Défense : Cybergun rachète Verney Carron et veut défendre « un marché stratégique » pour l’Hexagone

La souveraineté en matière de défense, mesurée jusqu'aux armes de petit calibre... Face à une prise de conscience dont le catalyseur serait le conflit en Ukraine, Cybergun, un acteur mondial de l'airsoft positionné depuis 2018 sur le marché militaire, annonce la reprise de la PME stéphanoise Verney-Carron, en difficulté depuis plusieurs mois. Son ambition : redonner à l'Hexagone sa capacité de résilience sur marché lui aussi jugé stratégique.
Une enveloppe de 20 millions d'euros va être injectée à Saint-Etienne tandis que Cybergun espère ainsi que l'Etat s'engage dans cette résilience française pour, au moins, nous garantir la ligne de flottaison avec 5.000 fusils par an sur plusieurs années (...) et le maintien d'un outil de production français.
Une enveloppe de 20 millions d'euros va être injectée à Saint-Etienne tandis que Cybergun espère ainsi que l'Etat s'engage "dans cette résilience française" pour, "au moins, nous garantir la ligne de flottaison avec 5.000 fusils par an sur plusieurs années (...) et le maintien d'un outil de production français". (Crédits : DR)

"Depuis la fin de la production du Famas en 1992, la France n'a plus aucune usine capable de fabriquer en France ses armes de petit calibre", constate avec regret Hugo Brugière, le Pdg de Cybergun.

"Tous les fusils équipant nos soldats sont fabriqués à l'étranger. Quant aux munitions... La situation actuelle nous rappelle douloureusement que la guerre sur le sol européen, ce n'est peut-être pas complètement derrière nous. Imaginez une guerre, imaginez que nos pays fournisseurs réservent leurs productions nationales pour leurs propres besoins, que se passerait-il pour la France ? Est-ce que nos soldats pourraient partir au combat sans armes ? Je crois qu'il faut une véritable prise de conscience sur la nécessité d'une résilience nationale sur les armes".

Une prise de conscience dont le catalyseur serait le conflit en Ukraine, un peu comme la pandémie de Covid l'a été sur la question des capacités françaises en matière de production de masques.

Quatre offres de reprise

C'est donc avec cette ambition, assumée et affichée, de redonner à la France sa souveraineté sur les armes de petit calibre, doublée évidemment d'une ambition économique, que le Français Cybergun (47 millions d'euros de chiffre d'affaires) annonce la reprise de l'entreprise Verney-Carron. Créée en 1820, cette dernière est le plus ancien manufacturier d'armes de chasse français et la dernière armurerie industrielle à capitaux français. Ses fusils de chasse disposent d'une notoriété solide en France et à l'international où elle réalisait il y a encore peu quelque 40% de son chiffre d'affaires.

La PME stéphanoise (9 millions d'euros de chiffre d'affaires en moyenne sur les quatre dernières années ; RN 2021 estimé à -1,5 million ; 74 salariés) était en difficulté depuis plusieurs mois. "Nous étions déjà fragilisés avant le Covid, la crise a amplifié nos problèmes. Nos marchés export se sont fermés brutalement", souligne Guillaume Verney-Carron, directeur général délégué de l'entreprise familiale qu'il dirige avec son cousin Jean Verney-Carron, président du directoire.

Sous procédure de sauvegarde depuis l'automne dernier, elle se cherchait un repreneur. "Industriel et français de préférence ! ", insiste Guillaume Verney Carron. Une quinzaine de marques d'intérêt ont finalement mené à quatre offres fermes de reprise. Dont celle de Cybergun que la famille Verney-Carron a donc retenue.

"Il s'agissait de la proposition la plus ambitieuse, la meilleure pour la pérennité de l'entreprise et le maintien des savoirs-faires à Saint-Etienne", commente le directeur général. "Ensemble, nous allons former le premier acteur français des armes de petit calibre".

De l'airsoft aux armes de guerre

Historiquement positionnée depuis 1986 sur la distribution d'armes (en B2B) destinées à la pratique de l'airsoft, l'entreprise des Hauts-de-Seine a élargi, depuis 2017, son champ de tir sous la houlette de Hugo Brugière, repreneur en 2014 de Cybergun. Avec de la vente en B2C dans un premier temps puis avec un virage marqué dès 2018 vers le monde militaire, secteur avec des "marges nettement plus élevées".

"Nous avons commencé par vendre des Airsoft aux militaires pour leurs entrainements puis, l'année dernière, nous avons remporté avec l'Autrichien Glock un important marché du Ministère français de la Défense pour 85.000 pistolets à livrer sous 5 ans".

Le troisième étage de la fusée : un marché de plusieurs dizaines de millions d'euros décroché, en co-traitance avec Thales, pour équiper jusqu'à 80 sites de l'armée française en simulateurs de tir pour les dix prochaines années. Dans le cadre de ce marché, Cybergun s'était rapproché d'un sous-traitant de l'aéronautique, Valantur, dont il a finalement pris le contrôle l'année dernière. Cybergun dispose ainsi désormais de deux divisions : sa division civile historique pesant 30 millions d'euros et sa division militaire (20 millions d'euros).

