Semi-conducteurs : les cinq leviers activés par les industriels pour recruter sur un marché tendu (3/4)

Aujourd'hui, ce sont plutôt les candidats "qui font la loi face à des Soitec ou des STMicroelectronics", nous confirme-t-on sur la scène du recrutement grenoblois. Car chaque jour, des salariés refusent les offres de ces grands groupes, un phénomène encore peu imaginable jusqu’ici. Salaires et à-côtés, culture d'entreprise, mobilités… Tout doit désormais être pris en compte par les grands industriels comme les PME qui ont besoin de recruter massivement, afin de pousser les plaques de silicium comme de concevoir les nouvelles générations de puces dont un grand nombre d'industries ont désormais besoin.
Avec différents types de primes possibles (travail en équipe, primes de production ou encore travail en salle blanche), la part variable joue désormais une part importante dans le calcul de la rémunération, confirment les recruteurs du secteur de la microélectronique, en plus d'un bond observé de 10 à 20% sur les salaires à l'embauche en raison des tensions sur la scène du recrutement.
Avec différents types de primes possibles (travail en équipe, primes de production ou encore travail en salle blanche), "la part variable joue désormais une part importante dans le calcul de la rémunération", confirment les recruteurs du secteur de la microélectronique, en plus d'un bond observé de 10 à 20% sur les salaires à l'embauche en raison des tensions sur la scène du recrutement. (Crédits : DR/Soitec)

Longtemps reconnue comme une industrie très cyclique, calquée sur les phases de développements en R&D suivies par les phases de commercialisation, au fur et à mesure que se dévoilaient les nouvelles générations de puces électroniques, l'industrie des semi-conducteurs a connu des hauts et des bas, comme en 2015/2016 chez les grands noms du secteur, comme STMicroelectronics ou Soitec.

Mais face au boom de la demande en composants électroniques qui touche désormais, depuis près de deux ans l'ensemble des secteurs industriels (automobile, numérique, industrie, télécommunications, etc), la filière des semi-conducteurs fortement présente sur le bassin grenoblois connaît un retournement de situation sans précédent, auquel elle tente toujours de faire face, notamment sur la scène des recrutements.

« Les entreprises n'ont plus vraiment le droit à l'erreur, avec des candidats qui sont placés dans un marché tellement tendu qu'ils sont sollicités avant même de rechercher du travail », reconnaît Lédicia Spacil, directrice générale du cabinet de conseil RH Cofabrik. Avec une problématique désormais de taille : comment se distinguer sur un bassin ultra-concurrentiel ?

1/ Des salaires à l'embauche qui grimpent

Depuis le début de l'année, plusieurs acteurs observent que les entreprises du bassin, et notamment les plus grandes, sont prêtes à proposer 10 à 20% de plus que le salaire habituel à l'embauche. « Et cela, tous profil confondus », ajoute Sophie Cottin, responsable RH chez Expectra Grenoble, qui estime que les entreprises du bassin sont désormais « obligées d'être à l'écoute des attentes des candidats », sur le plan des salaires entre autres.

Désormais, il faut en effet compter une moyenne de 33 à 40.000 euros annuels pour un profil technicien, et de 35 à 40.000 euros pour un ingénieur à sa sortie d'école.

« Tous les profils sont orientés à la hausse, et de manière encore plus marquée pour certains métiers cités comme pénuriques comme les ingénieurs d'application, techniciens maintenance ou procédés », ajoute Lédicia Spacil.

Il est d'ailleurs même très délicat d'établir une grille de salaire sur les profils ingénieurs expérimentés... « On voit des collaborateurs en poste depuis un certain temps dans plusieurs entreprises du bassin, se faire débaucher à des prix qui n'ont plus rien à voir avec la réalité par des startups en pleine montée comme Aledia », nous confie une source du secteur.

Le phénomène se vérifie au sein des jeunes diplômés, où Grenoble INP Phelma constate, par exemple, que le salaire à l'embauche proposé à ses ingénieurs à la sortie de l'école est passé de 38.000 euros annuels à près de 42.000 euros.

