Biotechnologies à Lyon : face à l'antibiorésistance, le grand retour des phages

La nouvelle entité lyonnaise Phaxiam, fruit de la récente fusion de la biotech Erytech et du nantais Pherecydes Pharma, recherche et développe des solutions en phagothérapie pour lutter contre les maladies infectieuses et l'antibiorésistance. Elle espère lancer dans les prochains mois la première étude de phase 3 sur l'utilisation des phages contre les infections ostéoarticulaires, à visée d'enregistrement en Europe et aux Etats-Unis. Et complète, au cœur de l'un des cités européennes des biotechnologies, les recherches des Hospices civils de Lyon dans le domaine.
Phaxiam se prépare à lancer, fin 2024, une étude de phase 3 en phagothérapie pour les infections ostéoarticulaires, dans l'objectif d'un enregistrement aux Etats-Unis et en Europe.
Phaxiam se prépare à lancer, fin 2024, une étude de phase 3 en phagothérapie pour les infections ostéoarticulaires, dans l'objectif d'un enregistrement aux Etats-Unis et en Europe. (Crédits : DR)

Contre les maladies infectieuses et face à l'antibiorésistance, les phages, ces virus permettant la régulation des bactéries à l'état naturel, constituent-ils une solution pharmaceutique ? Longtemps délaissés par la recherche occidentale, ils sont aujourd'hui réinvestis dans la lutte contre les infections bactériennes, à l'heure où la résistance aux antibiotiques représentait 1,27 million de décès directs dans le monde en 2019 selon une étude du Global Research on Antimicrobial Resistance, impliquant 3.500 chercheurs dans 203 pays.

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Implanté à Lyon, au cœur du plus grand écosystème européen consacré aux biotechnologies, Phaxiam est l'un des acteurs internationaux du sujet. Né le 23 juin dernier de la fusion des biotech Erytech et Pherecydes Pharma, la société, cotée au Nasdaq, entend engager prochainement des études cliniques en phagothérapie. L'objectif : proposer des combinaisons et des alternatives aux antibiotiques face à certaines infections, dont les endocardites (vannes cardiaques), les infections pulmonaires et ostéoarticulaires. Pour ces dernières, la société espère lancer une étude randomisée de phase 3 (la dernière avant mise sur le marché) en Europe et aux Etats-Unis à partir de fin 2024, à visée d'enregistrement.

« Erytech était une entreprise relativement mature, avec des expertises en développement clinique, un positionnement international et une trésorerie importante, mais elle avait échoué dans la phase 3 de son programme le plus avancé. De l'autre côté, Pherecydes disposait d'un portefeuille clinique conséquent, avec beaucoup d'options, mais des problématiques de refinancement. Il apportait des produits et Erytech des expertises. Nous nous sommes naturellement rapprochés, ce qui est peu courant dans le monde des biotech. Il s'agit de l'une des premières fusions d'entreprises cotées », détaille Thibaut du Fayet, directeur-général de Phaxiam.

Des patients en impasse thérapeutique

Depuis 2019, la biotech Pherecydes Pharma proposait des traitements expérimentaux à travers un statut dit « compassionnel », pour des patients en impasse thérapeutique après deux ou trois lignes de traitements antibiotiques. Une centaine de personnes en ont déjà bénéficié en France, notamment aux Hospices civils de Lyon, qui travaillent par ailleurs sur un autre projet d'ampleur, nommé Phag-One, et qui a bénéficié d'une subvention de 2,85 millions d'euros de la part de l'Agence nationale de recherche en 2020 dans le cadre de son appel à projet « Antibiorésistance : comprendre, innover, agir »

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« L'originalité du projet PHAG-ONE est son caractère intégré au sein d'une seule et même institution hospitalière, mais aussi sa nature académique, utilisant des structures déjà existantes permettant d'envisager une mise à disposition de phages à des coûts maitrisés et la création d'une plateforme nationale de production de phages thérapeutiques », notent les HCL dans un communiqué.

