C'était un moment très attendu, tant les relations entre l'exécutif régional d'Auvergne-Rhône-Alpes et l'Etat divergent en ce moment sur de nombreux sujets, dont l'épineuse application du dispositif Zéro artificialisation nette des sols (ZAN). Choix ou hasard du calendrier, l'exécutif a choisi Lyon pour conclure sa tournée des treize conférences des parties (COP) dans les régions françaises, ce jeudi 21 décembre. Son président (LR), Laurent Wauquiez, avait en effet déclaré en septembre dernier vouloir « sortir » la collectivité de cette obligation issue de la loi Climat et Résilience.
Réunissant notamment les acteurs politiques et économiques du territoire, mais aussi des militants associatifs et des étudiants, ce « grand dialogue » constituait une première étape de remontée des spécificités locales afin d'affiner les contours de la future planification écologique, dont la feuille de route a été présentée par le gouvernement en septembre dernier. L'objectif : doubler la réduction des émissions à effet de serre d'ici à 2030, dans un contexte où la région Auvergne-Rhône-Alpes représente 12 % de celles-ci en France. Mais aussi exposer « la vision » de l'Etat, là où « il n'y a pas un seul chemin, une seule voie », cadre d'emblée le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, alors en terrain miné face au délicat, car très emblématique et médiatisé, enjeu de l'artificialisation des sols.
Laurent Wauquiez demande la révision de la loi ZAN
Car une partie très attendue des débats concernait le retrait annoncé en septembre dernier par le président de la Région Laurent Wauquiez (LR) de la ZAN, inscrite dans la loi depuis 2021. Cette disposition impose en effet aux conseils régionaux d'intégrer la sobriété foncière dans leurs schémas territoriaux avant novembre 2024, afin de réduire de moitié l'artificialisation des sols d'ici à 2031 par rapport à la décennie précédente, puis atteindre le net zéro en 2050.
Foncièrement opposé à cette norme pour des questions notamment de « démocratie locale », où « l'administration déciderait à la place des élus locaux », Laurent Wauquiez s'est ainsi à nouveau déclaré « très dubitatif sur ce texte », en raison d'une « perte de bon sens ». L'ancien maire du Puy-en-Velay (Haute-Loire) a par ailleurs adressé, mardi dernier, un courrier co-signé par 2.000 élus locaux contre le caractère « technocratique » de la loi ZAN à la Première ministre Elisabeth Borne. Et si la rencontre avec Christophe Béchu a bien failli tourner au vinaigre, à grands coups d'images et de métaphores devant un parterre hétéroclite et divisé, le président de région a finalement adopté une autre position, en demandant explicitement au ministre de « faire bouger la loi » relative à la ZAN, sans préciser s'il entend toujours en sortir.
« J'ai une grande confiance dans le ministre pour qu'il nous aide à ramener du bon sens, a ainsi déclaré Laurent Wauquiez devant la presse. Je suis prêt à ce qu'on bouge, à ce qu'on travaille en commun pour arrêter une artificialisation stupide. Mais je ne veux pas que cela tombe de Paris, que cela soit des usines à gaz technocratiques. Je ne veux pas que cela aboutisse à ce que des concitoyens n'aient plus droit à un jardin, n'aient plus droit à un permis de construire. Je pense que cela pourrait aboutir, sinon, aux gilets jaunes puissance dix ».
De son côté, Christophe Béchu, accompagné d'Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, s'est dit convaincu que le président de la région allait finalement « appliquer la loi », après avoir « fait monter les enchères ». Le ministre pointe ainsi « une finalité commune, mais un sujet de méthode » et convient d'un entretien avec Laurent Wauquiez début 2024 « pour regarder de manière concrète ce que lui pointe comme étant des difficultés et des inquiétudes et ce que j'indique comme étant des sujets sur lesquels il y a déjà eu des évolutions ».
« Aujourd'hui, partout où nous passons et où nous travaillons, nous nous rendons compte que nous sommes capables, dans le texte actuel, de trouver des solutions par rapport au sujet », a ainsi tranché Christophe Béchu.
Un « patriotisme environnemental », sur fond de photos du Mont-Blanc
C'est dans ce contexte, où la ZAN concentrait à elle seule toutes les problématiques liées à la difficile application de la transition écologique, que plusieurs visions se sont entrechoquées. Laurent Wauquiez, qui a choisi le stade de Gerland et l'influent club Lou Rugby pour incarner ces échanges, a ainsi plaidé pour une « écologie positive » et un « patriotisme environnemental » sur fond de photographies du Mont-Blanc et des « industries décarbonées » de la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie : « le seul territoire français où l'Etat a considéré qu'on avait diminué les émissions de CO2 ».
Celui dont les prétentions pour la prochaine élection présidentielle sont désormais connues, a notamment axé son discours sur la réindustrialisation face à la concurrence asiatique - et dont les émissions de gaz à effet de serre, à l'importation, ne sont pas prises en compte par la feuille de route gouvernementale. Mais aussi sur les énergies (Auvergne-Rhône-Alpes est la première région productrice d'électricité décarbonée, grâce au nucléaire, et d'énergies renouvelables, avec l'hydroélectricité), et l'agriculture, là où « on ne fera pas d'écologie contre nos entreprises et nos agriculteurs ».
D'où des « paradoxes » qui forment les principaux obstacles à dépasser, estime Christophe Béchu, citant par exemple la conservation de prairies face à l'enjeu de souveraineté agricole et de bien-être animal à travers l'élevage local. « Dans tout ça, on voit la complexité à se mettre d'accord dans une sorte de tour de Babel moderne, compte tenu des défis et des limites planétaires qui, parfois, compliquent l'équation », remarque l'ancien maire d'Angers (Maine-et-Loire), venu à Lyon avec une myriade de chiffres et de constats. Sa méthode ? Cadrer le débat en s'appuyant sur les objectifs à tenir.
« Il faut trouver le bon rythme. J'entends ce que sont les interrogations, les attentes, mais aussi les besoins de souplesse et les impatiences. Ce que je dis, c'est que nous y sommes (face au dérèglement climatique), et tout le monde s'y mêle », conclut le ministre Béchu.
Charge maintenant à la préfète de région, Fabienne Buccio, de recueillir, dans les six prochains mois, les propositions du président Wauquiez et de l'écosystème régional, afin de les faire remonter au ministère dès juillet 2024.
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