En Haute-Maurienne, Aussois devient un symbole de la transition climatique des stations de ski

Les temps sont rudes pour les stations de sports d’hiver, qui doivent massivement investir pour sortir de la dépendance à la mono-activité du ski alpin. Face à un modèle désormais remis en cause par les rapports du GIEC ou de la Cour des comptes, les associations environnementales montent au créneau pour remettre en cause les nouveaux projets d’aménagement. C’est le cas en Haute-Maurienne (Savoie), où un projet de modernisation du télésiège de la Fournache vient d’être stoppé par le Tribunal administratif de Grenoble. Mais la commune n'est toutefois pas décidée à lâcher le morceau.
Aussois n'est toutefois pas décidée à lâcher le morceau. La commune de Haute-Maurienne (Savoie) va faire appel, espérant que la cour d'appel de Lyon sera plus réceptive à ses arguments que le Tribunal administratif de Grenoble.
Aussois n'est toutefois pas décidée à lâcher le morceau. La commune de Haute-Maurienne (Savoie) va faire appel, espérant que la cour d'appel de Lyon sera plus réceptive à ses arguments que le Tribunal administratif de Grenoble. (Crédits : DR/cabinet Eric)

Il est parfaitement aux normes de sécurité mais le télésiège de la Fournache, sur le domaine skiable de la petite station savoyarde d'Aussois en Haute-Maurienne, est un « vieux coucou », de l'aveu même du maire de la commune, Stéphane Boyer (sans étiquette). Un télésiège deux places, peu confortable et affichant l'âge vénérable de 44 ans, que la commune d'Aussois (712 habitants ; 6.000 lits touristiques ; 204.331 journées skieurs sur la saison 2022/2023 pour 55 kilomètres de pistes ; quatre remontées mécaniques et trois téléskis) avait pour projet de remplacer par un équipement plus moderne : un télésiège quatre places, pince fixe, permettant d'accueillir des familles.

Un investissement de quatre millions d'euros comprenant le nouvel équipement et une modification du tracé actuel de la remontée de la Fournache, avec un déplacement de la gare aval quelques centaines de mètres plus bas, permettant d'offrir une piste supplémentaire de 500 mètres aux skieurs.

Décision du tribunal administratif de Grenoble

Les travaux ont déjà démarré mais ils ont dû s'interrompre brutalement. En effet, le Tribunal administratif de Grenoble vient de donner un coup d'arrêt au projet de ce petit domaine skiable s'étalant entre 1.500 et 2.700 mètres d'altitude.

Suite à un recours de France Nature Environnement (FNE), celui-ci a annulé deux arrêtés pris par le maire d'Aussois le 8 septembre 2020 pour autoriser l'aménagement de pistes de ski et la réalisation du nouveau télésiège. Dans sa décision, le Tribunal estime que « l'évaluation des impacts sur l'environnement portait sur un champ géographique trop restreint car se limitant strictement aux emprises du télésiège et des pistes de ski sans aucune analyse des conséquences du projet sur les zones proches qui deviendraient accessibles aux skieurs grâce à ces équipements ».

Il estime, par ailleurs, qu'une dérogation au titre des espèces protégées était nécessaire et que « les arrêtés ne pouvaient donc autoriser les travaux sans les conditionner à l'obtention de cette dérogation ».

Enfin, l'autorité judiciaire dit tirer les conséquences de l'annulation (en 2023) du schéma de cohérence territoriale du pays de Maurienne. Annulation qui, de fait pour le Tribunal, inscrit le projet de la Fournache dans « une unité touristique nouvelle structurante estimée elle-même illégale ».

« Quand les stations de ski vont-elles cesser leur fuite en avant ? »

Pour France Nature Environnement, cette décision du Tribunal administratif de Grenoble représente une victoire importante dans son combat contre l'extension des domaines skiables.

« Les extensions de domaines skiables déguisées en remplacements de remontées mécaniques se font de plus en plus fréquentes. Le nouveau tracé du télésiège aurait suivi un tracé complètement différent, avec de nouvelles pistes sur un site encore vierge d'équipements en altérant lourdement le magnifique paysage du sentier de grande randonnée GR5 », explique ainsi l'association de défense de l'environnement.

Au-delà du projet spécifique de la Fournache, France Nature Environnement se réjouit de la position du Tribunal qu'elle estime plaider pour « un changement profond du modèle économique montagnard, qui ne soit plus basé sur le pillage des ressources naturelles par la monoactivité ski alpin ».

Pour FNE, « l'extension continue des domaines skiables, qui alimente une urbanisation sans fin et génère la consommation de gigantesques volumes d'eau pour faire de la neige artificielle, n'est pas soutenable ». Eric Feraille, pilote des réseaux Montagne et juridique de FNE AuRA, interroge sans détour : « les stations de ski seront percutées de plein fouet par le réchauffement climatique. Quand vont-elles enfin cesser leur fuite en avant et sérieusement penser à s'adapter ?».

