« Soitec poursuivra sa croissance, tout en réduisant sa consommation de ressources naturelles » (Cyril Menon, Directeur général adjoint en charge des opérations)

Géant de la fabrication de semi-conducteurs aux côtés de STMicroelectronics et bientôt de GlobalFoundries dans la vallée du Grésivaudan, près de Grenoble (Isère), Soitec consomme de grandes quantités d’eau pour sa production de substrats en direction de la microélectronique (informatique, transports). La société, qui inaugurera fin septembre une nouvelle usine dans la « silicon valley à la française » en vue de doubler sa production vers le marché des voitures électriques, détaille à La Tribune les mesures qu'elle entend mettre en place afin de « poursuivre » sa croissance (de 6 % chaque année depuis six ans), « en réduisant » sa consommation de ressources naturelles. Dont l'eau, qu'elle souhaite retraiter et réutiliser en partie sur ses sites isérois, à condition de trouver un terrain d'entente avec le territoire. Entretien avec Cyril Menon, directeur général adjoint en charge des opérations.
Cyril Menon, directeur des opérations chez Soitec  : « Grâce aux économies d'eau réalisées, le démarrage de la nouvelle unité de Bernin 4, lui, se fera sans consommation d'eau supplémentaire par rapport aux volumes déjà autorisés pour les unités existantes. A doublement de la production d'ici à 2026, nous ne franchirons pas cette barre, malgré la forte activité dans la nouvelle usine ».
Cyril Menon, directeur des opérations chez Soitec : « Grâce aux économies d'eau réalisées, le démarrage de la nouvelle unité de Bernin 4, lui, se fera sans consommation d'eau supplémentaire par rapport aux volumes déjà autorisés pour les unités existantes. A doublement de la production d'ici à 2026, nous ne franchirons pas cette barre, malgré la forte activité dans la nouvelle usine ». (Crédits : Soitec)

LA TRIBUNE- Quelles sont les spécificités des activités de Soitec sur l'utilisation de l'eau ? Quelles quantités d'eau prélève et consomme l'entreprise chaque année ?

CYRIL MENON- Les prélèvements en eau de l'industrie des semi-conducteurs sont, et nous en avons conscience, importants. Il s'agit d'une ressource rare, précieuse, dont l'accès doit être garanti à tous. Actuellement, nos prélèvements sont compris entre 1,1 et 1,2 million de m3 chaque année sur nos sites isérois, pour un seuil réglementaire fixé à 1,4 million de m3. Nous les captons dans une nappe alluviale, sous le cours d'eau de la Romanche, qui a la particularité d'être très pure, et en restituons 95 % au milieu naturel, à l'Isère, après un traitement de pointe. Notre objectif est de réduire de 50 % la consommation d'eau par unité produite d'ici à 2030 par rapport à 2021, sur l'ensemble de nos sites, Singapour compris.

La société des Eaux de Grenoble Alpes remarquait en 2021, dans son rapport d'activité, « l'augmentation constante des volumes délivrés pour répondre aux besoins des industriels de ST Microelectronics et Soitec », dans un « contexte d'atteinte des limites structurelles des installations ». Votre société prévoit de doubler sa production de substrats d'ici à 2026 avec le lancement d'une nouvelle unité, Bernin 4, à la fin du mois de septembre. Comment Soitec entend-t-elle réduire sa consommation d'eau (par unité produite) au regard de la multiplication par deux de ses activités ? Ses prélèvements en eau vont-ils quand même augmenter ?

Soitec connaît depuis plusieurs années une croissance assez forte. Nous avons réussi à multiplier notre chiffre d'affaires par six lors des six dernières années. Il nous tient à cœur de poursuivre cette croissance, et de faire en sorte que cette performance soit durable, en réduisant l'utilisation des ressources naturelles. C'est un sacré défi, qui nécessite des idées et des investissements. Mais nous ne nous affranchirons pas des prélèvements en eau. En revanche, nous pouvons d'ores et déjà jouer sur les procédés de fabrication. L'année dernière, nous avons à ce titre réussi à réduire de 25 % la consommation de l'usine Bernin 2. Grâce aux économies d'eau réalisées, le démarrage de la nouvelle unité de Bernin 4, lui, se fera sans consommation d'eau supplémentaire par rapport aux volumes déjà autorisés pour les unités existantes. A doublement de la production d'ici à 2026, nous ne franchirons pas cette barre, malgré la forte activité dans la nouvelle usine.

Soitec, Bernin (Isère).

Travaillez-vous, dans vos programmes de recherche et développement, sur la réutilisation d'eaux de process (industrielles) et des eaux usées, qui figurent notamment dans les grands axes du « plan eau » présenté par le gouvernement cette année, et qui prévoit la réduire de 30 % des consommations d'eau dans tous les secteurs d'ici à 2030 ?

