Sans ski, y aura-t-il de la raclette à Noël ? En Savoie, la filière fromages s'organise

NOEL AVANT L’HEURE, EPISODE 4. Alors que les stations passent leur premier hiver sans remontées mécaniques en raison des contraintes sanitaires, la saison en stations n’a pas vraiment démarré. Et pourtant, le mois de décembre marque habituellement un pic dans la consommation d’un fromage 100% local : la raclette. Retour avec un acteur majeur du territoire, la Coopérative du Val d’Arly, pour détailler le plan de match des producteurs de fromages pour ces fêtes.
Cette année, la raclette se consommera d'abord en ligne... La vente à distance ayant explosé de 30 à 40% pour la Coopérative du Val d'Arly sur les fromages à fondue et raclette.
Cette année, la raclette se consommera d'abord en ligne... La vente à distance ayant explosé de 30 à 40% pour la Coopérative du Val d'Arly sur les fromages à fondue et raclette. (Crédits : DR/SavoieMontBlanc/Bijasson)

En ce 25 décembre, les stations des Alpes sont habituellement plongées au cœur de leur saison, qui entraîne avec elles un grand nombre de professionnels du tourisme et de la restauration. Rien que dans la région Auvergne Rhône-Alpes, les stations emploient près de 100.000 saisonniers l'hiver, la région étant dotée du plus grand domaine skiable au monde. Avec, à l'intérieur, cinq zones et massifs (la Tarentaise, le Mont Blanc, le Chablais, la Maurienne et la Vallée de l'Arve) qui emploient près de 12.000 salariés.

Avec le coup d'arrêt des remontées mécaniques, c'est actuellement l'ensemble de la chaîne des acteurs du tourisme qui se retrouve grippée cette année. Avec parmi eux en bout de ligne, les producteurs de fromage. Car les Alpes, et notamment les territoires de Savoie et Haute-Savoie, sont le berceau de plusieurs AOP et IGP et de plats emblématiques, à commencer par la Raclette de Savoie.

Ce fromage fondant si typique, est protégé par une appellation IGP (Indication Géographique Protégéequi lui garantit le respect d'un certain nombre de critères assurant sa qualité : affiné sur planches en bois pour une durée de huit semaines minimum, ce fromage est notamment garanti sans pasteurisation ni additifs. Avec un volume de production atteignant les 3.200 tonnes l'an dernier, la Raclette de Savoie IGP fait vivre une chaîne rassemblant près de 700 producteurs de lait IGP, ainsi que 15 fruitières et 10 producteurs fermiers, mais aussi cinq affineurs à l'échelle du territoire.

Avec, parmi eux, la Coopérative du Val d'Arly : basé au carrefour des deux Savoie à Flumet, cet établissement fondé en 1969 regroupe aujourd'hui 80 producteurs en gestion directe. Elle a bâti son développement, depuis une dizaine d'années, sur la mise en place d'un réseau local de proximité, reposant notamment sur la création d'un magasin de vente directe ainsi que d'une centrale commerciale destinée à assurer sa distribution auprès des restaurants et des collectivités, qui représentent un tiers de son chiffre d'affaires.

« Nous avons la chance d'avoir un territoire fort grâce à ses appellations AOP et IGP, qui vont bien au-delà du reblochon, avec des produits comme le Beaufort, la Tomme de Savoie, etc », atteste Philippe Bouchard, directeur de la Coopérative fruitière du Val d'Arly.

Une diversification autour de plusieurs fromages

Une diversification qui se constate au sein de ses volumes : ses 80 producteurs lui permettent d'assurer une production de 1.100 tonnes de Reblochon par année (soit 7 à 8 % de l'appellation), de 250 tonnes de Beaufort ou de Raclette de Savoie IGP, de 200 tonnes de Tomme de Savoie ou encore de 100 tonnes de meule de Savoie.

« Nous avions également investi dans un atelier de diversification qui permet de produire une série de produits lactés, comme un mélange pour fondues. Car avec l'évolution des modes de consommation, les clients aiment le côté convivial des mélanges à fondue ou des fromages à fondre », explique Philippe Bouchard, qui affirme ainsi disposer aujourd'hui d'une quinzaine de références de fromages différents.

Plateau de fromages de Savoie n°2

Un pari qui s'est jusqu'ici avéré payant puisqu'il a permis aux producteurs de reprendre le contrôle de leurs filières et des marges, pour pouvoir investir ensuite dans leurs propres outils, comme l'atelier de Flumet, qui collecte le lait pour les deux AOP Reblochon et Beaufort.

Passée de 18 salariés il y a une dizaine d'années à 90 aujourd'hui, la coopérative du Val d'Arly se positionne désormais comme un poids lourd à l'échelle des deux Savoie, et dispose également d'une cave d'affinage à Cluses (Haute-Savoie) et bientôt, d'une troisième cuve qui devrait naître à Sallanches. « Nous avons ensuite 5 magasins de vente directe qui se trouvent à Faverges, Flumet, Megève, Chamonix et Cluses », indique son directeur.

