Le laboratoire d'Iten, installé dans l'ouest lyonnais, à Dardilly, s'est mué en usine depuis quelques semaines. L'espace de 1.500 m2 a été rationalisé pour augmenter les surfaces techniques en doublant les zones blanches, grises et anhydres qui s'étalent désormais sur plus de 800m2.
Décrit comme une « usine pilote », le site représente un nouveau cap pour la société lyonnaise fondée par un ancien d'Unisor (devenu Arcelor). « On l'a appelée usine pilote car elle est notre pont pour passer d'un laboratoire à une industrie », confie Vincent Cobée, ancien de Stellantis et PSA, propulsé CEO d'Iten en décembre dernier. Et surtout mettre à l'épreuve chaque rouage de la fabrication.
10 ans de R&D et 200 brevets déposés
Pour débuter l'échange, Vincent Cobée, présente un tube contenant plusieurs petites cartes noires. Ces pièces de 3mm de large sur 4mm de long et 1 mm d'épaisseur, pas plus grandes qu'une lentille, sont en réalité des micro-batteries li-ion solides. A travers cette démonstration, le CEO envoie un message clair : le terrain de jeu d'Iten est à échelle nanoscopique. Ce qu'il confirme : « Nous sommes dans la nanoparticule avec nos produits. Nos couches d'électrode et de cathode mesurent 5 à 10 microns, l'épaisseur d'un globule rouge.» De quoi le changer du monde des batteries automobiles avec lesquelles les produits de la société lyonnaise diffèrent à plusieurs égards.
« On fabrique nos électrodes sur des céramiques poreuses. Il n'y a donc pas de composants organiques, ce qui rend notre produit assez stable malgré les changements de température. Et la surface est très active par rapport à la quantité de matière», développe t-il. A performance équivalente, les produits d'Iten utiliseraient 10 à 100 fois moins de matière active.
Pour réussir à développer ces micro-batteries solides, les équipes d'Iten ont travaillé avec l'ENS Lyon sur la partie chimie, l'Université de Bourgogne à Dijon et le centre des céramique de Limoges. Dix années de recherches qui lui ont permis d'acquérir une maîtrise complète de la chaîne de valeur.
« Nous faisons entrer des matériaux et on fait sortir des batteries finies. Nous réalisons les synthèses de chimie, les encres, les électrodes, les céramiques, confirme Vincent Cobée. On fait le frittage, les stacks puis on les assemble ; on fabrique les batteries qu'on encapsule puis on les teste. »
Des travaux qui ont donné naissance à plus de 200 brevets issus de 30 familles de produits différents (process, chimie, céramique, frittage...), déposés en Europe, en Asie et en Amérique du Nord. La société a, en effet, développé un grand nombre d'équipements uniques ou adapté à son échelle de travail, ceux existants.
De l'IoT au luxe
Ces micro-batteries reposent « sur des niveaux d'énergie très faible avec du microampère heure, mais avec des niveaux de puissance très élevés », ce qui rend cette technologie parfaite pour certains usages comme l'IoT. « On parle de circuits électroniques qui ont besoin d'un minimum d'énergie en veille et de pics de puissance pour réaliser des protocoles de communication. »
Les besoins initiaux que va satisfaire Iten le sont souvent par des piles boutons qui possèdent une certaine durée de vie. Mais « si on fait de l'IoT avec ces piles, l'impact sera de 200 millions de piles boutons à changer tous les jours », affirme Vincent Cobée. Ce qui offre un terrain de jeu assez vaste à l'entreprise lyonnaise qui estime, ce seul marché, à 5 milliards de micro-batteries par an d'ici deux à trois ans.
La société vise ainsi les acteurs de l'IoT qui vont réaliser des capteurs, des tags mais aussi des dispositifs médicaux, des oreillettes ou encore des lunettes de réalité augmentée. Mais aussi un secteur plus étonnant : celui du luxe.
« Le luxe est un leader d'industrie, donc il va tirer l'ensemble des évolutions techniques de l'ensemble des produits de consommation, et le nouveau luxe est de trouver un moyen de faire de la connectique invisible et donc très petite. Comme ces produits coûtent chers, il faut commencer par le monde du luxe. »
Iten travaille sur un modèle dimensionné pour être assemblable sur des composants électroniques, mais elle prévoit déjà de confectionner des produits un peu plus larges et plus épais pour disposer d'une « offre de 3 ou 4 capacités et ainsi couvrir tous les besoins des objets IoT et des protocoles de communication. » Ses équipes travailleront ensuite sur la recherche d'un autre ratio énergie / puissance afin de répondre à d'autres besoins, notamment portés par Seb, entré au capital de la société lors de son dernier tour de table.
Cette multiplicité d'acteurs offre à la société une grande profondeur de marché mais représente également une difficulté : celle de la concentration des forces. Si le secteur de l'IoT paraît particulièrement porteur, il est difficile à pénétrer, estime Vincent Cobée.
D'où le recrutement d'un responsable commercial passé par Texas Instruments et Samsung. Car l'objectif visé est ambitieux : 50 à 100 millions d'euros de chiffre d'affaires à trois ans. « Cela prendra plus de deux ans car ce sont des systèmes qui demandent du temps et de nombreuses validations et durent généralement entre 18 et 24 mois. » Soit le temps nécessaire pour roder la nouvelle usine, entièrement automatisée.
Automatiser les process
« Nous avons investi dans des machines pour automatiser les process et augmenter la capacité mais aussi et surtout pour améliorer la qualité de façon substantielle », souligne Vincent Cobée. Résultat, la société va être capable de réaliser ses produits de manière « totalement automatisée, entièrement traçable, répétable et avec un très haut niveau de qualité. » Ce qui doit permettre d'améliorer le niveau de qualité dans des facteurs de 10 et la capacité de production dans des facteurs de 10 à 100 sur les 80 étapes du projet.
Cette montée en puissance a nécessité un investissement de 14 millions d'euros, dont 10 millions d'euros rien que pour les équipements, permise par la levée de fonds de 80 millions d'euros réalisée en 2022 par la société.
A terme, l'usine ambitionne de produire pas moins de 30 millions de batteries par an, soit 130 à 140.000 batteries par jour, souligne le CEO. Au cours des deux prochaines années, la société ambitionne ainsi de « quasiment doubler les effectifs de support et tripler nos équipes d'opérateurs d'ici à 2026, soit entre 20 et 40 recrutements. »
Considérée comme une usine « pilote », le site de Dardilly servira de modèle et de test pour les suivantes. Car la société entend bien croquer une partie de ce marché à 5 milliards d'unités par an. Si un site est déjà dans le viseur d'Iten, près de Chalon-sur-Saône, pas question de se hâter pour autant.
« Dans la culture industrielle, on démontre que notre business case est performant avant de lancer la construction d'une unité plus importante », tempère Vincent Cobée. Une stratégie à laquelle s'ajoute une réflexion stratégique encore plus lointaine, quant au lieu de production. « Nous vendons principalement notre solution à des clients étrangers, qui ne sont pas européens. Certains d'entre eux n'achèteront pas un produit fini en source unique depuis la France ». Rien n'est cependant décidé, assure t-il, précisant que les expertises techniques et technologiques resteront bel et bien dans l'Hexagone.
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