Biotechs : comment le lyonnais Netri se prépare à industrialiser ses organes sur puces

Retenue dans le cadre de la dernière relève du programme « Première usine » de France 2030, la biotech lyonnaise Netri va investir 20 millions d’euros sur les trois prochaines années pour construire son outil industriel destiné à la production d’organes sur puces, ces dispositifs permettant de reconstituer la physiologie humaine, via la culture in-vitro de cellules, couplée à de la microélectronique.
Les dispositifs de Netri ont déjà séduit BASF, Sanofi, Johnson et Johnson ou encore l'armée américaine.
Les dispositifs de Netri ont déjà séduit BASF, Sanofi, Johnson et Johnson ou encore l'armée américaine. (Crédits : DR)

Et de deux. En quelques mois, la biotech lyonnaise Netri, créée en 2018, vient de rafler une seconde fois la mise du Programme France 2030. La première, c'était en avril dernier. Il s'agissait de l'appel à projets « innovations en biothérapies et production ».

France 2030 venait soutenir le programme « Bio-Diamond » de Netri, coporté avec la société de recherche sous contrat Etap-Lab, destiné à accélérer, grâce aux organes sur puces, la mise sur le marché de candidats médicaments en phase découverte et préclinique dans les domaines des maladies d'Alzheimer, de Parkinson et de la Sclérose Latérale Amyotrophyque.

L'ambition : créer une première biobanque industrielle française de cellules souches humaines, afin de donner ainsi immédiatement accès à des modèles sains d'organes sur puces aux industriels de santé développant des biothérapies innovantes.

La seconde labellisation France 2030 date de quelques semaines : Netri a, cette fois, été retenue dans le cadre de la dernière relève (aux côtés de 11 autres jeunes pousses) du programme « Première Usine ». Il s'agit désormais d'abonder son programme d'investissement industriel.

Netri va injecter 20 millions d'euros (dont deux millions d'euros pour une première phase imminente) dans une nouvelle usine de 1.500 m² implantée dans le biodistrict de Gerland à Lyon, qui devrait être opérationnelle en septembre prochain. La création de 150 emplois est annoncée d'ici 2026/2027, ils s'ajouteront à l'effectif actuel des 50 collaborateurs de la start-up (dont 30 recrutés dans les deux dernières années).

Et ce n'est probablement pas un hasard si France 2030 a remis au pot. Après plusieurs années d'errance sur le sujet, la France vient d'inscrire le sujet des organes sur puces sur la feuille de route de son Agence Innovation Santé, tout en haut de la liste des priorités.

Il ne s'agit pas encore de les autoriser, contrairement aux premiers pas réalisés en ce sens par la FDA fin 2022 aux Etats-Unis, mais « d'évaluer l'importance potentielle de cette approche dans le développement des biomédicaments, son acceptabilité par les acteurs industriels, et d'anticiper les enjeux réglementaires afin d'être force de proposition pour la mise en place notamment de normes de certification » , explique l'AIS. Un pas significatif que salue Thibault Honegger, dirigeant et cofondateur de Netri.

Médecine personnalisée et anticipation des traitements

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Les organes sur puces, dont les premiers spécimens remontent à 2011, sont en réalité des avatars biologiques permettant de prédire l'efficacité d'un nouveau traitement ou le repositionnement d'un médicament.

Ces dispositifs permettent de reconstituer, sur une puce électronique, des tissus ou des organes miniatures, reproduisant la physiologie humaine et ses maladies. Les cellules, prélevées sur des donneurs, sont ensuite cultivées in vitro grâce à la microélectronique et la microfluidique notamment.

« Nous avons construit des solutions utilisant des neurones comme capteurs intégrés. Contrairement à nos concurrents, nous sommes capables de permettre l'innervation et la vascularisation de n'importe quel organe. Par exemple, avec la reproduction d'une peau innervée, nous sommes capables d'encoder la réaction de cette peau suite à l'application d'une crème cosmétique », détaille Thibault Honegger.

Autre exemple, concernant l'oncologie. « Dans le cadre de la médecine personnalisée, nous pouvons anticiper non seulement l'efficacité d'une chimiothérapie mais aussi ses conséquences en termes de douleur pour le patient », poursuit le scientifique entrepreneur, ex-chercheur au CNRS. Il y avait mené 10 ans de recherches sur cette thématique, avec son associé, avant d'estimer sa maturité technologique suffisante pour créer Netri.

Moins de tests sur les animaux

Selon Netri, les organes sur puces permettraient ainsi d'accélérer la mise sur le marché de nouveaux traitements en réduisant les phases précliniques, et donc les coûts de développement pour les industriels de la Pharma, mais aussi de diminuer significativement le recours aux tests sur animaux. Recours dont la réglementation va réduire drastiquement les possibilités dans les toutes prochaines années.

« Il faut savoir que 90% des molécules testées et validées en phase préclinique ne survivent pas à la phase clinique. Cela signifie que le modèle nécessite des améliorations, que pourraient apporter les organes sur puce. Cette technologie a des champs d'applications variés : la découverte de nouvelles molécules évidemment, mais aussi les évaluations de toxicologie ainsi des avancées certaines sur la médecine personnalisée », analyse Jean-Dominique Guitton, chargé de mission scientifique et stratégique pour le compte de BioValley, cluster travaillant depuis 2018 à la structuration de la filière française des organes sur puce. Filière qui a encore du mal à se constituer une réelle visibilité.

Concernant les tests sur animaux, « on ne pourra pas, pour le moment, y renoncer complètement, estime-t-il. En revanche, on pourra les réduire de manière importante, probablement les diviser par trois ou quatre, en filtrant déjà avec les organes sur puces les tests non pertinents ou toxiques ».

Dans le monde, une cinquantaine d'acteurs commercialiseraient des organes sur puces, avec différentes approches technologiques. Seulement une dizaine serait spécialisée en neurosciences, comme Netri. En France, les acteurs privés des organes sur puces se comptent sur les doigts d'une main, aux côtés de chercheurs académiques. Avec notamment Cherry Biotech (93), la Lyonnaise Netri donc ou encore Fluigent. Selon le tout récent rapport « Global Organ on chip market report », publié par l'institut QY Research, la taille du marché mondial est estimée à 620 millions de dollars à l'horizon 2028. Netri y est identifié comme le 16e acteur mondial du sujet.

« Concernant le marché européen, le monde de la « Pharma » est suspendu à la position de l'EMA (agence européenne des médicaments). Les industriels observent mais il n'y a pas encore de réel mouvement d'ensemble », observe Jean-Dominique Guitton, le chargé de mission de BioValley.

Netri a réalisé, en 2023, un chiffre d'affaires d'un million d'euros et vise 3,4 millions en 2024. Elle travaille déjà avec BASF, Sanofi, Johnson et Johnson ou encore l'armée américaine (étude sur les effets des commotions cérébrales sur les pilotes). La start-up reste discrète sur la suite de sa croissance, mais évoque un fort développement dans les trois prochaines années. Elle commercialise déjà ses solutions pour des applications liées à la douleur et à la cosmétique. Demain, elle avancera sur le prometteur marché de la santé nutritionnelle.

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