Dans la Loire, la chaleur fatale de la verrerie OI servira à couvrir ses besoins énergétiques

La verrerie ligérienne de l’américain OI va désormais récupérer la chaleur fatale de ses fours, une chaleur qui était jusqu’ici rejetée par ses cheminées. Via un partenariat avec Engie Solutions, ce dispositif va lui permettre de réutiliser les calories jusqu’ici perdues pour couvrir la quasi-totalité de ses besoins de chauffage et d’eau chaude sanitaire. En France, l’Ademe évalue à presque 100 TWh le gisement de chaleur perdue par les sites industriels et les data-centers, qui demeurent l’une des pistes privilégiées de la décarbonation de l’industrie, mais aussi des réseaux de chaleur collectifs.
La chaleur fatale des fours du site de Veauche (Loire), détenu par l'américain OI, sera bientôt réutilisée pour chauffer les bâtiments de l'usine.
La chaleur fatale des fours du site de Veauche (Loire), détenu par l'américain OI, sera bientôt réutilisée pour chauffer les bâtiments de l'usine. (Crédits : DR)

Chaque jour, ce sont plus de 580 tonnes d'emballages en verre qui sortent des deux fours de la verrerie OI de Veauche dans la Loire (270 salariés). Soit près d'un million de bouteilles quotidiennes destinées principalement aux marchés premium des spiritueux, et dont un peu plus de la moitié est fabriquée à partir de verre de recyclage.

Mais c'est aussi, évidemment, une consommation énergétique très importante afin, notamment, de maintenir en fusion en permanence 400 tonnes de verre. Les chiffres exacts ne sont pas communiqués mais ils sont suffisamment importants, - comme dans toutes les verreries -, pour que le sujet soit examiné de très près par le groupe américain Owens Illinois (CA 2022 : 6,9 milliards de dollars ; 24.500 salariés dont 2.300 en France), leader mondial de l'emballage en verre.

Usage interne et probablement externe

Cette consommation énergétique va désormais être optimisée via un dispositif de récupération de la chaleur fatale des fours, cette chaleur aussi appelée « chaleur perdue » qui est produite à l'occasion du process industriel.

« Aujourd'hui, les fumées de nos fours sont épurées de toutes les substances potentiellement nocives mais elles sortent de nos cheminées à 300 degrés. Nous voulons désormais valoriser ces calories qui, pour l'instant, se volatilisent dans l'air », explique Bruno Delhorbe, le directeur de la verrerie veauchoise.

Concrètement, un échangeur va être installé sur la trajectoire du flux de fumées. Cette fumée à haute température va chauffer de l'eau qui permettra, à son tour, d'alimenter un nouveau réseau interne de distribution d'énergie (en création) et permettra d'assurer 94% des besoins en chauffage et eau chaude sanitaire de l'usine. Soit l'équivalent, selon les chiffres communiqués, de 4.030 MWh PCI (Pouvoir Calorifique Inférieur) et l'économie de 930 tonnes de CO2 par an (grâce à l'énergie nouvelle qui ne sera plus consommée). OI avait déjà installé des systèmes similaires sur ses sites de Reims (51) et de Vayres (33).

L'investissement (dont le montant exact n'est pas communiqué mais affiché à plus d'un million d'euros) est soutenu par l'Ademe dans le cadre du Fonds chaleur et sera porté par Engie. L'opérateur sera l'exploitant du dispositif et sera rémunéré via une redevance versée par OI pendant douze ans. Les travaux ont démarré en début d'année et devraient être terminés pour fin 2025.

OI n'ayant pas besoin de l'intégralité de la chaleur fatale récupérée à la sortie de ses fours, il en restera une petite partie encore disponible pour alimenter éventuellement un réseau de chaleur voisin. Des discussions seraient actuellement menées avec la municipalité de Veauche, selon Engie, pour étudier comment chauffer, par exemple, l'école qui se trouve juste de l'autre coté de la rue.

« Ces sujets de récupération de chaleur fatale constituent des dossiers complexes. En particulier dans une verrerie où les fours ne peuvent être arrêtés. Les travaux doivent se faire en site occupé. Nous avons néanmoins une expérience certaine puisqu'un dispositif similaire a été installé sur une autre verrerie OI en Ardèche », souligne Françoise Barbara-Mathoulin, responsable commerciale d'Engie Solutions dans la Loire.

