Quantique : après la Finlande, IQM choisit la France (et le CEA-Leti) pour développer ses futurs processeurs

Vitrine de l'attractivité de la France pour les investisseurs étrangers, le 7ème Sommet Choose France, organisé à Paris le 13 mai 2024, a été l'occasion de mettre en avant le développement des projets initiés par des acteurs étrangers sur le territoire. En Auvergne-Rhône-Alpes, la technologie quantique est à l'honneur grâce à la collaboration entre le CEA-Leti (Grenoble) et le leader européen du quantique, IQM Quantum Computers. Son ambition: développer et expérimenter un processus de fabrication à échelle industrielle de processeurs quantiques. Avec, à la clé, la création d'une ligne de production en France d'ici fin 2027.
IQM Quantum Computers poursuit son implantation en France en se rapprochant du CEA-Leti pour développer certains process de sa future ligne de production à échelle industrielle.
IQM Quantum Computers poursuit son implantation en France en se rapprochant du CEA-Leti pour développer certains process de sa future ligne de production à échelle industrielle. (Crédits : Crédit : IQM Quantum Computers)

Technologie obscure pour les non initiés, le quantique se forge une place de plus en plus forte dans l'escarcelle politique, mais aussi au sein des entreprises en quête de solutions toujours plus performantes. Car c'est là toute la promesse de cette technologie : augmenter de manière exponentielle la vitesse de calcul et plus largement, la résolution de problèmes.

Accusant du retard sur certains segments technologiques, la France entend bien remettre les compteurs à zéro avec le quantique en devenant une voix qui compte dans ce secteur jugé prometteur. D'où la création d'un « plan quantique » en janvier 2021 et la fierté non dissimulée du gouvernement de voir le finlandais IQM Quantum Computers poursuivre son implantation en France, en se rapprochant du CEA-Leti et, plus globalement, du bassin grenoblois.

Installée depuis décembre 2021 à Paris, IQM Quantum Computers développe des ordinateurs quantiques à base de circuits supraconducteurs en Finlande. « Nous construisons des ordinateurs full stack, précise Jan Goetz, co-CEO et co-fondateur de l'entreprise, c'est-à-dire, que nous gérons toute la chaîne de valeur, de la machine jusqu'au logiciel. »

Dernier projet en date : la création, avec le Centre de Recherche Technique de Finlande (VTT), d'un ordinateur quantique 54 qubits promis à la livraison à l'automne prochain.

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Car c'est bien tout l'enjeu de la course qui se joue entre les acteurs du quantique : accroître la puissance sans perdre en fiabilité, ni en qualité. Or les méthodes actuelles ne permettent pas de répondre à ce besoin. « En augmentant la puissance, deux contraintes émergent : la limitation du câblage que l'on pourra utiliser, d'où des études avancées sur la partie hardware; et la correction d'erreurs qui nécessitent un travail sur les algorithmes », décrypte Amine Ennaifer, Quantum Computing Senior Project Manager.

« Si on veut passer de 50 à 100 qubits en utilisant nos méthodes actuelles, on aura forcément une dégradation de performance parce qu'il y aura plus de bruit. Tout l'art est de pouvoir mettre plus de qubits, et non pas avoir une dégradation ou la même performance mais améliorer la performance.»

D'où le développement de recherches sur le sujet en Finlande, avec l'écosystème français dont le CEA-Leti mais aussi d'autres partenaires européens.

Une chaîne de production à échelle industrielle

La société finlandaise a, en effet, décidé de s'appuyer sur l'expertise française dans ce domaine et plus précisément celle du CEA-Leti, le centre de recherche et technologie spécialisé dans les micro et les nanotechnologies. Ce dernier travaille déjà depuis plusieurs années sur divers enjeux relatifs à la technologie quantique. Ce, via notamment le consortium « Quantum Silicon Grenoble » fondé en 2018 dont l'ambition est de créer un ordinateur 100 qubits.

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Cette collaboration a pour but de s'inscrire dans le temps en s'orientant autour de divers projets de recherche auxquels seront associés d'autres acteurs de l'écosystème. Un premier axe de coopération, présenté le 13 mai dernier, consistera à développer certaines étapes de fabrication des puces quantiques d'IQM et plus précisément d'automatiser le processus, sans perdre en qualité, afin de dessiner une chaine de production à échelle industrielle. Car aujourd'hui, l'usine d'Espoo, qui a déjà produit quelques pièces, n'est pas taillée pour répondre à la demande qui devrait affluer dans les années à venir.

« L'idée est de piocher dans l'industrie des semi-conducteurs, là où le CEA-Leti possède une expertise mondialement reconnue, révèle Amine Ennaifer. L'objectif est ensuite d'associer nos expertises et de créer une synergie pour transférer certains process de production des semi-conducteurs au quantique, en espérant que cela marche. »

Cette quête fera l'objet de recherche concrète pour développer la solution la plus appropriée et « bénéficier de l'état de l'art dans ce domaine »  afin de « produire les générations futures de processeurs quantiques pour atteindre 54 qubits puis 100 qubits et même au-delà », confie Jan Goetz.

