La ligne ferroviaire Paris et Milan interrompue jusqu'à l'été 2024 : quelles conséquences sur les transports, l'économie et le tourisme ?

A la suite des éboulements du 27 août entre Saint-Jean-de-Maurienne et Modane (Savoie), la ligne ferroviaire entre Paris et Milan sera fermée non pas deux mois, mais « une petite année », a déclaré François Ravier, préfet de Savoie, selon les médias locaux Le Dauphiné Libéré et France Bleu. Si la SNCF entend assurer les liaisons vers les stations de sports d'hiver grâce un « hub » d'échanges entre les TGV et les bus, une partie des trafics voyageurs et de fret pourrait se reporter vers d'autres axes, notamment routiers.
L'opérateur ferroviaire Trenitalia, qui assure la maintenance de ses trains en Italie, est particulièrement affecté par l'interruption de la ligne entre Saint-Jean-de-Maurienne et Modane (Savoie).
L'opérateur ferroviaire Trenitalia, qui assure la maintenance de ses trains en Italie, est particulièrement affecté par l'interruption de la ligne entre Saint-Jean-de-Maurienne et Modane (Savoie). (Crédits : Ferrovie dello Stato Italiane)

« Une petite année » et non pas deux mois, c'est le délai aujourd'hui annoncé par François Ravier, préfet de Savoie, pour la réouverture de la ligne ferroviaire transfrontalière entre Saint-Jean-de-Maurienne et Modane (Savoie). Et plus globalement, entre Paris et Milan. Depuis le 27 août dernier, celle-ci est en effet interrompue, consécutivement aux éboulements de 15.000 m3 de roches qui se sont produits à cinq kilomètres de l'entrée du tunnel du Fréjus. La ligne voyait circuler jusqu'alors 34 liaisons de fret et 26 trains de voyageurs par jour, indique SNCF Réseau, qui pourraient être reportés vers d'autres types de mobilités.

Lire aussiFermeture de l'A43 et du tunnel du Fréjus : 25% de pertes d'activité pour les entreprises, selon la CCI Savoie

Pourquoi ces travaux prendraient-ils un an ?

Initialement annoncée fin octobre, la réouverture de la ligne ne se ferait finalement qu'à l'été 2024. Les travaux de sécurisation doivent en effet être prolongés avant tout déblaiement des enrochements, notamment en raison de l'instabilité du flanc de montagne. Celui-ci doit être « purgé » des 3 à 4.000 m3 de roches fragilisées, au moyen d'eau ou d'explosifs. Ce n'est qu'à l'issue de cette étape que les travaux de déblaiement des voies pourront réellement commencer.

Cet arrêt prolongé va directement affecter la desserte ferroviaire entre la France et l'Italie via le tunnel du Mont-Cenis, qui voit passer environ 10.000 trains par an, soit « deux millions de passagers », déclare de son côté Stéphane Guggino, délégué général de l'association favorable au projet Lyon-Turin La Transalpine, et trois millions de tonnes de fret chaque année. Elle permet notamment d'assurer la ligne Paris-Lyon-Turin-Milan. Les deux opérateurs ferroviaires présents sur cette liaison, à savoir SNCF Voyageurs et Trenitalia, vont devoir trouver des solutions pour assurer leur service, mais aucune alternative évidente ne semble se dégager pour l'instant.

Comment s'organisent les opérateurs ferroviaires ?

Trenitalia est probablement la plus impactée, elle qui est devenue le premier opérateur étranger à s'aventurer sur la grande vitesse en France. Cet éboulement affecte non seulement sa ligne entre Paris et Milan (deux allers-retours quotidiens), mais aussi indirectement celle entre Paris et Lyon (cinq allers-retours par jour, dont les deux qui vont jusqu'à Milan). En effet, la maintenance des TGV italiens est faite de l'autre côté des Alpes et les trains déployés en France retournaient en alternance à Milan pour être entretenus.

Lire aussiTGV Paris-Lyon : un an après, l'arrivée de Trenitalia rime-t-elle effectivement avec prix plus bas ?

Aujourd'hui, l'opérateur italien a réussi à maintenir en service deux allers-retours par jour sur le Paris-Lyon grâce à l'envoi d'une équipe de maintenance en France, avant la remise en service de la troisième rotation dimanche dernier. « Nous sommes ravis de remettre à disposition ce troisième aller-retour entre Paris et Lyon, et permettre ainsi à nos voyageurs de retrouver la plus grande partie de leur offre, d'autant plus à l'approche des fêtes de fin d'année, et du début de la saison hivernale » s'est réjoui Roberto Rinaudo, président de Trenitalia France, dans un communiqué.

Malgré ces déclarations, les deux Paris-Milan sont suspendus sine die. Et cela va affecter aussi la desserte des gares intermédiaires entre Lyon et Milan, telles que Chambéry, Modane et Bardonecchia, trois destinations de ski alors que s'ouvrent le 4 octobre les réservations pour l'hiver.

Et pour SNCF Voyageurs ?

Pour l'opérateur français, l'équation est plus simple car il n'est pas coupé de ses centres de maintenance. En revanche, il n'est plus en mesure de desservir Turin et Milan. C'est un coup dur assure-t-on du côté de SNCF Voyageurs car ces destinations marchaient bien depuis la fin de la crise sanitaire. Des possibilités de contournement sont possibles par la Suisse ou par Nice, mais elles nécessitent au moins une correspondance et des temps de trajets allongés. Cela pourrait entraîner un report modal, notamment vers l'avion, admet-on du côté de SNCF Voyageurs tout en précisant qu'il est encore trop tôt pour quantifier un tel mouvement.

