Aéronautique : face au risque russe, la filière titane auvergnate prête à devenir un socle pour l'Europe

La récente visite du ministre délégué chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebbari au sein des forges d’Aubert & Duval, n'est pas anodine pour la filière du titane. Le groupe Eramet occupait déjà un rôle stratégique dans l’indépendance de l’Europe, à travers ses sites de production Ukad et Ecotitanium. Et désormais face aux impacts de la guerre en Ukraine, avec la Russie qui jouait jusqu'ici le rôle de première source d'approvisionnement mondiale pour l'aéronautique, la filière auvergnate s'apprête à repenser sa souveraineté industrielle aux côtés du gouvernement, dans le cadre du nouveau plan Résilience.
Utilisé entre autres dans le fuselage et les pièces de structure des avions civils et militaires, les alliages en titane sont devenus un point d'approvisionnement stratégique et critique pour le secteur de l'aéronautique, à l'heure où la Russie représente encore la première source d'approvisionnement en titane de l'industrie aéronautique mondiale.
Utilisé entre autres dans le fuselage et les pièces de structure des avions civils et militaires, les alliages en titane sont devenus un point d'approvisionnement stratégique et critique pour le secteur de l'aéronautique, à l'heure où la Russie représente encore la première source d'approvisionnement en titane de l'industrie aéronautique mondiale. (Crédits : Reuters)

Dans le contexte actuel de guerre en Ukraine qui met à risque les approvisionnements en titane, la filière du titane a pris un tout autre tournant, notamment en Auvergne.

C'est là qu'Aubert & Duval (filiale de la branche Alliages du groupe Eramet) a bâti depuis quelques années la seule filière en Europe de production d'alliages de titane pour l'aéronautique.

Composée de ses filiales EcoTitanium et UKAD, cette branche est née d'un partenariat stratégique entre Aubert & Duval et UKTMP (spécialiste kazakh de la fabrication d'éponge de titane), avec le concours de l'Etat (ADEME) et du Crédit Agricole, sous l'égide du groupe Airbus, premier client d'Aubert & Duval.

A l'heure où la Russie représente encore la première source d'approvisionnement en titane de l'industrie aéronautique mondiale, la filière titane auvergnate peut quant à elle se targuer d'être parvenue jusque là à sécuriser les approvisionnements d'Aubert & Duval et de ses clients, dont Safran, Airbus, et plus largement le secteur de la Défense :

"La seule conséquence du conflit est pour l'instant que notre fournisseur du Kazakhstan doit chercher d'autres voix de transport que celles habituelles", confirme Eramet, qui fait face à quelques problèmes logistiques, même s'il indique qu'il n'existe pas d'inquiétudes à "court terme" à ce jour, puisque le groupe possèderait suffisamment de réserves pour le moment.

Une première joint-ventre pour devenir un fournisseur européen de référence

Un positionnement qui lui a valu la visite du ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari sur les sites d'EcoTitanium et Ukad, la semaine dernière. Et celle-ci était loin d'être le fruit du hasard dans un contexte économique et géopolitique aussi tendu :

« Nous nous félicitons des soutiens reçus de la part des pouvoirs publics, notamment dans le cadre du Plan France Relance. Ce soutien est essentiel pour poursuivre le développement de cette filière critique pour la souveraineté industrielle française et européenne », a affiché Jérôme Fabre, président d'Aubert & Duval (filiale de la branche Alliages du groupe Eramet).

Car dans le cadre du plan "France Relance", Aubert et Duval et ses filières titane ont déjà reçu "plusieurs millions d'euros d'aides" pour développer de nouveaux alliages de titane. Avec l'ambition déjà posée de devenir "le fournisseur européen de référence d'acier spéciaux et de superalliages de titane pour l'aérospatiale, la défense et l'énergie".

