Les fromages AOP d'Auvergne demandent désormais officiellement aux pouvoirs publics d'exonérer les indications géographiques (IG) du Nutri-Score. L'Association des Fromages Traditionnels des Alpes Savoyardes et plus largement le Conseil National des Appellations d'Origine Laitières (Cnaol) sont au même diapason, confirme Sébastien Breton, directeur des fromages de Savoie et secrétaire général du Cnaol.
"Une demande qui a été portée auprès du Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. En parallèle, le Cnaol mène une campagne d'information auprès des parlementaires pour leur faire prendre conscience de cette anomalie du Nutri score", explique Sébastien Breton.
Le Nutri-Score pourrait en effet devenir obligatoire, en France et à travers l'ensemble de l'Union européenne, dès fin 2022. Un classement qui vise à informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des produits vendus en grande surface, selon un système de couleurs (du vert à l'orange foncé) et de lettres (de A à E) qui identifient si un produit contient trop de gras, de sel et de sucre.
Un mode de calcul contesté pour les fromages
Mais ce projet désespère les producteurs régionaux. En effet, selon les critères en vigueur, des produits industriels risquent d'être mieux classés que la plupart des produits fermiers locaux.
"Un Nutri-Score mal classé, D ou E, peut laisser penser au consommateur que nos fromages AOP ne sont pas des produits de qualité. Malheureusement 95 % des fromages AOP sont classées en D ou E", décrypte Aurélien Vorger, directeur des AOP Bleu d'Auvergne et Fourme d'Ambert.
"Le mode de calcul du Nutri-Score n'est pas adapté à nos produits. Il ne tient pas compte de la qualité des probiotiques ou des qualités nutritionnelles, des vitamines particulières que l'on trouve dans nos pâtes persillées, par exemple. Ni du régime alimentaire et du contexte dans lequel sont consommés les fromages", ajoute Aurélien Vorger.
Selon le directeur des AOP Bleu d'Auvergne et Fourme d'Ambert, le Nutri-Score est en effet calculé sur une base de 100g de produit, alors qu'en France, la consommation moyenne de fromage est de 30g par jour. "Des chercheurs suédois viennent d'ailleurs de démontrer que manger du fromage diminuerait les risques d'accidents cardiovasculaires. Ce Nutri-Score va à l'encontre de ce qu'il faudrait faire", ajoute-t-il.
Les producteurs ont également le sentiment que le Nutri-Score envoie un signal discordant sur les pratiques qu'ils ont d'instauré grâce à leurs cahiers des charges : "Les conditions de production des AOP sont consignées dans un cahier des charges strict et transparent, validé par l'État et la Commission européenne. Elles sont l'expression d'un savoir-faire ancestral et unique sur une zone géographique donnée que nous n'allons pas modifier pour améliorer le Nutri-Score", témoigne Aurélien Vorger.
Ainsi, pour faire baisser le taux de matière grasse ou pour améliorer la note globale, "il faudrait faire entrer dans la composition de nos fromages des excipients/additifs, ce qui irait complètement à l'encontre du travail des producteurs et du principe de l'appellation. Or, nos produits sont des produits simples", expose le directeur des AOP Bleu d'Auvergne et Fourme d'Ambert.
Deux visions qui s'opposent
Pourtant, "l'idée de cet outil n'est pas d'asséner des mauvaises notes mais de rendre leur pouvoir aux consommateurs, ainsi que la possibilité de faire des choix éclairés pour leur santé", argumentent les défenseurs du Nutri-Score. Leur intention n'est pas de proscrire les produits notés « E », mais de rappeler que ceux-ci ne peuvent pas constituer la base de l'alimentation.
"Il y a déjà des personnes qui basent leur choix alimentaire sur cet outil. Cette situation crée de la confusion chez les consommateurs et pourrait avoir des conséquences considérables pour les filières et les économies associées. Quelle serait la suite logique du Nutri-Score est-ce que l'on interdirait aux enfants les Nutri-Score D ou E ? Est-ce qu'il ne seraient plus autorisés dans les cantines ?", interpelle Aurélien Vorger.
A contrario de cette étiquette, la loi EGalim prévoit par exemple déjà que la restauration collective propose 50 % de produits de qualité et durables au 1er janvier 2022. Elle met notamment en avant les productions de qualité, sous AOP et indication géographique protégée (IGP). De quoi en perdre son latin.
En Europe, sept pays sont engagés en faveur du Nutri-Score : la France, la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse. Une gouvernance a été mise en place entre ces pays, comprenant notamment un comité scientifique.
Une mobilisation à l'échelle française
La filière AOP mobilise actuellement les élus et les décideurs pour obtenir l'exemption. Aurélien Vorger et toute la filière restent attentifs. "Il faut aussi voir comment ça va évoluer du côté des parlementaires. Nous demandons à ce que le Nutri-Score ne soit pas appliqué sur nos produits de qualité aux ingrédients simples. Nous sommes beaucoup plus favorables à des campagnes pour la santé comme celle : manger bouger ; 5 fruits et légumes par jour qui, à notre avis, sont plus efficaces et plus cohérentes."
"Nous sommes très conscients des attentes sociétales et nous sommes déjà engagés dans une démarche AOP laitières durables, qui cherche ainsi à répondre aux trois piliers du développement durable : social, économique et environnement", complète Sébastien Breton, directeur des fromages de Savoie et secrétaire général du Cnaol.
De quoi aller selon lui bien encore plus loin que les strictes exigences des cahiers des charges qui régissent les appellations, en dépassant leur promesse d'origine et de qualité. Aux côtés de la filière, celui-ci fait le pari que cet axe de communication pourrait ainsi séduire le grand public, et désamorcer ainsi les effets potentiellement délétères du Nutri-Score.
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