Guerre en Ukraine : ces questions (déjà très concrètes) qui se posent aux filières industrielles

Alors que la ministre déléguée en charge de l'Industrie, Agnès Pannier Runacher, s'apprête à réunir les filières industrielles ce mercredi après-midi, les industriels de la région sont en alerte. Approvisionnements, embargo, marque employeur, solvabilité des clients russes… les interrogations sont déjà nombreuses sur le terrain, alors que le Ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, promettait hier matin sur France Info, un "effondrement de l'économie russe" grâce à "une guerre économique et financière totale à la Russie".
Le président de la filière mécanique et métallurgique rhodanienne évoque déjà des inquiétudes concernant le néon et le palladium, deux matières premières sont essentielles par exemple à l'industrie des semi-conducteurs.
Le président de la filière mécanique et métallurgique rhodanienne évoque déjà des inquiétudes concernant le néon et le palladium, deux matières premières sont essentielles par exemple à l'industrie des semi-conducteurs. (Crédits : Kim Kyung Hoon)

"Les craintes liées au Covid commencent juste à s'éloigner et nous voilà déjà replongés dans une nouvelle crise", soupire Daniel Roché, délégué général de l'UIMM Loire. Alors qu'Agnès Pannier Runacher, la ministre déléguée en charge de l'industrie, doit justement réunir les filières industrielles ce mercredi après-midi, en vue de faire un point sur les besoins et les interrogations, le climat est de nouveau à la gestion de crise jusqu'en Auvergne Rhône-Alpes. Et pour cause : la première région industrielle française avait déjà tissé des liens commerciaux stratégiques avec la Russie et l'Ukraine.

De même que les conseillers au commerce extérieur (CCE), l'organisation patronale de la filière métallurgique ligérienne a elle-même lancé ce début de semaine auprès de ses adhérents, un recensement des problématiques en lien avec le conflit en Ukraine. Et elles semblent nombreuses.

"Les mails arrivent en nombre avec des questions pratiques, des témoignages, des inquiétudes. Les entreprises sont sur le qui-vive, elles sont en train d'appréhender les conséquences qu'elles pourraient subir".

Bruno Voland, président de l'UIMM Lyon Rhône confirme : "il est encore trop tôt pour évaluer exactement l'impact, mais il est certain que les industriels surveillent de très près la situation".

La question de l'approvisionnement

Au-delà du prix du gaz qui devrait être impacté  - "en amplifiant encore la tendance de ces derniers mois" observe Bruno Voland -, les inquiétudes des industriels portent sur le cours de l'acier et en particulier du titane, un alliage utilisé notamment par les acteurs de l'aéronautique et de la santé.

Jean-Michel Péguet, le dirigeant de la PME Evolutis dans la Loire, spécialisée dans la fabrication de dispositifs orthopédiques (CA 2021 : 34 millions d'euros; 120 salariés), s'interroge :

"Le titane est fabriqué à partir de minerais, issus majoritairement de Russie. Le prix du titane va forcément augmenter. Dans quelle mesure, nous ne pouvons pas encore le dire, mais ce qui est certain, c'est que cela aura un impact sur notre marge. Nous ne serons pas en capacité de répercuter ces hausses, au moins en France où la Sécurité Sociale réduit les remboursements".

Côté aéronautique, les inquiétudes sont également au rendez-vous quant au titane mais Frédéric Antras, manager d'Aerospace Cluster Auvergne Rhône-Alpes ne veut pas tirer la sonnette d'alarme trop vite.

"Il est vrai que le titane russe représente une bonne partie des approvisionnements en titane de la filière. Ce sont les constructeurs qui qualifient ces approvisionnements. Or, les grands donneurs d'ordre comme Safran ou Airbus indiquent qu'ils devraient pouvoir faire face grâce à des surstocks et à des approvisionnements diversifiés".

Enfin, Bruno Voland, le président de la filière mécanique et métallurgique rhodanienne évoque des inquiétudes concernant le néon et le palladium. Ces deux matières premières sont essentielles par exemple à l'industrie des semi-conducteurs. L'Ukraine et la Russie en sont des pourvoyeurs majeurs. Pour l'instant, l'heure n'est pas à l'affolement.

