Tourisme : avis de tempête sur la structure bidépartementale de l'Agence Savoie Mont-Blanc

Après un premier co-président haut-savoyard, Nicolas Rubin, et le directeur de l’Agence, Michaël Ruysschaert, c’est au tour de Vincent Rolland, député et co-président savoyard de l’association de promotion du territoire des deux Savoie de présenter sa démission… Soulevant ainsi de nombreuses questions pour l’avenir de la structure bi-départementale, inédite en son genre.
Face à cette impasse, la Fédération départementale des offices de tourisme de la Haute-Savoie a souligné le « caractère vital » des actions de l'Agence pour le territoire, dans un contexte marqué par le « ski-bashing ».
Face à cette impasse, la Fédération départementale des offices de tourisme de la Haute-Savoie a souligné le « caractère vital » des actions de l'Agence pour le territoire, dans un contexte marqué par le « ski-bashing ». (Crédits : Savoie Mont Blanc Chabance)

La Savoie et la Haute-Savoie arrivent-elles encore à travailler ensemble ? Après la dissolution du Conseil Savoie Mont Blanc, actée en décembre dernier, une autre instance de coopération entre les deux départements est sur la sellette : l'Agence Savoie Mont Blanc, association en charge de la promotion du territoire des deux Savoie, et propriétaire de la marque éponyme.

Co-financée (à 98%) par les deux départements, celle-ci disposait jusqu'ici d'un budget de 10 millions d'euros et de 40 salariés afin de promouvoir la destination touristique Savoie Mont Blanc (avec notamment, ses 112 stations de ski) ainsi que les produits de son territoire.

Lundi 11 mars, à l'occasion d'une assemblée générale extraordinaire, le Savoyard Vincent Rolland (Les Républicains), seul co-président encore en poste de l'Agence Savoie Mont Blanc, a présenté sa démission avec effet immédiat. En novembre dernier, l'autre co-président de l'Agence, le Haut-Savoyard Nicolas Rubin, avait annoncé sa démission, se disant, à l'époque, « dans l'obligation de quitter la co-présidence de Savoie Mont-Blanc et prendre une nécessaire distance entre le financement de cette association et sa gouvernance. Membre de l'exécutif du conseil départemental 74, financeur de l'Agence, il n'est pas compatible de co-présider à son avenir et son fonctionnement. »

Un peu plus tôt, en avril 2023, c'est le directeur de l'ASMB et actuel Directeur général des services de Megève, Michaël Ruysschaert qui avait déjà donné sa démission aux deux coprésidents, « pour absence de visibilité autour d'un vrai projet touristique bi-départemental », continuant cependant à assurer l'intérim à temps partiel.

« C'est devenu impossible de travailler ensemble »

Depuis le début de semaine, les deux départements se renvoient la responsabilité de la situation actuelle, via communiqués de presse. Chacun accusant l'autre de refuser un travail bidépartemental.

« Ce qui arrive à l'Agence, c'est le prolongement du détricotage de la bi-départementalité qui s'est traduit par la fin du Conseil Savoie Mont-Blanc, voulu unilatéralement », estime ainsi Vincent Rolland, co-président savoyard démissionnaire, contacté par La Tribune.

« Pour moi, c'est devenu impossible de travailler ensemble, et je le regrette. On l'a pourtant très bien fait pendant presque deux décennies », poursuit-il. « Nous ne sommes plus alignés sur le projet, nous sommes en désaccord sur les statuts ».

« Il y a un problème de vision, confirme une source interne au conseil départemental de la Savoie. Coopérer ne veut pas dire donner le budget et point barre. Il faut travailler sur des objectifs communs. Nous avons proposé une convention d'objectifs et de moyens tripartite, ce que la Haute-Savoie a refusé ».

La Haute-Savoie a évoqué quant à elle « sa stupéfaction » par rapport à la démission de Vincent Rolland et sa demande de dissolution de l'Agence. « Mais c'est un mal pour un bien, cela fait apparaître la réalité, note Martial Saddier, président du conseil départemental de Haute-Savoie, interrogé par La Tribune. Depuis deux ans et demi, on nous accuse de tous les torts. Mais on voit bien que ce qui est en difficulté aujourd'hui, qui s'arrête potentiellement, c'est de la faute de la Savoie ».

