sont pas encore établies, Enwires doit aller vite pour établir son leadership. Son principal concurrent, l'Américain Sila nanotechnologies, a levé près d'un milliard d'euros ces trois dernières années.
La Française Enwires a, elle, réussi à lever 11 millions d'euros, dont cinq millions l'année dernière auprès du groupe sud coréen Lotte. La start-up poursuit ses recherches de financement et vise un tour de table de trois millions d'euros pour 2024.
« En Europe, il est assez compliqué de monter un projet industriel chimique en partant de zéro. Les fonds européens attendent un retour sur trois ans mais ces projets sont longs à émerger, il nous faut du soutien sur du long terme », souffle Olga Burchak, néanmoins rassérénée par les premières validations de ses partenaires industriels.
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