Autoroute A412 en Haute-Savoie : les 16 kilomètres de la discorde qui visent à désenclaver le Chablais

Alors que le projet d’A69 mobilise des centaines de zadistes dans le Tarn, de l’autre côté de la France, un autre projet d’autoroute vient de franchir une étape décisive. L’État entre en discussions exclusives avec Eiffage et APRR pour la construction et l’exploitation de la liaison autoroutière entre les communes de Thonon-les-Bains et Machilly en Haute-Savoie. Et ce malgré une opposition historique de plusieurs associations et de Genève.
C'est ce projet de liaison de 16 kilomètres, qui reliera Thonon-les-Bains à Marchilly, qui est au centre des débats... et d'une entrée en discussions exclusives avec les groupes Eiffage et APRR. Tandis que du côté des opposants au projet, un recours en abrogation, déposé en septembre dernier, n'a pas encore été examiné par le Conseil d'État.
C'est ce projet de liaison de 16 kilomètres, qui reliera Thonon-les-Bains à Marchilly, qui est au centre des débats... et d'une entrée en discussions exclusives avec les groupes Eiffage et APRR. Tandis que du côté des opposants au projet, un recours en abrogation, déposé en septembre dernier, n'a pas encore été examiné par le Conseil d'État. (Crédits : Eiffage/Neel)

C'est un dossier vieux de près de 40 ans, et aux multiples rebondissements, qui vient d'avancer de manière significative. Le Ministère de la Transition écologique et de la cohésion sociale entre en négociations exclusives avec le groupement constitué de l'entreprise de travaux publics Eiffage (chiffre d'affaires 2022 : 20,3 milliards d'euros ; 76.300 salariés) et de l'exploitant de réseaux autoroutiers APRR (chiffre d'affaires 2022 : 2,6 milliards d'euros ; 3.500 salariés) pour la construction et l'exploitation d'une liaison autoroutière (2X2 voies) de 16 kilomètres environ.

Cette infrastructure, baptisée A412, doit permettre de relier les communes de Machilly et de Thonon-les-Bains en Haute-Savoie. Avec parmi les enjeux affichés par l'État et le Département de Haute-Savoie, très impliqué dans ce dossier : désenclaver ce territoire du Chablais, un territoire limitrophe de Genève et en bordure du lac Léman, qui regroupe près de 150.000 habitants, avec comme villes principales Thonon-les-Bains, Évian, Morzine et Sciez... Mais aussi fluidifier, in fine, le trafic entre la Suisse et Thonon-les-Bains.

Le coût est estimé entre 200 et 300 millions d'euros, à la charge entière du délégataire. Sans subvention publique donc (malgré l'enveloppe budgétée depuis l'année dernière de 100 millions d'euros par le Conseil Départemental de Haute-Savoie). Et sans calendrier officiel pour le moment, ni communication sur la tarification qui attend les usagers.

Le projet de contrat de concession sera soumis à l'autorité de régulation des transports et du Conseil d'Etat pour une signature définitive à l'été prochain. En parallèle, le Département a d'ores et déjà acté les travaux de raccordement de cette autoroute concédée, pour un montant évalué à environ 200 millions d'euros.

Un développement économique local pénalisé

Quatre décennies de lobbying des élus locaux et des acteurs économiques du territoire auront été nécessaires pour en arriver là : une première déclaration d'utilité publique émise en 1995, puis annulée par le Tribunal administratif. Puis une seconde en 2006, également retoquée. La dernière, en date de 2019, est elle restée valide et elle a été confortée l'année dernière, par un vote de l'Assemblée Nationale permettant d'intégrer ce projet dans le plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais.

« Nous sommes dans une situation intenable et l'un des derniers territoires de France à être encore archaïquement enclavé à ce point. Les 16 kilomètres pour rejoindre l'autoroute à partir de Thonon-les-Bains se font par des routes départementales qui traversent des communes avec de gros ralentissements et des problématiques importantes liées à la sécurité », pointe Nicolas Rubin, premier vice-président du conseil départemental de Haute-Savoie.

Celui qui est également maire de Chatel et président de l'association des maires 74, rappelle : « Nous avons plusieurs centaines de poids-lourds et des milliers de véhicules qui chaque jour se dirigent vers la jonction autoroutière. C'est intenable pour les communes actuellement traversées ».

Même satisfaction du côté du Medef de Haute-Savoie, qui dénonce depuis longtemps un enclavement du Chablais :

 « C'est absolument ubuesque d'avoir un morceau de notre territoire de Haute-Savoie qui ne s'inscrit pas dans le développement global du département. Nous avons aujourd'hui un problème de foncier, aussi bien pour l'habitat que pour le développement économique. Nous devons utiliser toutes les ressources disponibles sur le territoire mais pour cela, il faut forcément des connexions pour permettre aux salariés de se déplacer. Aujourd'hui, c'est compliqué pour eux d'aller et venir sur le Chablais aussi bien par la route que par le train », explique ainsi Christophe Coriou, délégué général du Medef 74.