« L'analyse juridique diffère selon les départements »

Du côté d'Annecy, le blocage porte davantage sur la question statutaire : le Département refuse que son co-président soit un élu du Conseil départemental.
«
L'analyse juridique diffère selon les départements, appuie Martial Saddier. Tous nos conseillers juridiques estiment qu'on ne peut plus aujourd'hui, en tant qu'élu, présider une association dont 98% du budget provient des deux départements ». En conséquence, la Haute-Savoie demande à faire évoluer les statuts pour permettre de nommer un co-président qui ne serait pas un élu.

Une proposition refusée par la Savoie, qui s'appuie sur le fait qu'une modification des statuts a déjà été adoptée à l'unanimité en juillet dernier. « Sur les 27 membres du CA, seuls 8 sont des élus. En aucune façon les élus ont la majorité », poursuit une source au sein du conseil départemental de la Savoie. « J'observe que dans tous les départements voisins, les comités départementaux touristiques sont présidés par un ou une élu-e, complète Vincent Rolland. Pourquoi pas l'Agence ? Peut-être parce que le conseil départemental de la Haute-Savoie n'a pas voulu la reconnaître comme son comité départemental du tourisme et n'a pas voulu lui transférer la compétence de promotion territoriale...».

« Pas de travail préparatoire pour 2025 »

Parallèlement aux tensions politiques, une procédure d'alerte a été déclenchée par la commissaire aux comptes de l'association, pour défaut de gouvernance. Face au blocage, les salariés et les acteurs du tourisme s'inquiètent de la situation. L'Agence Savoie Mont Blanc, créée en 2006, emploie une quarantaine de collaborateurs à Chambéry, Annecy et Paris - même si les départs se sont multipliés depuis un an - un quart des cadres serait partis et fédère les 112 stations des deux départements autour d'une marque territoriale forte.

Pour le moment, un « plan marketing opérationnel a été voté par le conseil d'administration au mois de juin dernier, confie une source au conseil départemental de la Savoie. Les équipes peuvent le décliner, et pour 2024, les actions sont en cours. Mais en revanche, il n'y a pas de travail préparatoire pour 2025 ».

Dans un communiqué, la Fédération départementale des offices de tourisme de la Haute-Savoie, Innovation & Développement Tourisme, a souligné le « caractère vital » des actions de l'Agence pour le territoire, dans un contexte marqué par le « ski-bashing », insistant sur le fait que « l'Agence Savoie Mont Blanc rassemble des savoir-faire et des expertises servis par des équipes de qualité qu'il est primordial de défendre ». La Fédération haut-savoyarde déclare également soutenir l'initiative du conseil départemental 74 de solliciter une nouvelle réunion du conseil d'administration pour tenter une sortie de crise.

A l'initiative des Hauts-Savoyards, le conseil d'administration de l'association doit en effet se réunir le 21 mars prochain, afin de réfléchir à la suite - et éventuellement évoquer une modification des statuts.

« Je ne sais pas si la Savoie veut bosser avec nous, mais on veut rester dans l'Agence », appuie Martial Saddier. Autre issue possible : la justice. « Si la commissaire aux comptes saisit le tribunal, la suite va échapper aux départements. Il y aura vraisemblablement la nomination d'un administrateur », prévient un interlocuteur au sein du Conseil départemental de la Savoie.

Contactée également, la Région Auvergne Rhône-Alpes, qui dispose également de la compétence économie et tourisme à l'échelle de ce territoire, n'a pas fait de commentaires à ce stade.

L'histoire d'un outil partagé entre deux territoires

Créée en 2006, sous l'impulsion de l'Assemblée des Pays de Savoie (devenue Conseil Savoie Mont Blanc en 2016), l'association Savoie Mont Blanc Tourisme avait déjà pour mission d'assurer la promotion touristique des deux départements (Savoie et Haute-Savoie), via la marque Savoie Mont Blanc.

Ses missions ont ensuite été une première fois élargies en 2016, avec la fusion de l'association Marque Savoie, qui a ainsi étendu son périmètre à la promotion des produits et services du territoire sous critères de qualité.

Puis en 2020, Savoie Mont Blanc Tourisme s'est à nouveau transformée, d'abord avec un changement de nom (devenant ainsi L'Agence Savoie Mont Blanc), et en s'ouvrant désormais à la qualification d'entreprises, de produits du territoire et à d'autres secteurs d'activités (agriculture, agroalimentaire, artisanat, services, industrie, etc).

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