Hydrogène : la gigafactory de McPhy sort de terre et affiche les ambitions tricolores, face à un marché attentiste

Cotée en Bourse depuis maintenant 10 ans, la société iséroise McPhy change petit à petit d’échelle. Sept mois après le lancement du chantier, sa gigafactory, qui produira des électrolyseurs de grande puissance à Belfort (Bourgogne-Franche-Comté), vient de sortir de terre. Cette usine doit permettre au spécialiste de l’hydrogène de monter en puissance et en rendement en s’attaquant à de grands projets industriels. Un pari pour la société, après la cession récente de sa branche dédiée aux stations de recharge à un autre acteur grenoblois, Atawey, afin de se concentrer exclusivement sur la construction d'électrolyseurs.
Installée dans l'aéroparc de Fontaine (90) du Territoire de Belfort, la gigafactory de McPhy a été livrée et prépare sa montée en puissance. Elle vise à démarrer des opérations industrielles au cours du premier semestre 2024.
Installée dans l'aéroparc de Fontaine (90) du Territoire de Belfort, la gigafactory de McPhy a été livrée et prépare sa montée en puissance. Elle vise à démarrer des opérations industrielles au cours du premier semestre 2024. (Crédits : DR/McPhy)

Un an après l'annonce du plan France 2030, offrant un réassort financier de 1,9 milliard d'euros à la filière hydrogène, l'isérois McPhy annonçait lancer la construction de sa première gigafactory d'électrolyseurs à Belfort (Bourgogne-Franche-Comté). Un investissement de 50 millions d'euros, destiné à augmenter sa capacité annuelle de production à 1gigawatt par an, à pleine cadence, auxquels s'ajouteront les 300 mégawatts (MW) de son site italien de San Miniato.

« Cette usine va nous permettre de franchir une étape importante dans la taille des produits et leur rendement. On va faire des "stacks" (un empilement de cellules électrochimiques, ndlr) quatre fois plus gros que ce qui est réalisé aujourd'hui dans notre usine en Italie. On commencera à les produire début 2025 » , détaille à La Tribune Antoine Ressicaud, directeur général adjoint chargé des opérations de McPhy.

De quoi pouvoir répondre à des projets de grande ampleur, et donc ouvrir le carnet de commandes à de nouveaux marchés.

Accroître la cadence et la performance 

Cette nouvelle usine a pour but d'accroître la capacité industrielle de McPhy et la cadence afin « d'adresser des clients qui ont des projets de 100 ou 200 MW » et de réduire ainsi les coûts. A plein régime, un « stack » de 4 mégawatts sortira tous les jours et un « process unit » tous les quatre jours, afin d'atteindre une production équivalente à 1 gigawatt (GW) par an.

Or, aujourd'hui, la demande se transforme vers des projets de plus grande taille :

« L'hydrogène décarboné monte en puissance et nous arrivons vite à des projets de grande taille. Nous étions jusqu'ici sur des projets de quelques mégawatts et désormais, nous arrivons sur des projets de 100 à 300 MW. Il n'y a plus de projets intermédiaires », constate Antoine Ressicaud.

En décembre dernier, McPhy a remporté un contrat estimé à 60 millions d'euros avec la division HMS Oil and Gas GmbH (Allemagne) pour la fourniture et la mise en service d'électrolyseurs d'une capacité totale de 64 mégawatts, selon nos confrères d'Investir. Parmi les autres typologies de clients envisagés, on trouve de grands projets industriels dans l'ammoniaque ou l'acier.

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Déjà présente en Allemagne, en Italie et également en Espagne, la société iséroise vise, plus que jamais, le continent européen.

Une usine qui pourra évoluer au fil du temps

Installée dans l'aéroparc de Fontaine (90) du Territoire de Belfort, l'usine d'une superficie de 22.000m2 n'est pas encore prête à accueillir toute l'activité.

« Nous n'avons pas encore tout le matériel. Nous sommes encore dans la phase d'installation des process industriels qui vont ensuite nous permettre de démarrer des opérations industrielles au cours du premier semestre ». Au fur et à mesure de la réception et de l'arrivée des salariés, qui commencent à prendre possession de l'usine dès le mois de mars.

A plein régime, 450 personnes devraient être employées sur le site. L'équipe d'encadrement a déjà été recrutée l'an dernier, la société recherche désormais des profils en liaison avec la production d'opérateurs d'assemblage ou de câblage.

Le territoire belfortain, en tant que bassin industriel, possède déjà d'excellents profils, souligne Antoine Ressicaud. Qui seront, pour ceux sélectionnés, formés aux spécificités de l'hydrogène. Cela deviendra plus complexe lorsque « nous irons chercher des profils très techniques comme la soudure ». Par anticipation, McPhy a donc déjà noué des accords locaux avec France Travail pour monter des programmes de formation encourageant une reconversion dans les métiers industriels. Et il s'agit là d'un enjeu majeur, le secteur souffrant d'un manque d'attractivité.

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Une fois cette partie réglée, l'usine débutera la fabrication de deux produits. « Un électrolyseur est composé de plusieurs sous-produits, dont les stacks et les process unit. Ces derniers permettent de récupérer les gaz, les flécher, les comprimer et les purifier » , développe le directeur général adjoint des opérations. Pensés pour pouvoir être transporté facilement, malgré les dizaines de tonnes qu'ils pèsent, les électrolyseurs ont été conçu comme des « briques de Lego » qui seront assemblées dans l'usine, testées, désassemblées puis acheminées chez les clients par camion.

