BTP : « Tous les voyants sont au rouge, cela fait des années que nous tirons la sonnette d'alarme » (Samuel Minot, FFB Aura)

Invitées à participer aux « 24 heures de la transition écologique en Auvergne-Rhône-Alpes » ce jeudi, en présence notamment des ministres de la Transition écologique et du Logement, Christophe Béchu et Guillaume Kasbarian, la Fédération française du bâtiment (FFB) Auvergne-Rhône-Alpes et la fédération du BTP Rhône et Métropole ont décliné l'invitation. Les deux organisations professionnelles dénoncent notamment la complexité des procédures et les coupes budgétaires en matière de rénovation énergétique et de construction, alors que le secteur du BTP accuse déjà de grandes difficultés. Entretien avec Samuel Minot, président de la FFB Aura.
La FFB Auvergne-Rhône-Alpes estime que près de 15.000 emplois du BTP sont aujourd'hui menacés dans la région du fait de la diminution du nombre de constructions.
La FFB Auvergne-Rhône-Alpes estime que près de 15.000 emplois du BTP sont aujourd'hui menacés dans la région du fait de la diminution du nombre de constructions. (Crédits : Reuters)

La Tribune - Pourquoi boycotter aujourd'hui ce déplacement ministériel à Lyon, en présence notamment des ministres de la Transition écologique, Christophe Béchu, mais aussi du Logement, Guillaume Kasbarian ?

Samuel Minot, président de la Fédération française du bâtiment Auvergne-Rhône-Alpes : La filière est d'habitude assez peu adepte de la politique de la chaise vide. Mais face à l'absence de volonté des pouvoirs publics sur les enjeux actuels, dont la construction de logements neufs et la rénovation énergétique, nous voulions aujourd'hui envoyer un signal fort.

Nous avons en effet depuis plusieurs années largement contribué aux débats, que ce soit lors des commissions Rebsamen, des assises du logement, ou encore du Comité national pour la refondation du logement. La profession s'est largement pliée aux volontés politiques sur la rénovation énergétique, la formation, l'investissement dans les moyens, l'adaptation des nouvelles réglementations, notamment la RE2020.

Mais en parallèle, l'Etat nous déshabille de nos moyens, notamment en enlevant le dispositif Pinel pour les bayeurs privés, en recalibrant le prêt à taux zéro (PTZ), désormais uniquement pour la maison individuelle en zones détendues. Et dimanche dernier, Bruno Le Maire a annoncé retirer 1 milliard d'euros au dispositif Ma Prime Rénov'. Cela suffit. Le temps n'est plus à la concertation, mais à l'action.

Lire aussiImmobilier neuf : les promoteurs attendent de nouveaux gestes de la métropole et de l'Etat

Quel est l'état du contexte économique pour les entreprises du BTP de la région, à l'heure où le nombre de constructions neuves a chuté depuis un an, et que la rénovation énergétique des bâtiments ne va pas aussi vite que prévu ?

Du côte de la construction, la chute est impressionnante, avec -30% de permis de construire accordés en 2023 dans la région. C'est un effondrement : il faut remonter aux années 1950 pour retrouver une dynamique aussi faible ! Et nous assistons aux conséquences : près de 9 % de l'effectif de notre filière est aujourd'hui en danger, soit environ 15.000 salariés sur les 160.000 du secteur dans la région. Nous sommes ainsi entrés en récession en termes d'emplois au dernier trimestre 2023, avec -1,2 % de masse salariale, et une hausse de 5 % des demandeurs d'emplois. C'est aussi un sujet au long cours, avec beaucoup d'inertie. On s'attend donc à ce que cette tendance à la récession s'aggrave et se maintienne dans la durée.

Quant au dispositif Ma Prime Rénov, la demande a chuté de 17 % en 2023 par rapport à 2022. Donc ça y est, tous les voyants sont au rouge. Mais cela fait des années que l'on tire la sonnette d'alarme.