Laisser le temps à la diversification

Une attaque que le maire d'Aussois, Stéphane Boyer, a beaucoup de mal à digérer.

« Nous avons de la neige en quantité raisonnable car nous sommes une station avec une assez haute altitude. Nous avons fait une étude « Climsnow » qui permet de modéliser précisément les perspectives d'enneigement. Même avec un scénario de réchauffement à +4 degrés, il sera encore possible de skier à Aussois. Nous pouvons donc nous projeter assez loin ».

L'élu reconnait toutefois que ces deux dernières années, la station - gérée par une société publique locale détenue à 80% par la commune d'Aussois et à 20% par celle de Val-Cenis, - a dû faire appel aux canons à neige pour le bas de ses pistes.

« Nous ne nions pas la réalité du changement climatique, nous voyons bien que c'est de plus en plus difficile. Mais il n'est pas possible de donner un coup d'arrêt à toute cette activité économique. Pour Aussois, c'est plus de 300 emplois : les 80 de la SPL, auxquels s'ajoutent ceux de nos centres de vacances qui accueillent notamment des scolaires et les 70 moniteurs de ski. Nous avançons vers la diversification mais pour cela, nous avons besoin encore des revenus générés par le ski pour investir dans de nouveaux équipements quatre saisons ».

La décision du Tribunal lui semble d'autant plus insupportable que la nouvelle piste en question pointée par FNE serait en réalité une petite combe déjà skiée par les locaux, et située à l'intérieur de l'emprise du domaine skiable. Mais qui n'était pas damée jusque-là.

Pour prouver sa bonne foi dans ses efforts de diversification, le maire d'Aussois égrène d'ailleurs les investissements récents réalisés en ce sens : une piste tubing quatre saisons (250.000 euros), une mise en valeur de gravures rupestres (un million d'euros), un projet de création d'un espace dédié à l'art et l'accueil d'artistes en résidence (600.000 euros), la création d'un espace bien-être (2 millions d'euros), opération de réhabilitation pour « réchauffer » des lits dits froids (c'est-à-dire non loués)...

Accumulation de recours sur les projets d'aménagement de la montagne

Pour Jean-Luc Boch, maire de la Plagne et président de l'association Nationale des Maires de Stations de Montagne (ANMSM), ce dossier est l'illustration parfaite de la tempête qui se déchaine contre les stations de montagne ces derniers temps.

« Je ne comprends pas qu'on s'oppose à la modernisation d'un équipement qui existait déjà. Encore une fois, on rend la montagne responsable du réchauffement climatique et de la dégradation environnementale alors qu'elle en est la victime. Nous, montagnards, sommes les premiers à prendre soin de nos espaces. Il ne faut pas oublier que seuls 2% de la montagne sont aménagés. Ces 2% permettent d'offrir des vacances à des millions de personnes et font travailler des milliers de salariés. Si la montagne ne peut plus être aménagée, ces touristes viendront quand même, sans garde-fou et saccageront les espaces naturels. Il y a désormais systématiquement des recours mais quelle est la légitimité de prise de parole de ces personnes ? ».

Pour les élus des stations de montagne, cette dernière décision du tribunal administratif de Grenoble concernant Aussois est un peu la goutte d'eau qui fait déborder le vase qui ruisselait déjà depuis plusieurs mois d'attaques venues de tous les fronts : annulation du PLU de l'Alpe d'Huez, le Grand Bornand sommé de revoir son plan local d'urbanisme, annulation du SCOT de Maurienne, moratoire sur le projet de retenue collinaire de la Clusaz...

Derrière ces décisions, à chaque fois ou presque, des oppositions et des recours juridiques déposés par des associations environnementales. Et puis, un point d'orgue qui, plusieurs semaines après sa publication, ne passe toujours pas auprès des stations de montagne : le rapport de la cour des comptes sur l'adaptation au changement climatique des stations de ski. Un document de près de 150 pages estimant, en synthèse, que celles-ci ne seraient pas à la hauteur.

« Ce rapport est une absurdité. Il faut arrêter de dire que c'est fini. Le climat n'est pas un interrupteur. Tout ne va pas s'arrêter du jour au lendemain. Tant que c'est possible, le ski donne justement aux stations les moyens d'investir pour l'après », enrage le président de l'ANMSM.

En tout cas, Aussois n'est pas décidée à lâcher le morceau. La commune va faire appel, espérant que la cour d'appel de Lyon sera plus réceptive à ses arguments que le Tribunal administratif de Grenoble. Mais pour ne pas perdre plus de temps, la commune travaille d'ores et déjà, en parallèle, à un nouveau projet de modernisation intégrant les critiques émises par la première juridiction.

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