« Nos étudiants sont souvent approchés et trouvent un job bien avant leur sortie de l'école. Le meilleur moyen reste Linkedin : en ce moment, un étudiant qui officialise sa recherche d'emploi est ligne est contacté dans la demi-heure par un recruteur, tandis que 30 minutes plus tard, nous recevons un email pour prendre des références sur cet étudiant », glisse Quentin Rafhay, maîtres de conférence à Grenoble INP Phelma.

D'autant plus que côté production, les géants qui sont déjà présents sur le marché peuvent compter sur un retournement de conjoncture qui a fait bondir les dispositifs d'intéressement-participation, comme c'était dernièrement le cas à Soitec : après un mouvement social entamé en juin dernier, le fabricant des semi-conducteurs a par exemple annoncé une bonification de 20% de l'intéressement destiné aux salariés.

« Ce qui représente tout de même une enveloppe annuelle de 3.000 à 5.000 euros par salarié chaque année durant trois ans », traduit le délégué syndical CGT Fabrice Lallemand, ainsi que la mise en place d'un programme d'actions gratuite abondé en cas d'atteinte des objectifs annuels fixés par l'entreprise, « et qui peut correspondre jusqu'à 2 à 3 mois de salaire pour un opérateur, ce qui n'est pas négligeable ».

Et sa direction de préciser qu'aujourd'hui, « 100 % des salarié(e)s dans le monde sont actionnaires de l'entreprise ».

2/ Le travail en 3 ou 5 huits : faire valoir le bon côté des choses

Souvent associée au travail d'équipe, puisque sa production nécessite souvent d'être activée 24h/24 pour répondre aux Capex investis, la microélectronique propose des systèmes de primes, destinées à compenser les horaires postés, et pouvant être associées à d'autres abonnements liés aux conditions de travail (prime de production, travail en salle blanche, etc).

Résultat ? Il n'est pas rare qu'un salarié ayant opté pour un travail en horaires décalés augmente considérablement sa rémunération de base grâce à ces primes. « Sur les techniciens par exemple, la part variable peut représenter, selon les structures, 15 à 30% de sa rémunération », souligne Sophie Cottin, responsable RH chez Expectra Grenoble.

A Soitec par exemple, les primes liées aux horaires décalés permettent de bonifier le niveau de salaire de 11% pour les quarts de journée (5h30-13h30 et 13h30-21h30) à 55% pour les horaires de nuit. Un montant auquel s'ajoute les primes de production, pouvant atteindre 460 euros brut par trimestre.

Une part qui s'est vue renforcer au cours du boom d'activité rencontré ces derniers mois : « La part variable joue désormais une part importante dans le calcul de la rémunération, car comme l'industrie ne sait pas ce qui va se passer exactement dans les années à venir, la seule variabilité qu'elle peut aujourd'hui apporter est celle des primes individuelles et collectives », ajoute-t-elle.

Même si très concrètement, ces postes sont aussi les plus difficiles à pouvoir, ils tentent donc de faire valoir leurs atouts à différents niveaux : « Le travail en équipe ne convient pas nécessairement à tout le monde, mais nous avons même des ingénieurs qui demandent pour certains à être postés, car cela leur permet de pratiquer des activités de loisirs en dehors comme de la montagne », résume Vincent Gaff, directeur marketing de Tronics Microsystems, une PME désormais détenue par le japonais TDK et qui produit notamment des capteurs inertiels (accéléromètres et giromètres) pour la navigation haute performance. Sans compter que l'évolution est souvent plus rapide et systématique pour les candidats à un shift de matin/après-midi ou de week-ends/nuits.

« Des gros acteurs comme ST Microelectronics ou Soitec sont des mastodontes qui ont des exigences de travail 24h/24 avec des horaires de nuit ou de week-end, ce qui est moins le cas pour les PME et TPE du secteur », reconnaît toutefois Lédicia Spacil.

