Hydrogène : comment le plan de relance pourrait faire accélérer la filière auralpine

LA CONQUETE HYDROGENE, épisode 2. Engagés sur la filière hydrogène ("H2") depuis une quinzaine d’années, à travers plusieurs projets expérimentaux mêlant recherche académique et secteur privé, les acteurs de la région Auvergne Rhône-Alpes veulent eux aussi leur part du gâteau du plan hydrogène de 7,2 milliards annoncé par le gouvernement. Ils comptent bien s’appuyer pour cela sur cette enveloppe pour conserver une longueur d’avance et adresser les défis qui demeurent, aux portes de l’industrialisation.
Du côté des constructeurs, ce plan de relance pourrait en effet contribuer à accélérer la commercialisation des véhicules issus de la filière française et d'engager la massification des productions.
Du côté des constructeurs, "ce plan de relance pourrait en effet contribuer à accélérer la commercialisation des véhicules issus de la filière française et d'engager la massification des productions". (Crédits : DR)

Après s'être engagés sur deux projets expérimentaux (HyWay et désormais Zero Emission Valley) à l'échelle de leur territoire, les acteurs auralpins de la filière hydrogène veulent aller plus loin. Leur objectif : se placer demain au sein du futur mix énergétique comme une solution concrète et « scalable », aux côtés des batteries électriques, en vue de rediriger notamment les usages de mobilité lourde et semi-lourde vers l'hydrogène.

Et même si la filière peut désormais compter sur une quinzaine d'années de développement, au cœur d'une vallée située entre les villes de Chambéry, Grenoble et Lyon -qui regroupe à elle seule près de 80% des acteurs bleu-blanc-rouge de l''hydrogène-, 2021 pourrait être encore synonyme de plusieurs enjeux à relever, pour une filière qui attendait son heure depuis plusieurs mois.

« Le programme France Relance arrive sur les recommandations issues des travaux qui se sont déroulés au sein de la filière hydrogène. C'était le bon moment, où tout le monde se disait qu'il fallait justement passer à l'étape supérieure », traduit Elisabeth Logeais, déléguée générale du pôle de compétitivité de la transition énergétique en AuRA, Tenerrdis et également déléguée régionale de France Hydrogène, à l'origine de ces travaux.

« Il est certain que l'année 2020 aura été une année d'accélération pour le secteur de l'hydrogène », résume Philippe Rosier, président de Symbio, « puisqu'il s'agit d'une solution qui permet de décarboner certains secteurs, comme la mobilité ou l'industrie, qui ont du mal à aller plus loin aujourd'hui dans leurs objectifs, mais aussi de miser une technologie où l'Europe et notamment la France est très bien positionnée ».

Avec, pour commencer, un défi de passage à l'échelle d'une production jusqu'ici réalisée en laboratoire ou en petite série, que plusieurs projets comme Genvia ou Symbio s'apprêtent à relever, en ayant annoncé la construction de deux usines capables de monter en volume au cours des prochaines années.

Lire aussi : L'arc alpin se rêve comme le nouveau poumon de l'hydrogène

Et à l'heure du plan France Relance, ces développements sont appelés à s'accélérer, voire se massifier :

« Les cinq prochaines années pourraient s'avérer décisives. Car contrairement à la filière électrique, où l'on a déjà vu émerger des gigafactory de batteries un peu partout à travers le monde, l'hydrogène offre encore la possibilité de développer une vraie filière française, voire européenne, visant à couvrir l'ensemble des maillons de la chaîne », traduit Anne-Lorène Vernay, professeur et membre de la chaire Energy for Society de Grenoble Ecole de Management.

Des enjeux pour déployer les usages de mobilité

Or dans le jeu du déploiement, la filière hydrogène se heurtait jusqu'ici à la question de la poule et de l'œuf : car bien que ses piles à combustible lui permettaient d'envisager une mise sur le marché de premières séries de véhicules équipés en hydrogène, elles supposaient aussi de disposer, en parallèle, d'un maillage de stations suffisant à l'échelle du territoire, et de constructeurs automobiles prêts à sauter le pas, ainsi que de sources de financements permettant de rendre ces solutions accessibles.

Un défi auquel comptait déjà répondre, en partie, le projet Zero Emission Valley (ZEV) à l'échelle de la région AuRA, -qui vise les 20 stations et 1.200 véhicules hydrogènes d'ici 2023 au sein de l'arc alpin, à travers la création d'une nouvelle société Hympulsion-, mais qui, pour ce faire, devra lui aussi être suivi par d'autres projets.

« Hympulsion se voulait un peu la première marche, sans laquelle les usages ne pourraient pas décoller. Mais le plan France Relance va nous permettre d'aller encore plus loin, en finançant le développement d'un maillage plus dense de stations, mais aussi d'ouvrir la porte à de nouveaux usages, tels que les bus, trains, et camions à hydrogène », estime Thierry Raevel, président de la société Hympulsion et directeur régional Engie.

