C'est le dernier tronçon disponible pour la Compagnie nationale du Rhône, dans cet escalier en cascade que constitue le fleuve. La société, gestionnaire de 19 barrages hydroélectriques sur les 330 kilomètres de voies navigables qu'elle exploite, veut construire un nouvel ouvrage entre l'Ain et l'Isère, pour une production électrique annuelle de 140 gigawattheures, alimentant 60.000 foyers, hors chauffage. Ce serait, selon la compagnie, le « dernier » ouvrage du type sur le Rhône et « probablement en France », dépeint Laurence Borie-Bancel, présidente du directoire de la CNR.
Ce qui fait de ce projet, dont le barrage usine serait situé entre les communes de Loyettes (Ain) et de Saint-Romain-de-Jalionas (Isère), également à une poignée de kilomètres de la centrale nucléaire du Bugey, « le seul en France de cette nature », ajoute François Chaumont, délégué RTE en Auvergne-Rhône-Alpes.
Cet ouvrage, inscrit dans son schéma d'exploitation renouvelé en 2022 avec l'Etat, et qui court jusqu'en 2041, est aujourd'hui soumis à une concertation préalable avec le territoire, sous l'œil avisé de la Commission nationale du débat public (CNDP). Ce temps fort de trois mois, qui s'ouvre ce vendredi 1er décembre, vise à informer et faire participer la population autour de l'opportunité (et donc des alternatives) de ce projet aménagé sur 26 kilomètres, dont 22 km rien que pour la retenue d'eau, de 20 millions de m3.
Si l'emprise s'étendrait sur 300 ha, principalement des terres agricoles - une centaine d'exploitations - entre 12 et 18 ha de surfaces seraient également artificialisées pour les ouvrages. La chute d'eau, d'une hauteur de 6,8 mètres, alimenterait une turbine pour une puissance installée de 40 mégawatts. Coût de l'ensemble pour l'exploitant, raccordement compris : 330 millions d'euros.
Ce projet de nouveau barrage hydro-électrique dit « de basse chute » concernerait 15 communes des départements de l'Ain et de l'Isère. La concertation, encadrée par quatre garants de la Commission nationale du débat public, a débuté le 1er décembre et courra jusqu'au 29 février 2024. Elle se traduira par cinq réunions publiques, des stands et rencontres sur les marchés, mais aussi trois ateliers consacrés aux alternatives. Sur place, un collectif opposé au projet s'est constitué à la fin du mois de novembre. « Stop au barrage Rhonergia », indique, en description de sa pétition en ligne : « Les énormes travaux engendreront de graves dégâts sur les deux rives du Rhône au niveau du sol, du sous-sol et des nappes phréatiques proches, des carottages de grande profondeur, des fouilles avec pelles mécaniques, des passages de gros engins de chantier, des passages de gros véhicules de fort tonnage ». L'opération « nécessiterait » en effet « le reprofilage et le confortement des berges du Rhône sur 11 kilomètres », décrit la CNR. Quant à la question de la dispersion de sédiments pollués aux PCB dans la zone, Olivier Le Berre, directeur du projet, précise pour le moment que les résultats des mesures « ne sont pas encore disponibles », mais que la CNR « irait dans ces détails ».Trois mois de concertation, une opposition sur place
Une énergie prédictible, mais sujette aux variations
Ce vaste projet, en ce moment en phase préalable et dont l'Etat pourrait valider l'opportunité en 2024 (à laquelle suivrait une phase d'enquête publique en 2028 et une validation définitive en 2029), pourrait voir le jour dans dix ans, en 2033. L'objectif est de répondre à la hausse croissante des besoins en électricité, de l'ordre de 30 % à horizon 2035 indique RTE dans sa dernière étude « Comprendre et piloter l'électrification d'ici 2035 », publiée en juin dernier.
« Pour relever ce premier défi, il faut exercer quatre leviers en même temps, explicite François Chaumont, délégué en Auvergne-Rhône-Alpes. Un premier sur l'efficacité énergétique, un autre sur la sobriété, et deux derniers sur la production avec l'optimisation du parc nucléaire existant et le développement des énergies renouvelables ».
L'hydraulique possède en effet un grand avantage à travers sa « prédictibilité », remarque Olivier Le Berre, directeur de projet pour la CNR. Le tout, grâce aux prévisions météorologiques et à une connaissance précise des débits, au moins un jour avant. Ce qui permet de « pallier à la production quand des besoins sont exprimés par le réseau ». Il s'agit là de compléter la production électrique nucléaire, pilotable, notamment aux heures de pics (à 8 h ou 18 h). Mais aussi de prévenir le « trou d'air » attendu autour des années 2030, dans l'attente du nouveau programme nucléaire (EPR2, petits réacteurs). Les enjeux autour de la production d'énergies renouvelables en France sont ainsi qualifiés de « conséquents » par le référent régional de RTE : « Du côté de l'offre, nous produisons aujourd'hui 120 TWh d'électricité renouvelable en France. Il en faudrait entre 270 et 320 à horizon 2035 pour pallier aux besoins, soit une multiplication par deux ou trois de la production ».