« Nous assistons à une vraie dynamique de marché sur ce sujet, c'est certain ».

Un gisement industriel de 94,3 TWh

Pour autant, la route de la récupération de la chaleur fatale est encore longue. Selon l'Ademe, en 2020 (derniers chiffres disponibles), un gisement de quelque 94,3 TWheure étaient encore inexploité par les usines françaises. Certes, 23,6 TWheure de moins qu'en 2017, mais représentant tout de même encore plus du tiers de la consommation énergétique industrielle.

11% de cette chaleur fatale proviendraient des industries du ciment et du verre, avec des températures très élevées, plus facilement valorisables que les 31% de chaleur fatale issue de l'industrie agroalimentaire présentant une température inférieure à 40 degrés.

En Auvergne Rhône-Alpes, le gisement est estimé à 13,8 TWh, détenu notamment par les industries de la chimie.

Cette chaleur fatale peut être utilisée, comme pour OI Veauche afin de couvrir des besoins internes, mais aussi pour alimenter des réseaux de chaleur collectifs. Une piste jusqu'ici peu explorée mais en développement.

Sur le territoire de la Métropole de Lyon par exemple, 66% des calories distribuées proviennent d'énergies renouvelables et récupérées : 40% pour la chaleur fatale des incinérateurs de Gerland et Rillieux-la-Pape et 26% issus de la filière bois-énergie. Avec un objectif de 100% en 2045.

« Nous voyons arriver de plus en plus de projets de chaleur fatale même si le bois énergie reste le moyen le plus important pour décarboner la production de chaleur de ces réseaux », confiait ainsi à La Tribune il y a quelques semaines Emmanuel Goy, directeur régional adjoint de l'Ademe. Citant notamment le raccordement prochain de l'usine spécialisée dans la cuisson d'électrodes en carbone et graphite, Tokai Corbex (à Vénissieux dans le Rhône), aux réseaux de chaleur de Vénissieux et Saint-Fons, pour une production de 21 GWh par an en moyenne (soit entre 2 et 4% du mix énergétique de ces réseaux).

Le directeur régional adjoint de l'Ademe note toutefois la frilosité économique des acteurs privés, en lien avec des freins parfois difficiles à lever dans un contexte économique chahuté. « Il faut d'abord que ce soit techniquement pertinent : que l'usine ne soit pas trop éloignée des réseaux et que la quantité de chaleur soit suffisante. Et puis il faut se mettre d'accord sur un tarif. Mais en général, la chaleur fatale est très rentable pour tout le monde. Dans les zones très denses, c'est du gagnant-gagnant ».

Selon l'Ademe, en 2022, en France, la récupération de la chaleur fatale représentait 1,1% du bouquet énergétique des réseaux de chaleur. Plusieurs systèmes d'aides sont actuellement disponibles, dont ceux de l'Ademe. En 2022, 4% des subventions du fonds chaleur ont été délivrés à des projets de récupération de chaleur fatale. La stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC) et la programmation pluriannuelle de l'énergie visent un ordre de 20 TWh/an de chaleur fatale à valoriser dans les réseaux de chaleur à horizon 2030. En 2021, on en était à 5,4...

Lire aussi À Lyon, comment les réseaux de chaleur urbains tentent de sortir du gaz fossile (chaleur fatale, ENR...)

Pour accélérer, le « Club chaleur » (composé de plusieurs fédérations professionnelles du secteur) a présenté, en début d'année, un « Plan Marshall pour la chaleur renouvelable et de récupération ». Pour la chaleur fatale, ils préconisent notamment l'évaluation obligatoire du potentiel de valorisation des installations industrielles et data centers supérieurs à 5MW et sollicitent le lancement d'un fonds de garantie pour faciliter la récupération de cette chaleur. Sur ce dernier point, Bruno Le Maire a indiqué, lors d'un déplacement dans les Yvelines ces derniers jours, réfléchir à la mise en place d'un tel dispositif qui permettrait de sécuriser les investissements industriels sur 20 ou 25 ans.

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