Chez PEM en Haute-Loire, spécialisée dans le traitement de surface (220 salariés; CA 2021 : 32 millions d'euros) et utilisateur de palladium pour le traitement de certaines pièces, on confirme être en forte veille sur le sujet. "Nous nous attendons à une hausse des prix. En revanche, nos fournisseurs ne semblent pas inquiets pour le moment", note Stéphane Chosson, directeur général de l'entreprise.

Le business stoppé voire redistribué

Autre motif d'inquiétude pour les industriels : la remise en cause du business réalisé dans cette zone. Là-encore, le fabricant de dispositifs orthopédiques Evolutis sera impacté. Il exporte 40% de son chiffre d'affaires et son 5e client est... un gros distributeur ukrainien avec qui la PME travaille depuis 10 ans.

"Le premier impact est humain, c'est certain, nous avons tissé des liens avec ces personnes. Il y a encore deux semaines, notre distributeur était aux côtés des chirurgiens. Aujourd'hui, il est en guerre. Nous sommes bouleversés. Le second impact est économique. Il passe habituellement une commande par semaine. Il nous a demandé de tout stopper car il ne sait pas si les commandes pourront arriver à destination".

Jean-Michel Péguet observe toutefois que cette baisse en Ukraine pourrait ironiquement être compensée par une hausse du chiffre d'affaires en Russie où ses principaux concurrents, des sociétés américaines, pourraient quitter le territoire. "En général, nos produits ne sont pas concernés par les embargos car ils s'adressent à la population".

Clextral, leader mondial de l'extrusion bi-vis à destination notamment de l'agroalimentaire (70 millions d'euros de CA en 2021, 310 salariés), réalise lui environ 5% de son chiffre d'affaires sur cette zone. L'activité est pilotée depuis un bureau basé à Moscou pour la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et l'Asie centrale.

"L'impact business sera réel, mais limité pour Clextral", rassure Gilles Maller, VP international de l'entreprise. "Ceci étant dit, nos clients de l'agroalimentaire ne sont généralement pas visés par les sanctions. La question se posera peut-être de savoir si nous souhaitons continuer à travailler les Russes mais il faut faire la différence entre Poutine et la population".

La question du paiement qui se profile plus que jamais

Reste à savoir toutefois si les industriels commerçant avec la Russie pourront être payés. "Nous aviserons", poursuit Gilles Maller, pointant que depuis 2014 déjà, les fonds arrivant de Russie devaient être très sérieusement justifiés auprès des banques.

Jean-Philippe Massardier, dirigeant de la PME stéphanoise DTF (55 salariés, CA 2021 : 20 millions d'euros dont 10 millions générés par son partenariat avec BioSpeedia sur les tests anti-Covid), réalise 15% de son chiffre d'affaires export avec cette zone.

"Nous avons beaucoup investi pour faire enregistrer nos produits ces six dernières années et nous pensions récolter le fruit de nos efforts...". Une commande de 20.000 euros a été livrée il y a trois semaines à Saint-Petersbourg, mais sera-t-elle payée ? "Rien n'est certain...".

Pour le groupe ligérien de chimie de spécialité de l'eau, SNF, la question du paiement est ailleurs : "Nos transactions passent par des banques européennes, nos clients russes pourront nous payer techniquement. La question est plutôt, en auront-ils les moyens ? La dévaluation massive du rouble laisse planer un doute sérieux sur la solvabilité à venir de nos clients russes".

Le cas échéant, là encore, l'impact ne sera pas majeur. SNF réalise 40 millions d'euros de chiffre d'affaires avec la Russie, sur un total de chiffre d'affaires groupe de 4 milliards. La zone était néanmoins promise à un développement puisque l'entreprise a investi près de 30 millions d'euros depuis quatre ans pour construire une usine en Russie. Ce projet avançait très lentement, en raison des très nombreuses autorisations nécessaires. SNF emploie une quarantaine de salariés en Russie, dont trois expatriés à qui l'entreprise a proposé un rapatriement. Qu'ils ont tous trois refusé.

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Commentaire 1
à écrit le 03/03/2022 à 8:28
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En effet plutôt de "faire les marioles" nos représentants politiques feraient mieux de gérer les nombreuses conséquences de cet engagement guerrier même si seulement financier et heureusement. Et vu la gestion désastreuse du covid les acteurs économi...

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