Une manière de dépasser le phénomène de « saupoudrage » que l'on peut observer jusqu'ici sur les filières en plein déploiement, et qui consiste à inaugurer en premier lieu quelques « stations-totems », sans toutefois disposer d'un maillage jugé suffisant à l'échelle d'un territoire pour que les usages puissent se déployer. Or, c'est désormais tout le contraire qui pourrait se déployer grâce au plan de relance :

« On voit déjà apparaître, dans France Relance, des appels à projets fléchés vers différents points précis, comme le développement des briques technologiques avec financement de la R&D, l'incitation à l'usage d'hydrogène décarboné ou encore l'accompagnement des écoystèmes territoriaux, qui associent la mise en place d'infrastructures en lien avec des usages identifiés et validés », se félicite Elisabeth Logeais.

D'ailleurs, plusieurs adhérents du pôle Tenerrdis, ont déjà été soumis des dossiers à France Relance, même si leur contenu demeure, pour l'heure, confidentiel.

Car avec un peu de chance, les enveloppes promises par l'Etat pourraient ainsi ouvrir la voie au financement de nouveaux écosystèmes locaux, permettant de générer de nouveaux usages en matière de mobilité : « Plusieurs types d'écosystèmes se constituent actuellement autour de l'hydrogène : les territoires de montagne qui cherchent à décarboner l'accès aux stations de ski, les territoires semi-ruraux où les approches multi-énergies se développent ainsi que les milieux urbains, ainsi que les milieux urbains, avec des métropoles qui s'attachent notamment à améliorer la qualité de l'air », traduit Elisabeth Logeais.

Investir dans la montée en volume

Du côté des constructeurs automobiles, « ce plan de relance pourrait en effet contribuer à accélérer la commercialisation des véhicules issus de la filière française et la compétitivité des infrastructures associées, et engager la massification des productions », s'accorde Elisabeth Logeais.

Car jusqu'ici, « la disponibilité des véhicules demeurait encore un problème », concède Anne-Lorène Vernay, et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'un acteur comme Symbio, devenu une co-entreprise détenue par Michelin et Faurecia, en a profité pour acter son passage au rang « d'équipementier de rang 1 » il y a quelques mois, en investissant dans la création d'un premier site de production qui sera opérationnel à compter de 2023 au sein de la vallée de la Chimie, près de Lyon.

« Pour nous, ce plan est très positif car il associe à la fois un soutien au déploiement de stations, au développement technologique, ainsi qu'à la partie industrialisation en France, dans laquelle nous nous inscrivons », déclare à La Tribune le nouveau président de Symbio, Philippe Rosier.

Il affirme d'ailleurs avoir d'ores et déjà déposé un dossier, au sein du plan hydrogène, dans le cadre des projets communs d'intérêts stratégiques visant à financer des innovations de rupture, sans donner plus de détail à ce stade cependant.

« On constate aussi que l'hydrogène pourrait venir à se développer rapidement sur d'autres segments, comme les charriots élévateurs et les véhicules de chantier, et plus progressivement au cours des dix années à venir, sur les bateaux avec des modes de stockage liquide, ainsi que les trains, voire à terme sur les avions », illustre Philippe Rosier.

Et d'ajouter : « Tout l'enjeu est désormais de massifier les volumes, d'accompagner la montée en charge industrielle et de réduire encore les coûts ».

Sans oublier le « verdissement » de l'industrie

Si le développement de « mobilités plus vertes » fait donc partie des priorités avancées à l'heure de ce plan de relance, la filière auralpine aura également à cœur de se développer sur un second pied, constitué des applications industrielles, visant à décarboner l'énergie issues des procédés de production industriels. Et qui pourraient, eux aussi, déboucher plus rapidement que prévu.

Ce point intéresse déjà plusieurs industriels locaux, tels que Vicat ou Carbone Savoie, actuellement engagés dans des réflexions concernant la valorisation et la récupération de l'énergie issue de leurs procédés industriels. Ce serait également l'une des applications envisagées, en bout de ligne, par Genvia, la nouvelle joint-venture, issue d'un partenariat public-privé -à laquelle participe justement Vicat-, qui vient d'obtenir le feu vert de la Commission européenne.

Cette nouvelle gigafactory, qui sera implantée à Béziers (Occitanie) vise en effet à combiner l'expertise de différents acteurs d'envergure européenne, dont le chimiste allemand Schlumberger, le centre de recherche français CEA -dont le centre de transfert technologique sera d'ailleurs basé à Grenoble-, des institutionnels (l'Agence Régionale Energie Climat Occitanie) et des industriels (comme l'isérois Vicat et le groupe Vinci).

Avec un objectif : agir comme un démonstrateur visant à déployer en mode industriel la nouvelle technologie réversible d'électrolyseur haute température, imaginée par le CEA, en vue de « produire de l'hydrogène décarboné à un prix abordable et d'élargir ses différents usages comme vecteur énergétique ou moyen de stockage. »

Si là encore, les principaux acteurs se montrent pour l'heure discrets sur le montant de l'investissement réalisé, les perspectives de ce marché s'affichent particulièrement fortes, puisqu'elles visent à leur permettre de s'imposer très rapidement comme des leaders européens et mondiaux dans leur domaine.

Retrouvez dès demain matin, les coulisses des paris technologiques que prend justement le CEA Liten, dans le volet n°3 de notre série.

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