« Tous les électrons produits de manière décarbonée comptent et l'hydraulique en fait partie. Dans nos projections 2050, c'est 5GW de capacités de production hydraulique supplémentaires qu'il faut mettre en place en France. Dont 1 à 2 GW d'ici à 2035 », poursuit François Chaumont (RTE en Aura).
De même, l'actuelle loi de programmation pluriannuelle de l'énergie (2019-2028) prévoit une augmentation progressive de la puissance hydroélectrique installée, qui passerait de 25,7 GW en 2023 (représentant 18 % de la puissance électrique totale en France) à entre 26,4 et 26,7 GW en 2028.
Quant à la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui dispose de la moitié du parc hydroélectrique en France, elle a inscrit un objectif de 500 MW de puissance hydroélectrique supplémentaire d'ici à 2030. Le barrage Rhônergia, qui ne serait pas lancé avant 2033, en représente à lui seul 40 MW. Mais encore faut-il trouver les autres.
Augmenter la part d'hydroélectrique dans le mix français
Car pour parvenir à ces objectifs, ce seul projet ne suffit pas. Les exploitants travaillent déjà au rehaussement des capacités productives des ouvrages existants. Sur le Rhône, c'est notamment le cas du barrage de Montélimar (Drôme), qui verrait sa production augmenter de 100 GW/h et sa puissance de 15 MW grâce au changement de trois turbines et au rehaussement de la hauteur de sa chute d'eau à horizon 2030.
De même, la CNR porte également six autres projets sur des barrages existants, où il s'agirait d'exploiter l'énergie des canaux de débits réservés, jusqu'ici perdue. Il s'agit là « de grapiller 5 à 10 MW », explicite un chargé de projet de la CNR. Ces travaux, dont le projet de barrage Rhônergia (230 millions d'euros alors, 330 millions aujourd'hui en raison de l'inflation), intègrent une enveloppe d'investissements de 500 millions d'euros, déterminée en 2018. Une opération coûteuse pour l'organisme, dont le taux de redevance à l'Etat sur le prix de vente de l'électricité a été revu lors du renouvellement de sa concession : d'un taux fixe de 24 %, celle-ci est désormais progressive dans l'objectif d'éviter les surprofits de la CNR.
En 2022, la puissance installée en hausse, mais la production à la baisse
Pour autant, le changement climatique pourrait-il réduire certains espoirs ? En 2022, année particulièrement sèche, RTE indique que « les faibles niveaux d'eau ont impacté la production hydraulique régionale, qui baisse de 18 % (22,5 TWh) », par rapport à 2021. Alors même que, la même année, la puissance installée du parc hydraulique régional « a augmenté de 40 MW (soit +0,4 %) », remarque toujours le transporteur d'électricité, « et représente 40 % du parc de production électrique régional ».
Lire aussi : L'agence de l'eau Rhône Méditerranée et les agriculteurs de l'Aude planchent sur la sécheresse
Il faut en effet articuler le projet avec le changement climatique. Pour l'heure, la CNR s'appuie notamment sur une étude de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, publiée début 2023. Elle dépeint, à l'aide de dix projections climatiques, un fleuve dont les débits d'étiage pourraient diminuer de 20 % en moyenne à l'aval du Rhône en 2055 par rapport à aujourd'hui. Mais cela ne se traduirait pas forcément par la diminution des hauteurs d'eau :
« Sur 80 % du linéaire du fleuve, la baisse de débit ne se traduit pas en diminution des hauteurs d'eau car les lignes d'eau sont maintenues par les 26 barrages du fleuve aménagé. Cette situation dépend donc d'abord des modalités de gestion des ouvrages hydroélectriques », indique l'Agence de l'eau dans son dernier rapport.
L'Agence va par ailleurs voter en ce sens une nouvelle stratégie d'adaptation au changement climatique ce mois de décembre 2023, à partir des conclusions de cette étude, qui indique que « les usages (...) devront nécessairement adopter une stratégie spécifique pour être moins tributaires des situations de faible écoulement. Les producteurs d'énergie sont concernés ».
Industries, EPR2 dans la centrale nucléaire du Bugey, barrage Rhônergia : le développement des activités dans la Plaine de l'Ain questionne la pertinence d'un nouveau pont entre ceux de Loyettes et de Lagnieu, qui voient déjà circuler près de 14.000 véhicules par jour. Les départements de l'Ain et de l'Isère viennent à ce titre de livrer les résultats des études d'opportunité et de faisabilité du projet. « Si aucun pont n'est aménagé au-dessus du Rhône entre les ponts de Loyettes et de Lagnieu, le trafic, déjà intense dans ce secteur géographique, pourrait connaître une augmentation de la congestion allant de 20 à 60 % d'ici 20 ans », indiquent les présidents des Départements de l'Ain et de l'Isère. C'est ainsi que, selon les élus, « tous les scénarii portent sur la construction d'un nouveau pont routier et modes doux ».Franchissement du Rhône : face à la congestion, un nouveau pont en projet
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