Nous mettons depuis quelques années en œuvre le recyclage des eaux utilisées sur nos sites. En un an, nous sommes passés de 16 à 24 % de réutilisation des eaux de process, redevenues pures, et nous souhaitons dépasser les 30 % d'ici la fin de la décennie. Nous nous attachons également à trouver des sources d'eau alternatives. Dans la vallée du Grésivaudan, près de 6 millions de m3 d'eau usées sont rejetés par les stations d'épuration. C'est une source intéressante si nous arrivons à retraiter les eaux usées, puis à les acheminer sur nos sites, comme ce que nous faisons déjà à 98 % à Singapour. Aujourd'hui, l'ensemble de ces actions intègrent une enveloppe de 30 millions d'euros dédiée au développement durable et ajoutée à notre effort d'investissement.

Lire aussiÉconomies d'eau : Christophe Béchu appelle « toute la filière industrielle à se mobiliser »

Sur la réutilisation des eaux usées traitées, comment s'organise la concertation avec le territoire et les acteurs publics pour la décision (son sens pour la collectivité) et le financement des installations associées, ainsi que des réseaux ?

Nous étudions en ce moment la question avec l'Observatoire de l'eau, mis en place en mars 2023 avec la Communauté de communes du Grésivaudan et l'ensemble des acteurs. D'abord, nous avons mené une étude pour comprendre et analyser nos consommations et nos rejets. Mais nous ne disposons pas encore d'une visibilité globale sur le bassin d'emploi. La prochaine étape consiste à l'optimiser avec l'ensemble des parties prenantes. Par exemple, la réutilisation des eaux usées traitées constitue un défi technologique, mais aussi un défi de distribution entre le réseau d'eau potable et non potable.

Depuis le 1er juillet 2023, Soitec paye sa consommation d'eau au même tarif que les particuliers. Quel est son coût ? A quel point l'argument économique pèse-t-il dans la balance ?

Cette hausse représente une somme importante, de l'ordre de plusieurs centaines de milliers d'euros, mais ce n'est pas notre plus gros sujet. Quand les ressources sont précieuses, elles doivent avoir un prix. Faisons une analogie avec l'énergie : le prix constitue un facteur incitatif, comme un autre. Pour donner un exemple : depuis 2022, nous lions l'utilisation efficace de l'eau au plan de rémunération des salariés, jusqu'au directeur général - et nous sommes la première société SBF 120 (les 120 plus grandes entreprises françaises) à l'avoir fait. Cela passe par l'ajout d'un critère sur la consommation d'eau, sur lequel sont indexées la prime d'intéressement et les actions gratuites distribuées aux salariés. Ce n'est pas une garantie, mais une motivation autour de l'importance de ce sujet.

Soitec, substrat de carbure de silicium

Sur les prélèvements et les rejets d'eau dans le milieu naturel, la question des températures se pose, ainsi que celles de la sécheresse et des débits, plus faibles. Ces éléments constituent-ils des limites pour les usages industriels de Soitec ? L'entreprise module-t-elle sa production en raison de facteurs climatiques, en amont comme en aval ?

Notre source n'est pas en pénurie et il n'est pas prévu qu'elle le soit. Par exemple, en 2022, au moment de la sécheresse, nous n'avons pas été contraints. Bien sûr, ce n'est pas une raison pour ne pas réduire nos prélèvements. Le facteur climatique a surtout joué sur nos consommations d'énergies, particulièrement sur les surconsommations. Notre industrie fonctionne en effet sept jours sur sept, 24 heures sur 24, sans saisonnalité.

Vous allez inaugurer à la fin du mois de septembre l'unité de production Bernin 4, pour la fabrication de votre nouveau substrat de carbure de silicium SmartSiC, en direction du marché des mobilités électriques. Quelles sont vos perspectives de commercialisation ?

Notre technologie, SmartSiC, arrive après plusieurs années de recherche et de développement dans sa phase industrielle. Notre nouvelle usine dédiée à ce produit pourra, à pleine capacité, alimenter l'ensemble de la consommation des véhicules électriques en Europe, avec des nouveaux composants qui réduisent la consommation des batteries de l'ordre de 10 à 15 %. En traduction, la distance parcourue s'allonge et la recharge est plus rapide, grâce à une montée de la tension. L'utilisation de ce nouveau matériau permet également de réduire de 70 % les émissions de gaz à effet de serre à la fabrication par rapport aux technologies en carbure de silicium existantes. Aussi, grâce à ce nouveau produit, nous avons l'ambition de gagner 30 % du marché mondial de la voiture électrique d'ici à 2028.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.