Cette solution sera ensuite transférée à l'échelle industrielle pour produire des ordinateurs quantiques dans l'Hexagone. Et ce, dès fin 2027. « Sauf contrainte financière, nous sommes plutôt d'avis d'avoir toute la chaîne d'approvisionnement sur place afin de ne pas faire voyager les wafers, ce qui ne serait pas optimal », estime Amine Ennaifer responsable du projet.

Grenoble, un vivier de talents à disposition

Mais le choix de la France et du bassin grenoblois ne se limite pas à la seule présence du CEA-Leti, insiste le fondateur d'IQM qui met en avant le dynamisme de l'écosystème français avec ses start-ups et ses laboratoires de recherche.

Des acteurs avec lesquels l'entreprise espère « avancer afin d'accélérer dans le domaine quantique » et devenir un véritable « Airbus du quantique ». Par « le biais de cette collaboration étroite entre plusieurs pays d'une part et un acteur industriel solide d'autre part », nous souhaitons « conforter notre position de leader mondial du domaine de l'informatique quantique », confirme t-il.

IQM Quantum Computers entend également piocher dans le vivier de forces et de têtes pensantes présentes sur le territoire, et notamment à Grenoble, quand il faudra renforcer ses effectifs. Ce qui devrait se faire au fil du temps, une fois la ligne de fabrication lancée, sans toutefois qu'un nombre précis d'emplois soit annoncé.

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« Grenoble bénéficie de toute un écosystème d'universités et de centres de recherche performants» , pointe Jan Goetz qui reconnaît néanmoins avoir « aussi pour perspective de recruter en Europe de façon plus globale et de transférer certains salariés afin de profiter de la force de l'écosystème européen quantique dans son intégralité ». L'entreprise possède en effet cinq bureaux dont le monde, en plus de ses entités finlandaises et française, à Palo Alto, Madrid, Munich, Varsovie et Singapour.

Un investissement de 100 millions d'euros est déjà prévu dans le projet. Mais ce montant devrait être revu à la hausse, estime l'entrepreneur. Qui reconnaît d'ores et déjà le besoin de trouver des investisseurs privés pour continuer à se développer en plus du soutien de l'Etat français.

Ce dernier investira dans le projet de manière « significative », concède Jan Goetz à nos confrères de BFM-TV, sans toutefois souffler le montant exact. De quoi motiver un peu plus son implantation dans l'Hexagone.

Toutes les industries sont concernées

En venant compléter la première usine finlandaise d'IQM, la future entité française permettra surtout à la société de passer un nouveau cap dans son développement  :

« Les processeurs qui y seront produits vont créer une importante valeur commerciale. Avec ceux qu'on fait aujourd'hui, on ne peut pas vraiment faire tourner des applications dans l'industrie ou la pharmaceutique. »

Et le spectre à conquérir est grand. Dans une tribune, publiée en septembre dernier,  Xavier Dalloz, consultant spécialisé dans les nouvelles technologies, annonçait un marché de l'informatique quantique d'environ 1 milliard de dollars en 2022, qui devrait être multiplié par 8 d'ici 2030.

Et le co-fondateur d'IQM le confirme : « Pratiquement toutes les industries sont ou seront intéressées par le quantique. Cela va créer une rupture technologique dans tous les secteurs, mais pas forcément avec la même échelle de temps, juge l'entrepreneur. Des applications semblent plus avancées dans trois secteurs : l'industrie pharmaceutique, la sécurité et la finance. Des développements dans la logistique se dessinent également. »

Deux projets sont notamment évoqués, l'un avec une entreprise de cybersécurité installée en France et le second avec Siemens en Allemagne, sur un projet de batteries électriques.

Aujourd'hui, les clients de l'entreprise, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 16,9 millions d'euros en 2023, utilisent surtout son service par cloud, sa troisième offre après un ordinateur de 5 qubit (Spark) dédié à la recherche et au monde universitaire et son homologue Radiance, dont la puissance devrait s'élever à 54 qubits avec une montée en puissance au fil du temps. Qui sera, lui destiné, aux centres de calcul.

La poursuite de la stratégie quantique française

L'engagement d'IQM à créer une ligne de production en France, est un signe de bon augure pour le gouvernement français, qui n'a pas caché son enthousiasme lors du Sommet Choose France. Neil Abroug, coordinateur de la stratégie nationale quantique, y voit une étape clé :

« Sans installations de fabrication avancées, les startups européennes spécialisées dans les systèmes quantiques supraconducteurs ne peuvent pas rivaliser avec leurs homologues américaines. L'accord entre IQM et ses partenaires industriels et universitaires français sera bénéfique non seulement pour IQM, mais aussi pour la France et l'ensemble de l'écosystème quantique européen », confie t-il par voie de communiqué.

Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, Bruno Bonnel et Laurent Saint-Martin, se sont fièrement réjouis de cette annonce, y voyant un signal de la valeur de la place française dans l'univers du quantique aujourd'hui. Et surtout, l'opportunité de la voir rayonner davantage via cette collaboration.

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