Recentrer les investissements

Si, initialement, cet investissement ne laissait pas présager l'arrêt de son activité de stations de distribution, c'est pourtant le cas. McPhy a récemment annoncé la cession de ses stations à un autre acteur grenoblois, Atawey, pour un montant compris entre 11 et 12 millions d'euros. Ce pôle représentait 25% des revenus de la société, dont le montant n'est cependant pas communiqué, la société étant cotée en Bourse.

Cette stratégie, assumée, vise à se concentrer exclusivement sur la construction d'électrolyseurs.

« Il y a déjà beaucoup d'acteurs sur le segment des stations de recharge en Europe. Notre entreprise est encore d'une taille modeste et il nous paraissait plus sain de nous concentrer sur les électrolyseurs, dont le potentiel de croissance est très important, surtout si on y met un focus managérial, et des moyens financiers et humains. »

Un choix qui pourrait également trouver ses causes dans le bilan en demi-teinte de 2023.

Une année difficile pour l'hydrogène

Malgré un soutien du gouvernement depuis 2017 et un soutien de l'Union européenne, le secteur de l'hydrogène connaît quelques turbulences. McPhy semble déjà en avoir fait les frais avec le report ou l'annulation de certains contrats comme la suspension de la commande d'un électrolyseur dans le cadre du projet CEOG (Guyane) par Siemenes Energy en mai dernier, selon les informations de BFM Bourse.

Ces désengagements et ces retards ont fait ressortir les commandes en baisse de 53% à 13 millions d'euros, dont 12,6 millions pour la seule activité électrolyseur, selon nos confrères de Zonebourse. Ce mercredi, une enquête menée par le CEA démontrait également que la demande des industriels européens en hydrogène décarboné devrait atteindre 2,5 millions de tonnes à l'horizon 2030, soit presque dix fois moins que l'objectif de consommation visé par Bruxelles.

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Face à cette situation, Antoine Ressicaud tempère les conséquences, estimant qu'une baisse de commandes sur quelques mois n'a pas un impact significatif. « Nous n'avons pas vraiment pâti du manque d'investissement, car notre usine arrive seulement maintenant donc nous sommes plutôt dans le timing » , assure t-il, pointant également la gestion des commandes du groupe.

« Nous avons une politique stricte de reconnaissance des projets signés par les clients. La signature ne suffit pas pour entrer un projet dans notre carnet de commandes. Le client doit aussi le NTP, notice to proceed, qui nous donne le feu vert pour démarrer les opérations industrielles. »

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Cette situation s'est tout de même traduite par une fluctuation de son cours de Bourse et un résultat net de -47,4 millions d'euros pour l'année écoulée, comparé à -38,2 millions d'euros en 2022, ainsi qu'un Ebitda de -44,6 millions d'euros (contre -36,8 millions d'euros en 2022), « traduisant des dépenses liés aux programmes R&D et projets de ses clients ».

L'objectif est désormais clair pour la société : monter en puissance au cours des trois prochaines années pour se positionner parmi les acteurs importants du secteur. En Europe, les concurrents se compteraient sur les doigts de la main, selon Antoine Ressicaud qui pointe également des technologies différentes.

Un investissement de 50 millions pour changer d'échelle

Pour construire cette gigafactory et ainsi changer d'échelle, McPhy a dépensé 50 millions d'euros, fléchés pour moitié vers le bâtiment et, pour l'autre vers les process industriels et sa mise en activité. Un investissement essentiellement porté par les fonds propres de la société, souligne le directeur général adjoint des opérations, qui mentionne des soutiens financiers destinés à d'autres phases de son développement.

Un fonds local, finançant la création d'emploi industriel, a octroyé à la société une enveloppe de 10 millions d'euros. Ce montant s'ajoute aux 114 millions d'euros reçus dans le cadre du PIIEC (Projet important d'intérêt européen commun) et attribués en 2022. Une dizaine d'autres projets français dans l'hydrogène ont été retenus pour obtenir un soutien financier. Ce financement public servira à la R&D, à la mise en route de l'usine et aux prototypages, dévoile Antoine Ressicaud.

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Commentaires 4
à écrit le 19/03/2024 à 14:12
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Espérons que ce beau projet nous aide à faire le poids face à la Chine et aux usa qui sur investissent le secteur de l'hydrogène sur un des marchés du siècle. Quand la demande en H2 sera là, il ne sera plus question de savoir si c'est le bon choix o...

à écrit le 18/03/2024 à 13:53
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Voilà une bonne nouvelle.. Espérons que cette entreprise reste Française.

à écrit le 18/03/2024 à 12:39
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Vous avez vu l'evolution en bourse ? c'est une falaise le truc...

à écrit le 18/03/2024 à 12:10
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coquille probable "on trouve de grands projets industriels dans l'ammoniaque ou l'acier" voire ammoniac, l'industrie utilise peu l'ammoniaque (solution aqueuse du gaz ammoniac (gaz facile à liquéfier, éb -33°C) du grand public, vendu en grandes surfa...

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