Quels sont les effets attendus sur la saison touristique hivernale ?

L'opérateur français semble en revanche satisfait avoir trouver une solution pour la desserte des stations de ski de la vallée de la Maurienne. Les trois « TGV ski » qui desservaient traditionnellement Modane pendant les vacances de Noël s'arrêteront cette année à Saint-Michel de Maurienne, situé à une vingtaine de kilomètres en amont. De là, un service de bus s'organisera vers les stations, comme c'était le cas depuis Modane. Selon SNCF Voyageurs, ce service est en cours de définitions avec les différentes parties prenantes.

« Les TGV seront bien ouverts à la vente mercredi 4 octobre, dans les délais normaux, pour des voyages entre Paris et la Maurienne à compter de samedi 16 décembre. TGV effectuera ainsi deux allers-retours le samedi et un aller-retour le dimanche », déclare SNCF Réseau.

Lire aussiStations de ski : 2023, l'année du grand retour des touristes étrangers

Pour Jérémie Silva, directeur de l'office de tourisme de la Haute Maurienne Vanoise, regroupant six stations d'altitude (2 millions de nuitées par an), ce report de la réouverture augure de nouvelles incertitudes. Le train représente 12 % des moyens de locomotion pour se rendre dans les stations. Les transports thermiques, comme la voiture et le bus, représentent, eux, 88 % des véhicules entrants.

« Nous rassurons les clients, qui peuvent continuer à venir en train depuis Paris et Lyon. La SNCF s'engage aujourd'hui à assurer les liaisons. Nous serons exigeants et espérons qu'il n'y aura pas de rupture de charge.  », déclare le directeur, qui ajoute que les solutions proposées ne devraient pas trop affecter la fréquentation des stations, à 85 % française.

« La desserte des derniers kilomètres en bus depuis Saint-Michel-de-Maurienne ne prendra que quelques minutes supplémentaires par rapport à l'arrêt à Modane ». L'autoroute A43 étant désormais réouverte, la question des approvisionnements n'est plus un sujet de préoccupations immédiat. En revanche, son inquiétude concerne plutôt la lenteur des opérations : « Personne n'est satisfait. Les délais sont beaucoup trop long. Nous sentons que cette ligne n'est pas prioritaire. Nous aimerions que la SNCF et l'Etat prennent ce sujet à bras le corps ».

Le trafic routier va-il augmenter ?

S'il n'est pas quantifiable, le report modal craint par bon nombre d'acteurs s'ajoute à la fermeture du tunnel du Mont-Blanc, initialement prévue à partir du 4 septembre dernier, puis reportée en raison des éboulements au 16 octobre prochain, pour une durée de neuf semaines. Les quelque 100.000 remorques qui y circulent tous les deux mois (soit plus de 600.000 par an) pourraient être reportées vers les 130.000 du Fréjus (l'unique autre porte d'accès des hautes Alpes françaises, 800.000 poids lourds par an), auquel le fret ferroviaire pourrait désormais s'ajouter. Et Stéphane Guggino, délégué général de la Transalpine, a fait ses calculs : « Les 6.884 trains de fret qui ont emprunté le tunnel du Val-Cenis en 2022 représentent l'équivalent de 200.000 remorques de poids lourds an »déclare-t-il en s'appuyant, d'après lui, sur des données distribuées par la SNCF lors d'une réunion du comité de pilotage du Lyon - Turin.

Quelles sont les répercussions sur l'économie ?

Déjà, deux semaines après l'accident, la Chambre de commerce et d'industrie de Savoie annonçait une perte de 25 % de l'activité des entreprises du département qui s'étaient manifestées. La fermeture de l'autoroute A43, aujourd'hui réouverte, amplifiait le phénomène, la Haute-Maurienne étant coupée une vingtaine de jours de ses principaux axes d'approvisionnement, du côté français comme italien.

Lire aussiFermeture de l'A43 et du tunnel du Fréjus : 25% de pertes d'activité pour les entreprises, selon la CCI Savoie

Et c'est bien au passage de la frontière avec l'Italie que cela coince. Si les stations de sports d'hiver françaises n'accueillent que moins d'1% de touristes transalpins, les échanges, notamment commerciaux, doivent trouver d'autres routes. En Italie, où la balance commerciale est excédentaire, bon nombre d'acteurs et d'élus réagissent à la situation. Paolo Foietta, président de la commission intergouvernementale pour le Lyon-Turin, estimait lundi dans les colonnes du journal La Stempa : « Il est nécessaire que les autorités françaises prennent les mesures nécessaires pour réduire la durée des chantiers, car la situation est dramatique pour le transport de marchandises et de personnes ». S'il est trop tôt pour évaluer les conséquences économiques sur les flux commerciaux de marchandises, et que ce type d'accident est déjà survenu sur cette ligne, cette interruption d'un an rompt la connexion ferroviaire transfrontalière dans cette partie des Alpes.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 03/10/2023 à 23:51
Signaler
En quoi la sncf est responsable des délais de travaux sécurisation du flanc de montagne fragilisé ? Si monsieur Jérémie Silva n est pas content qu il prenne une pioche et qu il commence à déblayer lui même ou qu il paye …. Puisque ça le concerne e...

à écrit le 03/10/2023 à 23:51
Signaler
En quoi la sncf est responsable des délais de travaux sécurisation du flanc de montagne fragilisé ? Si monsieur Jérémie Silva n est pas content qu il prenne une pioche et qu il commence à déblayer lui même ou qu il paye …. Puisque ça le concerne e...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.