Baisse des débits du Rhône, volatilité des cours : la CNR contrainte d'ajuster sa stratégie

DECRYPTAGE. Depuis le printemps dernier, la sécheresse et notamment la baisse de la pluviométrie observée à l'échelle française n'a pas été sans effets sur les débits du Rhône, le 3e cours d'eau le plus long de France. Un impact que l'on retrouve également sur l'activité d'un acteur pas comme les autres, la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), qui exploite 3 gigawatts d'équipements hydroélectriques sur le long du fleuve. Avec un déficit pour l'heure observé -22% de sa production électrique à la fin août.
L'enjeu est aussi financier car pour se protéger de la volatilité des cours, CNR a choisi un modèle dans lequel elle revend la quasi totalité de son électricité produite sur les marchés, sous des contrats de long terme, à trois ans en moyenne.
L'enjeu est aussi financier car pour se protéger de la volatilité des cours, CNR a choisi un modèle dans lequel elle revend la quasi totalité de son électricité produite sur les marchés, sous des contrats de long terme, à trois ans en moyenne. (Crédits : DR/C.Moirenc/photothèque CNR)

Avec 3 gigawatts de production hydroélectrique installés sur le Rhône, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), chargée à la fois de l'aménagement du territoire rhodanien et de la production d'électricité effectuée sur son territoire, s'est retrouvée aux avants-postes cet été pour observer les impacts de la sécheresse sur le débit du 3e plus grand fleuve français.

"Nous avons observé depuis le début du printemps un gros déficit de pluviométrie, qui a démarré en avril avec un niveau 12 % en dessous des moyennes habituellement constatées, suivi d'un mois de mai, normalement plus pluvieux, au déficit beaucoup plus prononcé (-61%), et d'un mois de juin qui avait finalement renoué avec les moyennes. Mais à compter de juillet, nous avons enregistré une chute de pluviométrie de -79%, suivie de -10% en août", détaille Pierre-Jean Grangette, directeur de la valorisation de l'énergie de CNR.

Si bien qu'avec de tels chiffres, la production hydroélectrique du Rhône a elle aussi chuté, alors même que l'Hexagone fait face, depuis plusieurs mois, à une importante volatilité sur le marché des prix de l'énergie.

"Ces chiffres font que globalement, les débits et la production s'affichent en large baisse par rapport à une année normale, puisque la production a réduit de - 35 % sur l'ensemble du Rhône, et même de -50% sur le secteur du bas Rhône, situé au sud de Lyon".

Un fort recul qui nécessite cependant d'être nuancé, selon Pierre-Jean Grangette, par le caractère cyclique de la production hydroélectrique, qui peut varier de - 30% pour les années les plus basses, à + 25% pour les années les plus hautes.

"Nous sommes actuellement 22 % en dessous de la production d'une année normale à la fin août, mais ce n'est pas la première fois que l'on se situe à ce niveau". A fin août, sa production était en effet de 7,5 TWh, pour une production annuelle cible légèrement supérieure à 13 TWh.

Une double conséquence : moins de production et plus de rachat d'électricité

En effet, sur la moyenne des 15 dernières années, la production hydroélectrique de la CNR sur le Rhône avait déjà connu deux saisons basses, en 2017 et plus particulièrement en 2011.

 "2011 étant la pire année d'exploitation de CNR sur le Rhône de tous les temps, où la production avait été plafonnée à 10,5 terawatt-heure (TWh) sur une année, mais cela n'a pas empêché que l'on atteigne ensuite, deux ans plus tard, un nouveau sommet avec 17 terawatt-heure (TWh) annuels en 2013".

Car le changement climatique amène surtout une nouvelle redistribution des cartes, pas tant sur le niveau de pluviométrie total attendu sur une année, que sur la répartition de ces épisodes au cours des 12 mois. "Nous pourrions très bien rattraper une partie de la situation cette année si l'on rencontrait des pluies importantes d'ici la fin d'année". Les dernières prévisions pour le mois de septembre font d'ailleurs état d'un nouvel épisode d'humidité qui pourrait bien rendre le climat rhodanien moins sec, et faire repartir la production.

L'enjeu est aussi financier car pour se protéger de la volatilité des cours, CNR a choisi un modèle dans lequel elle revend la quasi totalité de son électricité produite sur les marchés, sous des contrats de long terme, à trois ans en moyenne. "Et en ce moment, nous n'avons quasiment rien à vendre, nous sommes même obligés de racheter de l'électricité sur les marchés pour assurer nos contrats."

Car pour honorer les ventes réalisées à ses clients sur un horizon de trois ans, CNR joue la prudence, mais cela ne suffit pas toujours : "Quand on perd 25% de sa production comme dans le contexte actuel,  on n'a pas assez d'électricité à vendre par rapport à ce que l'on a déjà vendu aux marché. Il nous arrive donc de devoir en racheter", fait valoir Pierre-Jean Grangette, qui écarte d'un revers de main la question des "super-profits".