Dans cet objectif, au début de l'année, Aubert & Duval avait également racheté la totalité d'UKAD, qu'il détenait en coentreprise avec le kazakh UKTMP. Le titane est un matériau incontournable pour certaines applications stratégiques (aéronautique & espace, nucléaire, militaire, etc.).  L'usine EcoTitanium a ensuite été inaugurée en septembre 2017.

Depuis que la joint-venture UKAD, sous l'impulsion du groupe Aubert & Duval, a choisi d'investir dans une capacité de fusion dédiée au recyclage des déchets de titane sur le site de Saint-Georges-de-Mons, la filière UKAD tire aussi profit des effets de l'économie circulaire pour sa propre production. Elle revalorise également sur place des déchets qui, très majoritairement, étaient exportés vers les USA. Le titane est recyclé dans un four plasma (PAM) adapté aux alliages hauts de gamme.

La filière titane au coeur du plan Résilience

Et le rôle de cette filière ne devrait pas s'arrêter là puisque dans son discours du 16 mars dernier, le Premier ministre Jean Castex annonçait des ambitions qui rejoignaient celle de la filière. Il évoquait notamment le fait que le plan de résilience économique et sociale à venir doit aussi "viser à nous protéger dans la durée en poursuivant deux objectifs stratégiques : accélérer la sortie des énergies fossiles et renforcer notre souveraineté industrielle et alimentaire."

L'une des priorités clairement affichée porte désormais sur la souveraineté technologique, industrielle et alimentaire. "Très concrètement, il s'agit d'accélérer la sécurisation de l'approvisionnement en intrants critiques pour nos grandes filières industrielles, qu'il s'agisse du nickel, de l'aluminium, du cuivre, du titane" précisait alors Jean Castex.

Sur ces sujets de souveraineté, les ministres s'apprêtent donc désormais, en lien étroit avec les filières, à faire des propositions opérationnelles rapidement, et c'était là l'objet de la visite de Jean-Baptiste Djebbari.

Pour cela, ils pourront aussi s'appuyer sur des travaux préalables : en 2019 déjà, à la demande des acteurs de l'industrie aéronautique, une enquête avait été menée par le groupe titane en vue d'évaluer l'intérêt de développer une offre de produits plats titane, en France ou en Europe.

"La motivation première de cette demande était liée au constat que les sources d'approvisionnement sont restreintes à un nombre d'acteurs limité et qu'aucun d'entre eux n'est européen", affirmait cette étude de veille sur le marché du titane 2018 - 2020, pilotée par le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire.

"Cette initiative a débouché sur l'émergence d'une filière européenne de production de produits plats associant le producteur autrichien Voestalpine BÖHLER Aerospace pour les opérations de laminage et UKAD/Ecotitanium pour la fourniture de brame titane. L'objectif est de qualifier cette filière en 2020/2021 et de monter progressivement en charge la production à l'horizon 2024", confirme l'étude.

En 2020, les capacités de production mondiales étaient ainsi estimée à 323.800 tonnes par an. Presque la moitié était localisée en Chine, le reste situé en Europe de l'Est (Russie, Kazakhstan et Ukraine), au Japon et Arabie-Saoudite. Et en Europe occidentale, UKAD se positionnait ainsi déjà comme la seule usine de retraitement, EcoTitanium disposant d'une unité de fusion plasma compatible avec les exigences de qualité aéronautique.

Après la fermeture de la branche titane du groupe allemand Thyssen en 2009, la France est ainsi le seul pays européen à s'être doté d'une filière industrielle sécurisée en amont et disposant de sa propre capacité de recyclage, dotant l'Europe d'un outil d'indépendance et d'autonomie sur ce marché stratégique.

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Commentaires 2
à écrit le 06/10/2022 à 11:31
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l aeronautique va devoir arreter le dangereux alliage Ti-6-4 non fiable (au froid)

à écrit le 10/04/2022 à 13:49
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Bonjour, il existe aussi une filière française avec TIMET Savoie qui produit exactement la même chose qu’UKAD. Les capacités de production sont même plus importantes. Pourquoi La Tribune oublie toujours de parler de cette filière ?

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