Après l’ère Paul Boudre, les défis d’une nouvelle page à écrire pour l'isérois Soitec

A la tête de l'entreprise depuis son redressement in extremis amorcé en 2015, Paul Boudre aura tenu des rênes du fabricant de substrats semiconducteurs Soitec jusqu'à son passage au cap du milliard de dollars. Et malgré une crise de gouvernance qui a ébranlé la "success story" début janvier, le patron a su tourner la page en accueillant son successeur, Pierre Barnabé, en provenance d'Atos. Ce mardi 26 juillet, Paul Boudre laissait derrière lui "le meilleur trimestre de l'histoire du groupe". Charge désormais à son successeur de conduire l'ETI sur le chemin de la croissance, et de conjuguer la montée en charge tant attendue à d'importants défis qui demeurent à venir en matière de ressources humaines.
Capacité à délivrer ses deux nouvelles unités de production de Bernin et Singapour, mais aussi à recruter plusieurs nouvelles centaines de talents alors que l'industrie de la microélectronique est en plein boom et à partager ses richesses, y compris après les nouvelles annonces de ses partenaires STMicroelectronics et Globalfoundaries... Les défis seront nombreux pour le nouveau dg de Soitec, Pierre Barnabé, en provenance d'Atos.
Capacité à délivrer ses deux nouvelles unités de production de Bernin et Singapour, mais aussi à recruter plusieurs nouvelles centaines de talents alors que l'industrie de la microélectronique est en plein boom et à partager ses richesses, y compris après les nouvelles annonces de ses partenaires STMicroelectronics et Globalfoundaries... Les défis seront nombreux pour le nouveau dg de Soitec, Pierre Barnabé, en provenance d'Atos. (Crédits : DR)

Il aura passé une dernière journée à ses fonctions particulièrement active, à l'image des derniers mois, en tenant dès 8h du matin sa dernière conférence d'information trimestrielle aux investisseurs. Ce mardi 26 juillet marquait une étape clé pour le fabricant isérois de substrats semiconducteurs Soitec, et son emblématique directeur général Paul Boudre, qui tirait ce mardi sa révérence en laissant derrière lui un nouvel exercice trimestriel sous le signe de la croissance.

Après avoir franchi le cap du milliard de dollars de chiffre d'affaires annuel, conforté par une croissance de 53% au trimestre précédent, Soitec affiche à nouveau une progression, certes, plus mesurée de 6%, mais qui lui permet d'enregistrer "le meilleur trimestre de l'histoire du groupe" à 203 millions d'euros pour le T1 de son exercice fiscal 2022/2023 décalé, soulignait Paul Boudre.

Des résultats toujours soutenus par une forte demande de composants électroniques sur les marchés, et notamment dans le domaine des communications mobiles (smartphones, 5G) et du segment automobile et industrie, et qui auront finalement été ralentis mais pas amputés par une coupure d'électricité ayant perturbé la production de son site isérois du 5 au 9 avril, suivie d'un plus récent mouvement social, engagé à Bernin du 10 au 16 juin dernier.

De la PME à l'ETI leader de son marché

Car à l'issue de sept années passées aux commandes du groupe, qui aura vu ses résultats s'approcher dangereusement du dépôt de bilan en 2015 pour amorcer ensuite au fil des ans une reprise progressive mais solide, le bilan ainsi que le parcours de Paul Boudre, qui partageait depuis plusieurs années son quotidien entre les deux usines de Bernin (Isère) et de Singapour, a déjà été salué par les analystes.

Pour Jean-Christophe Eloy, pdg du cabinet de conseil lyonnais spécialisé dans la microélectronique Yole Développement, "il illustre les actions d'un patron qui a su, aux côtés de ses équipes, relancer un nouveau plan de financement ainsi qu'un projet de R&D sur les champs où la société était forte". Avec une recette associant un recentrage mené autour des besoins de ses clients et une sortie du marché risqué du solaire, Soitec avait ensuite amorcé sous sa direction une diversification vers de nouveaux marchés en croissance comme l'automobile.

"Paul Boudre n'était pas seul mais il a su engager un changement de méthode, en passant d'une société technologique qui développait ses produits sur la base de croyances technologiques, à des développements effectués aux côtés des clients afin de recevoir leurs feedbacks immédiats", illustre Jean-Christophe Eloy à La Tribune.

Nul doute qu'en ce sens, les relations privilégiées avec des acteurs de rang mondial comme STMicroelectronics et Globalfoundries auront été déterminantes dans la constitution de la "success story" grenobloise, qui pesait encore il y a quelques années près de 310 millions d'euros de revenus annuels en 2017-2018.

Le spectre de la crise de gouvernance tout juste écarté

Soitec s'apprête désormais, à l'aube de l'été, à amorcer une nouvelle page de son histoire, avec le remplacement de Paul Boudre par un nouveau directeur général en provenance d'Atos.

On se souvient encore de la crise de gouvernance qui avait secoué le groupe en janvier dernier, alors que celui qui est souvent pointé comme l'instigateur de la croissance du groupe, âgé de 63 ans, songeait encore à prolonger son mandat actuel.