Des arguments que ne partagent pas un certain nombre d'opposants. Notamment deux associations locales - l'Association de Concertation et de Proposition pour l'Aménagement et les Transports (ACPAT) et Action Abandon Autoroute Chablais (3AC)-, mais aussi la Ville de Genève, cette dernière refusant de faciliter l'accès à son territoire par la voiture. Ces trois acteurs avaient déposé en 2020 des recours en annulation de la DUP. Recours invalidés par le Conseil d'Etat.

Nicolas Rubin commente en ces termes ces deux types d'opposition : « Cette prise de position de Genève empiète à la fois sur l'ingérence et la méconnaissance du besoin. Nous ne nous exprimons jamais sur les choix de Genève, cet état qui aspire notre main d'œuvre avec près de 100.000 frontaliers qui traversent la frontière chaque jour. Quand l'A41 Annecy - Genève a été réalisée pour faciliter l'accès vers la Suisse, on n'a pas entendu les employeurs genevois se plaindre ! Il serait diplomatiquement raisonnable que les personnes de Genève qui s'expriment contre notre projet intègrent cette part de raison ».

Quant aux associations environnementales, Nicolas Rubin estime qu'elles « se braquent contre un projet qui servira la mobilité, améliorera incontestablement les conditions environnementales et supprimera les marches/arrêts/ accélérations/décélérations, sources de forte consommation au sein des communes traversées ».

Une annonce surprise pour les opposants

L'annonce de l'entrée en négociations exclusives avec Eiffage et APRR a surpris ses opposants. Et le mot est faible. Ils en étaient en effet restés aux propos de Clément Beaune, l'ex-ministre délégué chargé des Transports, jusqu'à l'arrivée du nouveau gouvernement Attal le 9 janvier dernier. Celui-ci avait en effet déclaré, en tout début d'année, vouloir réexaminer la pertinence d'un certain nombre de projets autoroutiers, dans une volonté de priorisation des transports ferroviaires notamment.

 « A l'automne dernier, nous avions été interrogés par les services de Clément Beaune, nous avions des arguments solides, notamment celui d'une étude d'impact socio-économique faite dans le cadre de la DPU de 2019 qui n'était plus du tout au gout du jour. En effet, depuis, le Léman Express a été mis en place et connait un succès phénoménal. On pensait avoir été entendus mais Clément Beaune n'est plus là... », s'indigne Elizabeth Charmot, porte-parole de l'ACPAT.

Pour elle, un Léman Express dimensionné correctement (ce qui ne serait pas le cas actuellement) et la concrétisation du projet de bus à haut niveau de service, rendent inutile l'A412.

 « Au niveau environnemental, ce projet est catastrophique, il va conduire à la destruction de zones humides et agresser la biodiversité. Tout cela pour une autoroute inutile. On nous parle d'un territoire enclavé. Et pourtant, à Thonon-les-Bains, il y a des grues partout pour construire des bâtiments. Est-ce que les entreprises et les particuliers viendraient s'installer ici si c'était si difficile de se déplacer ? », s'interroge-t-elle.

Mais elle l'assure, « rien n'est perdu, une DUP tombe au bout de dix ans. Tout sera fait pour retarder ou effacer définitivement ce projet d'A412 ». Un recours en abrogation, déposé en septembre dernier, n'a d'ailleurs pas encore été examiné par le Conseil d'État.

De son côté Eiffage, qui sait probablement marcher sur des œufs sur ce dossier, met en avant, une « intégration écologique allant au-delà des exigences réglementaires » avec « des modes constructifs bas carbone » et une « politique volontariste de préservation de la biodiversité » ainsi que « de restauration des services écosystémiques ».

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Commentaires 3
à écrit le 29/02/2024 à 23:40
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Se serait un nom sans de penser que le train devrait remplacer cette autoroute, nous sommes sur réseau ferroviaire qui a été construit il y a un peu plus de 70an même avec des vagons neuf le train roule à la même vitesse que Celui des eaux EVIAN,donc...

à écrit le 29/02/2024 à 23:37
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Se serait un nom sans de penser que le train devrait remplacer cette autoroute, nous sommes sur réseau ferroviaire qui a été construit il y a un peu plus de 70an même avec des vagons neuf le train roule à la même vitesse que Celui des eaux EVIAN,donc...

à écrit le 29/02/2024 à 22:04
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Marchilly !!!! et vs voudriez que l'on paye pour vos grosses erreurs !!!!

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