Et le site internet lancé il y a trois ans, résonne un peu comme son 6e magasin : « Nous l'avons refondu cette année et cela nous a permis de tripler nos ventes sur ce canal, pour attendre les 600.000 euros cette année », souligne-t-il.

L'essor de la raclette et de la fondue... en ligne

Car avec les restaurants fermés suivis, il y a quelques semaines, des remontées mécaniques demeurées closes, l'hiver a démarré à petits pas dans la région, pour se transformer par une furieuse envie de raclette des consommateurs, frustrés de ne pas pouvoir dévaler les pistes.

« Car avec les restaurants fermés, la vente en ligne et les phénomènes de pénuries, les gens ont eu peur qu'on ne manque de raclette cet hiver », reconnaît Philippe Bouchard.

Et il est vrai que la période s'est avérée particulièrement active pour les producteurs de fromage :

« Les fêtes sont toujours un bon moment pour les produits de Savoie, mais habituellement, cela est porté par une forte demande locale. Or cette année, les touristes n'étaient pas sur place, ce qui a eu un impact sur la vente directe en magasins (-30%). Pour autant, nos ventes en ligne ont en même temps bondi de 30 à 40% sur la raclette ou la fondue ! », s'exclame Philippe Bouchard.

La filière des fromages de Savoie et de Haute-Savoie aura également pu bénéficier d'une communication active des acteurs du tourisme et de la montagne au cours des derniers mois -drivée notamment par des organismes comme Savoie Mont Blanc ou encore Domaines Skiables de France, France Montagne, etc-, ainsi que d'une image de marque plus largement retravaillée à l'échelle des deux dernières années, qui a su porter aux yeux du public des facteurs comme la traçabilité, le bien-être animal ou encore le rôle de l'alimentation naturelle.

« Ces valeurs font écho aux préoccupations des consommateurs, qui souhaitent désormais acheter moins en volume mais davantage de qualité », estime Philippe Bouchard.

Réorienter la production vers les « fromages de garde »

Reste que la Coopérative du Val d'Arly peine, malgré cet engouement, à s'y retrouver sur le terrain des volumes de fromages vendus depuis la crise sanitaire, alors que sa croissance était jusqu'ici tirée par la consommation générée par les restaurants et les touristes en stations.

Fondue de Savoie

« Nous avions même progressé de 20% entre novembre et février dernier, grâce à la vente en ligne et à la dynamique locale. Mais aujourd'hui, nous affichons encore un manque à gagner de 400.000 euros sur un chiffre d'affaires de 18 millions. La saison a été coupée du jour au lendemain à deux reprises, alors que nous travaillons avec près de 500 restaurants... »

Et ce, alors que du côté des laiteries, la production ne s'est pas tarie sur la même période : « Cette période demeure très compliquée à gérer en termes de pilotage pour nous qui travaillons le lait, car nous ne pouvons pas mettre à l'arrêt la production, nos vaches produisent 7 jours sur 7 », rappelle Philippe Bouchard.

Les producteurs ont donc choisi de réorienter leur lait vers des fromages de garde à l'affinage long, comme les meules de Savoie, la Raclette de Savoie, etc. De quoi sécuriser les longues soirées d'hiver à venir, gustativement parlant du moins. Un choix d'autant plus assumé qu'à l'inverse, « il aurait été très difficile de ne produire que du reblochon, qui affiche des dates de consommation courtes », glisse-t-il.

La reprise tant attendue aura-t-elle lieu ?

Sa principale préoccupation reste désormais tournée vers « la reprise », tant attendue et espérée, mais dont les contours demeurent flous, et de plus en plus mouvants. Car les ventes réalisées sur les quatre mois d'hiver (de novembre à février) représentent, pour la Coopérative du Val d'Arly, près de 40% de son chiffre d'affaires.

« Si la fermeture des remontées se poursuit, il nous faudra trouver de la trésorerie », atteste Philippe Bouchard, qui glisse avoir déjà consommé un PGE d'un million d'euros.

Il songe déjà à faire appel à un retour des mesures de chômage partiel, si les stations ne sont pas en mesure de redémarrer début janvier. « C'est terrible que l'on vit, car on a investi près de 2 millions d'euros sur de nouvelles cuves d'affinage et une boucherie intégrée pour valoriser notre production. Nous sommes sur le bon créneau de la coopérative de montagne, soutenu par une demande accrue autour des produits locaux et des enjeux de traçabilité, mais nous ne pourrons pas faire notre saison si les stations n'ouvrent pas... ».

Il entrevoit déjà l'année 2021 comme « compliquée » et estime qu'il faudra probablement attendre 2022 avant que tout ne reparte comme avant, ou presque.

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