Aimants recyclés : avec sa première usine en Isère, MagREEsource prend la route vers une megafactory en 2027

Cette start-up, issue du CNRS, développe depuis deux ans des aimants fabriqués à partir de matériaux recyclés pour les secteurs européens de l'automobile, des énergies renouvelables ou encore de la défense. Soutenue par des fonds publics français et européens, la jeune entreprise inaugure aujourd'hui sa première usine à Noyarey (Isère) et se lie à l'isérois Schneider Electric pour travailler sur la digitalisation de ses process. Une nouvelle étape dans son ambition d'ouvrir une gigafactory en Rhône-Alpes à l'horizon 2027, non sans défis à relever face à la concurrence chinoise.
Près de Grenoble, MagREEsource inaugure sa première usine de fabrication d'aimants industriels à partir d'aimants recyclés pour les secteurs de l'automobile électrique et de l'éolien, notamment en mer.
Près de Grenoble, MagREEsource inaugure sa première usine de fabrication d'aimants industriels à partir d'aimants recyclés pour les secteurs de l'automobile électrique et de l'éolien, notamment en mer. (Crédits : Franck Ardito)

Les espaces de stockage se remplissent, tandis que la production sera lancée en septembre : la start-up iséroise MagREEsource, spin-off du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), inaugure ce jeudi sa toute première usine de recyclage et de production d'aimants à destination du marché européen.

Situé à Noyarey, à quelques kilomètres de Grenoble (Isère), le site fabriquera dès cette année entre 50 et 80 tonnes d'aimants par an pour les secteurs de l'automobile électrique, des énergies renouvelables (tous deux représentent plus de 50 % du volume du marché), mais aussi de la défense. Cela, à partir d'aimants recyclés, grâce à une technologie développée par la chercheuse Sophie Rivoirard au sein de l'Institut Néel du CNRS, qui a depuis co-fondé MagREEsource.

Lire aussiTerres rares : pour réduire la dépendance à la Chine, MagREEsource recyclera des aimants avec de l'hydrogène

Le principe : réduire en poudre l'alliage des aimants en fin de vie, grâce à un procédé en boucle courte à l'hydrogène, puis les remodeler pour en faire de nouveaux produits sur-mesure, adaptés aux besoins des différentes filières.

« Le fait d'être verticalement intégré fait que nous produisons sur site notre propre matière, qui est de la matière recyclée », explique Erick Petit, président et co-fondateur de MagREEsource. « On l'utilise tout de suite, donc il n'y a pas de déperdition, il n'y a pas de temps mort. Cela nous permet à la fois de contrôler la qualité, mais aussi la traçabilité de la matière. »

En ce sens, la start-up préfère se présenter comme « productrice » d'aimants que « recycleuse », car elle s'appuie sur un vivier « très important » d'aimants jetés à l'échelle européenne : elle espère en effet capter près de 30 % des volumes perdus afin de réaliser sa production, là où seul 1 % des aimants sont aujourd'hui recyclés. Et ainsi sortir de la dépendance chinoise, à la fois en termes de ressources en terres rares (néodyme, dysprosium etc.), mais aussi en termes de capacités d'enrichissement.

Aimants recyclés MagREEsource

Après 18 mois de travail, MagREEsource va bientôt lancer la production de ses aimants issus d'aimants recyclés dans sa première usine située près de Grenoble (Isère).

Créer une filière européenne

Le continent européen ne possède en effet que peu de terres rares, et est aujourd'hui majoritairement irrigué par Pékin, qui a su développer une chaîne de production solide depuis quarante ansEn 2022, la Chine extrayait en effet à elle-seule 58 % de la production mondiale de terres rares (appellation qui regroupe 17 métaux aux propriétés électromagnétiques), en en raffinait 89 %.

Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la demande mondiale en terres rares pourrait être multipliée par sept d'ici à 2040, notamment portée par les besoins pour les véhicules électriques et l'éolien.

Une situation de dépendance dans laquelle l'Union européenne se retrouve fragilisée. Et à laquelle la Commission entend répondre dans son « European Critical Raw Materials Act » (CRMA), approuvé au printemps, visant à ce que « les 27 » s'approvisionnent à partir d'au moins 25 % de métaux recyclés en 2030, et au moins 10 % de métaux extraits localement.