3/ La prime de cooptation, un outil de plus pour recruter

Chez une grande partie de ces industriels, la prime de cooptation, qui permet à un salarié en poste de recommander un collègue et de toucher une bonification, au cas où celui-ci en vienne ensuite à être embauché, est désormais la norme.

« Aujourd'hui, nos recrutements sont beaucoup challengés par ceux menés par nos clients à travers leur propre réseau. A chaque fois que nous présentons un profil, il y a presque systématiquement quelqu'un en face qui a été coopté », observe Sophie Cottin.

Dans les PME, jusqu'aux rangs des grands groupes, ces enveloppes peuvent atteindre quelques centaines à milliers d'euros lorsqu'un recrutement est réussi.

4/ Etre une PME, c'est aussi (parfois) un atout

Avec d'un côté, le package des avantages proposés par les grands groupes (dispositifs d'intéressement/participation, mutuelle d'entreprise, etc) et la promesse d'embarquer dans un cheminement de carrière parfois international, et de l'autre, des PME et TPE ultra-spécialisées, qui ont besoin des mêmes profils que leurs donneurs d'ordres, chacun tente de faire valoir ses propres atouts.

« PME ou grand groupe : chacun a ses armes et y va de son argument, avec le jeu de la marque employeur. Les petites entreprises peuvent, sur ce terrain, faire de belles propositions, hors package global de rémunération proposé par les grands groupes », atteste Lédicia Spacil, qui remarque que les PME/TPE sont désormais tendance à offrir eux aussi des packages ou des avantages en nature, et surtout des conditions de travail jugées « plus flexibles ».

Chez Tronics Microsystems par exemple, on n'a pas les avantages d'une multinationale comme STMicroelectronics mais la PME, désormais aux mains du Japonais TDK, tente de faire valoir le meilleur des deux mondes : « Nous sommes une société à taille humaine de 90 personnes, mais nous faisons en même temps partie d'un grand groupe. C'est comme cela que l'on parvient à recruter des personnes déçues du grands groupes, qui ont envie d'avoir plus de visibilité sur l'impact de leur travail. Ils ont aussi l'impression de travailler dans une petite boite, peuvent parler au Ceo tous les jours ».

5/ Des aides à la mobilité et au télétravail

En dehors des avantages sociaux tels que la mutuelle d'entreprise et les tickets restaurants ou restaurants d'entreprise, formant désormais un « package » global au sein de cette industrie, les industriels continuent de proposer des aides à la mobilité, même s'il n'est pas toujours simple de faire venir de nouvelles recrues.

« Nous pouvons mettre en place des dispositifs d'accompagnement financier à la mobilité, pour aider un collaborateur qui le souhaiterait à changer de région pour s'installer chez nous, avec des aides au déménagement et à l'installation », confirme le DRH de STMicroelectronics, Frédéric Bontaz. « Aujourd'hui, force est de constater qu'au niveau des candidats, il est difficile sur certains profils de générer des mobilités régionales même en proposant un accompagnement financier, mais nous continuons à les proposer ».

Au sein du cabinet Expectra, Sophie Cottin a elle-même déjà été sollicitée par ses clients afin de proposer une aide à la mobilité, mais aussi à la recherche d'emploi pour la conjointe d'un candidat, ou même à la recherche d'une école pour une famille avec un projet d'installation... Sans toutefois dévoiler de chiffre sur la croissance exponentielle de la demande, « celle-ci est telle que nous avons dédié entièrement une ressource de notre cabinet aux profils issus de la microélectronique », illustre-t-elle.

Côté télétravail, qui n'est pas attendu comme un point fort de cette industrie, puisque l'avenir des nouvelles générations de puces se joue en premier lieu dans les salles blanches, les industriels tentent cependant de répondre eux aussi à une demande sociétale. Avec là encore, les majors de l'industrie qui ont répondu présents avec la signature d'accords de télétravail (deux jours par semaine chez STMicroelectronics par exemple), tout en reconnaissant à demi-mots : « il existe forcément des métiers qui sont plus éligibles que d'autres au télétravail. Avec, entre les deux, toutes les nuances possibles ».

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