Du côté de Phaxiam, Thibaut du Fayet, directeur général, remarque que des demandes leur sont régulièrement adressées : « Des médecins souhaitent accéder à nos traitements, alors que nous ne sommes pas enregistrés. Nous avons dans ce sens obtenu en juin 2022, auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, un statut qui permet de protocoliser ce contexte compassionnel ». Et, en contrepartie, d'obtenir des résultats cliniques, qui s'avèrent « très intéressants » : « Ils nous permettent aujourd'hui d'accélérer nos plans de développement et d'aller vers une étude de phase 3 pour les infestions ostéoarticulaire, où les phages sont administrés lors d'une chirurgie, puis vers l'enregistrement de nos traitements ».

Les phages, ces virus, vigies contre les bactéries

Si la découverte des phages remonte aux années 1920 grâce aux travaux du Français Félix d'Hérelle, leur exploration a rapidement été ralentie dans les pays occidentaux, qui ont privilégié le développement des antibiotiques. Les pays d'Europe de l'Est, eux, s'en sont davantage emparés. La situation de vulnérabilité face aux antibiotiques, révélée à partir des années 1990 et 2000, réouvre la voie de la phagothérapie aux yeux des autorités, analyse Thibaut du Fayet. Encore plus depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, où de puissants enjeux de souveraineté ont été soulevés.

« Les biotechnologies dirigées vers l'antibiorésistance étaient longtemps considérées comme peu attractives pour les investisseurs. La crise sanitaire du Covid-19 a changé beaucoup de choses. Elle a repositionné les enjeux associés aux maladies infectieuses, qui ne constituaient pas une ère thérapeutique sur laquelle le monde pharmaceutique occidental travaillait. Il était davantage positionné vers l'oncologie et les maladies neurodégénératives. »

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Pour le dirigeant, la réémergence de ces technologies constitue un enjeu majeur : «  Nous voyons réémerger ces problématiques d'antibiorésistance. Pour le Covid-19, par exemple, nous n'avions pas d'antivirus. L'apparition de nouveaux virus, de nouvelles bactéries, ciblées par les phages, font de cette technologie un enjeu de santé publique et donc, de souveraineté. » Le dirigeant affirme aujourd'hui que la société est « suivie d'assez près » par les autorités. A commencer par le Secrétariat général pour l'investissement, rattaché à Matignon, et prescripteur du plan France 2030.

Une stratégie de recherche transversale dite « one health »

La société vient également d'annoncer un partenariat avec la société Vetophage, qui conçoit des traitements vétérinaires. L'idée consiste à partager des connaissances, des expertises. Et pour Phaxiam, à se diversifier dans une approche dite « one health », car transversale entre l'humain, l'animal et le végétal. Conception renforcée par les enseignements de la crise sanitaire, relevait en février 2022 le Conseil scientifique dans une note. Déjà en 2019, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale indiquait à son propos :

« La bataille s'annonce complexe. La raison principale : les bactéries résistantes sont partout, chez l'Homme, l'animal et dans l'environnement. Bilan : lutter contre antibiorésistance nécessite une approche globale dite One Health, littéralement « une seule santé ».

Ce segment est-il porté par les investisseurs ? Pour Thibaut du Fayet, l'équilibre réside dans la réduction du portefeuille de phages : plus ils seront restreints, plus l'activité pourra se développer « au sens économique et pharmaceutique ». Le dirigeant précise se détacher de l'idée d'une phagothérapie « au cas par cas », portée par d'autres. Phaxiam ne développe pour l'instant que deux phages contre le staphylocoque doré au niveau cardiaque, efficaces à 95 %. Pour les infections pulmonaires, c'est plus compliqué, avec 4 phages efficaces dans 75 % des pathologies. De quoi susciter des espoirs. Mais encore faut-il valider des étapes cliniques et règlementaires.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2023 à 22:48
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Voila une bonne nouvelle. Il faut espérer que les biologistes de Phaxiam ne perdront pas leur temps à "réinventer l'eau chaude". La phagothérapie est une thérapie biologique connue et employée depuis un siècle dans les pays ex-soviétiques. Et plus p...

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