Lire aussi Le plan de l'Europe pour sécuriser son approvisionnement en métaux stratégiques

Ainsi, MagREEsource reconnaît une certaine « impulsion » politique, qui aurait en partie permis son émancipation : soutenu par Bruxelles, par Paris, mais aussi par la Région Auvergne-Rhône-Alpes et des investisseurs étrangers tout au long de sa croissance (via notamment une première levée de fonds de 5 millions d'euros fin 2022), la start-up dévoile aujourd'hui sa nouvelle usine : un « démonstrateur » à 8,5 millions d'euros.

Soit une première étape dans sa lente ascension vers l'horizon d'une gigafactory en Rhône-Alpes, projetée pour l'instant en 2027. Un investissement estimé quant à lui à 125 millions d'euros, et que Bercy s'est déjà engagé à financer à hauteur de 30 %.

« Nous serons sur un foncier important, en Rhône-Alpes », ajoute Erick Petit, qui prépare une nouvelle levée de fonds de 10 millions d'euros en 2024 afin de faire évoluer la toute nouvelle ligne vers des technologies de pointe pour l'éolien.

Levée qui pourrait être complétée par une troisième en 2025, à hauteur de 40 à 50 millions d'euros cette fois, afin de financer le projet de « méga-fab ».

« Nous avons pour objectif le dépôt du permis de construire avant juin 2025, pour un démarrage en production à hauteur de 500 tonnes par an à partir de fin 2027, puis 1.000 tonnes par an à partir de 2030 », ajoute le co-fondateur de MagREEsource, qui compte passer de 25 à 35 salariés en fin d'année.

Mais la start-up ne sera cependant pas la seule à viser ce marché : d'autres entreprises se lancent également dans l'aventure dans l'Hexagone. Quatre d'entre elles - Celimer et Poral en Nouvelle-Aquitaine, mais aussi Ecm Tecnologies et REEfine en Auvergne-Rhône-Alpes - ont en effet monté un consortium autour du recyclage des aimants permanents tout début 2022. Cela, à la faveur d'un contexte réglementaire jugé « favorable » par les entreprises, qui ont monté un projet global de départ chiffré à six millions d'euros, grâce à des apports de fonds propres, combiné à des aides de l'Etat.

Recycleurs et producteurs

Mais pour mener à bien tous ces projets, encore faut-il trouver la bonne articulation entre les filières en amont et en aval, dans une mécanique qu'il s'agit d'huiler et d'équilibrer.

« Il faut effectivement mobiliser toute la chaîne, remarque Erick Petit. Nous avons des compagnies de recyclage qui ne savent pas qu'elles ont des gisements, mais aussi des clients qui ne savent pas quoi faire de leurs déchets, et des pouvoirs publics qui sont à la recherche de réglementations pour pousser à cette utilisation des déchets comme matières premières ».

« Il y a des stocks dormants un peu partout. Nous avons des estimations de plusieurs milliers de tonnes de stocks, uniquement en Europe. Nous ne partons pas de rien. Il faut surtout communiquer et mettre en place des solutions techniques, car souvent les aimants sont à l'intérieur de moteurs ou d'assemblages. »

Prospection, communication, compétitivité : MagREEsource tente de se faire connaître auprès des fournisseurs et des clients, qui peuvent porter tour à tour l'une ou l'autre de ces caquettes, voire les deux en même temps.

Pour cela, la start-up a d'ailleurs créé ex-nihilo une filiale en Pologne « qui est en devenir et qu'on essaye de faire grossir, sur la partie amont », détaille Erick Petit. « Nous travaillons sur plusieurs pays avec plusieurs équipementiers. »

Et si l'idée d'une chaîne de production « européenne » peut-être désormais vue comme un atout, ainsi que la réduction du bilan énergétique et environnemental (l'usine indique fonctionner en circuit fermé, avec -98 % de prélèvements en eau par rapport à une chaîne de recyclage des métaux conventuelle, et consomme 750 kWh d'électricité), l'entreprise a également dû développer un modèle économique assez soutenable pour convaincre ses premiers clients.