Samuel Minot, Président de la Fédération du Bâtiment Auvergne Rhône-Alpes

Samuel Minot, Président de la Fédération Française du Bâtiment Aura

Vous pointez notamment la révision à la baisse de l'enveloppe budgétaire allouée au dispositif Ma Prime Rénov', qui n'augmenterait finalement cette année que de 600 millions d'euros, contrairement aux 1,6 milliard d'euros annoncés l'année dernière dans le projet de loi de finances. Quelle est votre position sur cette annonce faite par Bruno Le Maire il y a quelques jours ?

C'est évidemment un très mauvais signal pour nos artisans, nos entrepreneurs et les particuliers, qui vont se poser la question de s'ils sont éligibles, et si ce dispositif est toujours prioritaire. La principale difficulté concerne en fait son calibrage : nous n'aidons pas suffisamment, et le reste à charge est trop important pour les particuliers. De même, ce dispositif ne cesse de changer : faut-il ou non changer sa chaudière pour en bénéficier ? De même, comment articuler le système des rénovations par gestes et globales ? Cette instabilité est impossible. Aujourd'hui, les entreprises qui avancent les fonds aux particuliers ont un mal fou à se faire rembourser par l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Tout est compliqué et instable. Donc petit à petit, ce dispositif attire moins et draine moins de volonté. À cela, il faut aussi ajouter l'inflation sur les matériaux et les coûts de construction, qui constituent un reste à charge trop important pour les plus modestes.

Lire aussiImmobilier : 140.000 logements G et F reclassés, une première brèche dans le calendrier d'interdiction à la location ?

D'un autre côté, le gouvernement a également assoupli certaines mesures, à l'instar du dispositif DPE : les logements G pour les petites surfaces seraient désormais classés F, a annoncé le gouvernement, soit un report d'interdiction à la location d'au moins trois ans, jusqu'en 2028. Près de 140.000 logements seraient concernés par cette réforme, soit 11 % du parc immobilier des petites surfaces. N'est-ce pas là un pas en direction du secteur ?

Non, ce sont des effets d'annonce. Que cela prouve-t-il ? Que tous les dispositifs réglementaires censés être éprouvés, réfléchis et bien calibrés ne le sont pas. Nous voulons aller trop vite sur la transition écologique et le déclassement de notre parc locatif. Or, nous nous apercevons surtout que l'offre de logements chute à une vitesse affolante en France. Le fait d'avoir imposé trop de règles vient contraindre encore plus le marché du logement en France. C'est un retour en arrière. Car ce report de la sortie de 140.000 logements classés G, initialement prévue au 1er janvier 2025, ne permet pas d'en créer de nouveaux ! Cela évite seulement d'en sortir. Ainsi, l'Etat n'avance pas sur l'offre globale de logements. Il ne fait que décomplexifier ce qu'il avait auparavant contribué à compliquer.

Qu'attendez-vous aujourd'hui du gouvernement sur la rénovation énergétique et la construction neuve ? Pourquoi les assouplissements réglementaires seraient-ils, selon vous, la voie privilégiée pour dynamiser ce marché ?

Nous avons trois grands enjeux. D'abord, celui de réactiver la dynamique : le logement est malade d'un certain nombre de dispositifs d'aménagement du territoire et de dispositifs qui permettent d'inciter et d'aider les Français à acquérir un logement. Donc il faut impérativement et rapidement rétablir le prêt à taux zéro (PTZ) pour la construction d'un logement, pour les territoires tendus et détendus, ainsi que pour la maison individuelle.

Le deuxième point, c'est d'agir sur les investisseurs en rétablissant un statut fiscal du bailleur privé, pour renforcer l'offre des logements locatifs. Je rappelle que le bailleur privé est le premier en France, mais qu'il n'est plus considéré dans les textes. Il faut impérativement un signe positif.

Enfin, il y a le grand enjeu de la rénovation énergétique et là, deux choses sont importantes : la première est de simplifier drastiquement Ma Prime Rénov, qui s'est largement complexifiée avec par exemple « Mon Accompagnateur Rénov ». Et enfin, pour l'ensemble de la filière, concernant la « responsabilité élargie du producteur » (REP) Bâtiment, geler les barèmes et rendre le dispositif bien plus opérationnel.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.