Avec face à lui, des prix de gros de l'électricité qui jouent les montagnes russes en raison des fortes tensions sur le marché du gaz depuis l'invasion russe de l'Ukraine et la très faible disponibilité du parc nucléaire français (32 réacteurs sur 56 sont actuellement à l'arrêt) : "Nous sommes passés d'un prix de gros de l'électricité à 50 euros du mégawatt-heure (MWhsur les trois dernières années, à 600 euros début août pour les contrats 2023, contre 1.130 vendredi dernier avant que le tarif ne retombe à 600 euros..."

Les pistes pour se protéger de ces aléas : à commencer par la diversification du mix

Pour s'adapter à la fois aux enjeux de prix qui se posent sur les marchés de l'énergie, tout comme aux variations de la production hydroélectrique, amenées à être de plus en plus fréquentes en raison du changement climatique, la CNR avait déjà esquissé plusieurs pistes au sein de son plan stratégique, qui avait servi à nourrir son dossier de prolongation de sa concession jusqu'en 2041, finalement voté en février dernier.

Sa stratégie repose sur plusieurs piliers : à commencer par une diversification de son mix énergétique, qui est appelée à faire grimper les ENR, et notamment la part du solaire et de l'éolien au cours des prochaines années, pour atteindre son objectif de 7 gigawattheure (GWh) de capacité installé d'ici 2030.

A l'heure où cette cible de 7 gigawattheure serait elle-même en train d'être réévaluée légèrement à la baisse, -compte-tenu des difficultés rencontrées notamment dans le développement des projets éoliens-, la CNR compte en partie sur sa filiale nouvellement créée, Solarhona, pour prendre un nouveau leadership dans le développement du photovoltaïque sur la vallée du Rhône, où elle entrevoit encore de nombreuses opportunités de développement de nouvelles capacités solaires sous différentes formes (toitures, ombrières, etc).

Sur le plan de sa production hydroélectrique, plusieurs pistes sont désormais en train d'être étudiées, maintenant que la prolongation de sa concession est actée sur le Rhône d'ici à 2041. "Maintenant que nous avons une visibilité sur les prochains années, nous avons engagé des travaux dans le cadre du plan de prolongation afin d'optimiser la production de nos ouvrages", estime Pierre-Jean Grangette.

Se préparer à une baisse des débits de 40%

Car déjà à l'aube de ce prolongement, la CNR évoquait des travaux de l'agence de l'eau datant de 2014 qui anticipaient déjà une baisse des débits de 40% à horizon de 50 ou 60 ans. "Nous avons retenu que cela ferait une baisse de 0,4% par an à laquelle nous devons nous préparer. Ce que l'on constate, c'est que comme en 2011 et 2017, on est dans une année sèche, mais cela ne veut pas encore dire que le cycle s'accélère".

Avec en premier lieu, un chantier ouvert sur le design des turbines et des barrages, qui pourraient permettre de gagner, au mieux "quelques dizaines de pourcentages de production maximum", concède le directeur de la valorisation de l'énergie de CNR.

Mais l'essentiel de la stratégie à venir réside plutôt dans la poursuite du plan de construction de petites centrales hydrauliques, déjà engagées depuis 2003 afin de récupérer une partie de la puissance des eaux de débit réservées au niveau des barrages. "Il nous reste six structures de ce type à livrer au sein de notre plan de construction", atteste-t-il.

En parallèle, la CNR continue de plancher également sur la construction de nouveaux ouvrages qui, une fois les études et enquêtes publiques menées, lui permettront de proposer à son délégataire, l'Etat, les options sur la table.

Celle-ci vise un ouvrage précis, à savoir le chantier contesté de Saint Romain-de-Jalionas, situé en amont de Lyon, et qui permettrait d'offrir jusqu'à 40 mégawatts de capacité supplémentaire au réseau. "Il s'agit en réalité du dernier projet de grande envergure qui existe sur le fleuve, le Rhône étant déjà bien équipé sans compter les questions environnementales qui se posent aujourd'hui", concède Pierre-Jean Grangette.

"Ce qui est compliqué, c'est que les capacités de stockage de l'eau sont très limitées sur des ouvrages sur le Rhône comme le nôtre : car contrairement à des barrages situés en montagne, nous restons très tributaires de la pluviométrie". La CNR étudie donc par ailleurs elles aussi des solutions de stockage de l'eau et de l'énergie, voire même sous forme d'hydrogène.

"Mais il ne faut pas oublier aussi que l'un des moyens de moins consommer est de commencer par ne pas consommer l'énergie", note Pierre-Jean Grangette. C'est pourquoi CNR affirme travailler aussi à des stratégies d'effacement sur le réseau afin d'adapter ses propres consommations.

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Commentaire 1
à écrit le 06/09/2022 à 16:00
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Bonjour, Ben ils ont de la chance d'avoir encore de l'eau, sur la Loire dans certains lieux on peut réaliser tout rêve de Ligérien : traverser la Loire à pieds.

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