« Malgré le fait qu'on pousse sur le made in Europe, et que notre production s'appuie sur les piliers de la souveraineté et de la réduction de l'empreinte carbone, cela ne nous empêche pas d'être compétitifs », indique l'entrepreneur.

« Car d'autres éléments sont à prendre en compte : nous n'avons pas quatre mois de transfert par bateau, et nos conditions commerciales de paiement et de trésorerie sont beaucoup plus favorables », pointe Erick Petit, qui affirme avoir déjà signé avec des clients « sur cinq ans, avec des parts importantes de capacités qui sont réservées ».

Tout en constatant : « Les Chinois restent nos concurrents directs. Si nous sommes trois fois au-dessus des prix, cela ne marchera jamais ». D'où des investissements pour d'abord gagner en volume, grâce à de l'automatisation, mais aussi pour se singulariser, en misant notamment sur la traçabilité et la qualité des produits.

Des enjeux de traçabilité

La start-up mise en effet sur les « passeports » de ses aimants pour se démarquer aux yeux des donneurs d'ordre européens, dont « les attentes ne sont pas du tout les mêmes que celles qu'il y avait auparavant en Chine ».

Dans ce cadre, MagREEsource a développé en interne un laboratoire qui lui permet de caractériser la matière entrante. « Cela signifie que même si nous ne savons pas bien d'où viennent les déchets ou ce qu'ils contiennent, nous allons pouvoir retrouver la composition, ou encore la performance ».

Des enjeux qui nécessitent encore un appui technique et des compétences que la start-up est allée chercher dans le bassin grenoblois. Elle annonce en effet aujourd'hui avoir conclu un partenariat avec Schneider Electric sur le « smart remanufacturing » et la digitalisation des process, via un partage de technologies, avec la mise à disposition de plateformes, mais aussi un échange sur le type de protocole à mettre en place pour gérer les données.

« Les enjeux, c'est d'être capable de récupérer les données entrantes, pour ensuite optimiser nos procédés, complète Erick Petit.

« C'est une première étape, mais nous aimerions ensuite aller beaucoup plus loin et être capable par exemple de travailler avec l'intelligence artificielle, alors que nous faisons encore tout manuellement aujourd'hui. »

Car « le modèle circulaire génère bien plus de données qu'un modèle linéaire », ajoute le dirigeant. Un défi auquel la start-up s'attaque cette année afin d'étayer son modèle en vue de franchir prochainement une nouvelle étape, d'une toute autre ampleur.

ENR, véhicules électriques : les élections législatives ouvrent une période d'incertitude

Si les aimants se retrouvent dans la quasi-totalité des produits électroniques (mais aussi les dispositifs médicaux, les capuchons de parfums etc.), MagREEsource travaille essentiellement avec les secteurs de l'automobile électrique et de l'éolien, « qui représentent plus de 50 % du marché en volume », indique son co-fondateur, Erick Petit.

Des filières liées à la transition énergétique et écologique, soutenues par les pouvoirs politiques français et européens, qui se voient en ce moment au cœur des débats politiques. Les élections législatives pourraient en effet rebattre les cartes de ces différents marchés pour certains encore émergents, au regard des programmes des différents partis politiques.

Lire aussi : Législatives : de l'éolien en mer à l'agrivoltaïsme, l'inquiétude gagne la filière des énergies renouvelables

Face à ces incertitudes, Erick Petit répond : « Nous sommes sur des projets très sensibles : nous parlons de métaux critiques et stratégiques, pour lesquels nous avons des difficultés d'approvisionnement. Mais aussi des métaux stratégiques : après l'automobile et l'éolien, notre troisième sujet, c'est la défense. »

« Nous sommes dans cette zone d'instabilité. La transition énergétique ne va pas s'arrêter tout de suite. Malheureusement, le changement climatique, nous sommes en plein dedans. Il y a eu des annonces sur les éoliennes de manière un peu abruptes.  Nous pourrions être impactés, c'est certain. En revanche, je ne pense pas qu'il y ait de remise en question sur des sujets aussi importants pour l'avenir. »

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.