"Nous surveillions Verney-Carron depuis trois ans. Nous étions intéressés par son activité chasse, son activité principale, mais aussi et surtout pas sa division sécurité/défense/maintien de l'ordre avec ses flash balls et ses nouvelles ambitions, depuis 2018, dans la Défense avec le lancement d'une gamme d'armes de petit calibre sous la marque Lebel. Lorsqu'elle a cherché des repreneurs, il était hors de question de la laisser partir aux mains d'actionnaires étrangers".

20 millions d'euros d'investissement à Saint-Etienne

Une enveloppe de 20 millions d'euros va être injectée à Saint-Etienne (les modalités précises de financement seront précisées dans les prochaines heures mais "ne passeront pas par imposition de dilution aux actionnaires", promet Hugo Brugière). 8 millions seront affectés à l'activité chasse pour doubler rapidement les capacités de production.

"Le marché est là, la demande est forte", assure le dirigeant. L'ambition est de pouvoir produire à court terme 15 à 20.000 armes de chasse par an. 75 recrutements sont prévus dans les deux ans pour cette activité.

Le gros de l'enveloppe, - 12 millions d'euros (outil de production, communication, marketing...)-, sera affecté à la partie qui intéresse le plus, stratégiquement, Cybergun : les armes de petit calibre pour le maintien de l'ordre et la Défense.

Annoncés par Verney-Carron mais pas encore réellement industrialisés, les VCD15 (fusil d'assaut) et les VCD 10 (fusil de précision) pourront désormais être produits en grande série. "Nous allons passer à une autre phase", constate avec plaisir Guillaume Verney-Carron, qui s'emploie depuis plusieurs années à développer ce marché. Avec difficulté néanmoins puisque l'entreprise, seule française à se positionner, avait été écartée à plusieurs reprises par la DGA, notamment en 2020 pour la fourniture des 2.600 fusils destinés à remplacer les FR-F2.

"L'Etat considérait que nous n'avions pas la taille suffisante et les épaules assez solides pour répondre aux besoins de l'Armée. Avec Cybergun, nous dépassons les 50 millions d'euros de chiffre d'affaires, cette difficulté n'en sera plus une. Nous allons clairement changer de braquet".

Un soutien de l'Etat espéré

Mais échaudés à plusieurs reprises, la famille Verney-Carron comme le nouvel actionnaire de l'entreprise, restent prudents.

"Il faudra une volonté politique. Nous souhaitons que l'Etat s'engage dans cette résilience française pour, au moins, nous garantir la ligne de flottaison avec 5.000 fusils par an sur plusieurs années. Je ne parle pas de gagner de l'argent, juste de garantir le maintien d'un outil de production français. Pour le reste, nous nous débrouillerons. Pas question de suivre le chemin de Manurhin à qui l'Etat avait trop promis", lance Hugo Brugière.

Si Cybergun compte sur l'armée, il ne met donc pas tous ses œufs dans le même panier : "le marché civil des armes de petit calibre est très important. Dans certains pays, comme les Etats-Unis, les tireurs sportifs vont s'entrainer au stand de tir avec des fusils d'assaut".

Dans cette perspective, Verney-Carron pourrait revenir rapidement à un niveau de chiffre d'affaires de l'ordre de 15 millions d'euros.

Après cette acquisition, dont la validation est soumise à l'accord des créanciers de Verney-Carron et à la validation du plan de sauvegarde par le Tribunal de Commerce, la famille Verney-Carron ne sera plus majoritaire mais sera toujours présente au capital. Les deux cousins restent par ailleurs aux manettes opérationnelles.

Malgré ces perspectives, l'annonce vendredi de cette future reprise a fait chuter le cours de Cybergun, cotée sur Euronext. L'entreprise vient en effet d'achever une lourde phase de restructuration financière qui a mené à une dilution massive ces dernières années avec une forte moins-value des actions. Craignant probablement une nouvelle phase de dilution, de nombreux porteurs ont cédé leurs actions ces derniers jours. "Il n'y aura pas de nouvelle dilution massive imposée", promet Hugo Brugière pour rassurer le marché. "Les financements de cette opération sont sécurisés, nous avons plusieurs options dont les modalités exactes sont en cours de discussion avec les partenaires bancaires de Verney-Carron ainsi qu'avec les pouvoirs publics. Elles seront dévoilées une fois que le Tribunal de commerce de Saint-Etienne se sera prononcé sur le plan de sauvegarde".

Et de rappeler le contexte de ces inquiétudes : "J'ai repris en 2014 une entreprise qui avait 45 millions de dettes, 5 millions de pertes annuelles pour un chiffre d'affaires de 40 millions. J'ai dû mener des opérations fortement dilutives. J'ai moi-même investi 11 millions d'euros et je détiens moins de 20% du capital aujourd'hui mais le résultat est que l'entreprise est sauvée, nous n'avons plus de dettes et nous portons des projets ambitieux".

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