Finalement, après une semaine de flottement et de recadrage en interne, cet épisode s'était soldé par un recentrage autour du choix du président du conseil d'administration, Eric Meurice, en faveur du profil d'Eric Barnabé, un centralien au profil plus gestionnaire que technique en provenance du groupe Atos, et qui sera désormais chargé d'assurer la délivrance de la croissance esquissée par Paul Boudre.

"Pierre Barnabé est quelqu'un qui, même s'il ne provient pas des semi-conducteurs, a déjà connu des succès dans des technologies industrielles complexes et provient d'une division d'Atos qui n'était pas en difficulté mais au contraire, en pleine croissance. Tout le monde attend donc désormais sa vision ainsi que la mise en œuvre stratégique", ajoute Jean-Christophe Eloy, qui estime que le nouveau patron devrait également pouvoir compter sur les compétences pointues et opérationnelles du comité de direction actuel, mis sur pied par Paul Boudre.

Objectif : doubler les revenus du groupe d'ici 2026

Avec une cible toujours d'actualité pour la société : atteindre les 2,3 milliards de dollars de revenus sur l'exercice 2026, comme en atteste son dernier plan stratégique lancé en juin 2021.

Une croissance qui devrait être tirée à la fois par le développement d'un nouveau substrat, le carbure de silicium, destiné aux véhicules électriques (et pour lequel le groupe a investi récemment dans une nouvelle unité de production dont le budget est estimé à 400 millions d'euros afin de répondre aux besoins de grands industriels du secteur), mais aussi par la poursuite de la commercialisation de son substrat phare, le FD-SOI, une thématique sur laquelle Soitec vient de signer un nouvel accord de collaboration avec le CEA, STMicroelectronics et Globalfoundries, en vue de développer "la nouvelle feuille de route de la prochaine génération de la technologie". Le tout avec l'ambition de réduire l'empreinte écologique de sa production, avec la cible de faire demeurer ses émissions de CO2 en dessous de la barre de 1,5 degrés.

Bien installé sur le bassin grenoblois, cette "mini Silicon Valley" qui héberge 1.600 des 2.000 salariés du groupe, Soitec compte s'appuyer, d'une part, sur ses propres investissements déjà annoncés, et qui visaient à injecter pour rappel près de 1,1 milliard d'euros sur la période 2021-2026 (dont 20% pour le carbure de silicium) d'ici 2026.

Mais aussi largement, sur le dynamisme de la filière locale, qui vient d'être nourri par un investissement de 5,7 milliards de dollars annoncé récemment par son partenaire STMicroelectronics et l'Etat français en vue de créer une nouvelle usine de production de semiconducteurs en 300 mm à Crolles, destinée à rapatrier une part de la production mondiale en Europe.

Les défis d'un nouveau chef de file

Soit autant de voyants qui semblent au vert pour son successeur Pierre Barnabé, qui a commencé son acclimatation sans bruit, depuis quelques semaines. Pour autant, celui-ci devra faire face à un certain nombre de défis : se faire tout d'abord une place au sein d'un conseil d'administration, chapeauté par une équipe constituée par Paul Boudre et dont le Comex avait pu tanguer début janvier, mais également se montrer à l'écoute des salariés, qui venaient de mener une grève de plusieurs jours courant juin pour demander une plus juste rétribution des profits associés à la croissance.

Si l'enjeu du partage des richesses et d'une juste profitabilité peut être partagé par un grand nombre d'entreprises, c'est davantage la capacité, pour l'isérois, de mettre en oeuvre les objectifs industriels qu'il s'est fixé qui sera surveillée de près. À la fois sur le plan des ressources humaines, où les recrutements de plusieurs centaines de nouvelles recrues pourraient être menacés par une concurrence devenue de plus en plus rude sur le bassin grenoblois, avec les quelques 1.000 nouveaux postes annoncés également chez son voisin STMicroelectronics, et pour lequel les cycles d'embauche s'avèrent particulièrement longs et tendus. Mais aussi sur le terrain des approvisionnements :

"Le marché des équipements est tendu, ce qui signifie que les commandes passées aujourd'hui n'arriveront qu'en début 2024, car les délais pour la fourniture de nouveaux en équipements de production sont passés de 12 à 15 mois", analyse Jean-Christophe Eloy, qui rappelle que c'est aujourd'hui que se dessinent déjà les décisions pour nourrir la croissance des deux prochaines années pour une société comme Soitec. "L'enjeu du nouveau patron sera donc de ne pas prendre trop de temps de prise en main, afin que l'on ne ressente pas de trous d'air dans les investissements".

Avec en ligne de mire, la capacité de l'isérois à délivrer notamment sa nouvelle unité de production de Bernin 4, dont la mise en service est prévue pour mi-2023. Mais aussi celle de Singapour, où le groupe vient d'annoncer début juin la création d'une nouvelle unité de production en 300 mm, qui viendra s'ajouter à son site existant d'ici 2025, pour un investissement estimé à 420 millions d'euros.

Car sur un marché particulièrement tendu des composants électroniques, devenus critiques jusque dans l'automobile, les attentes sont particulièrement fortes, comme l'illustre les objectifs de l'European Chips Act, qui vise à doubler le poids de l'Europe dans la production des puces électroniques, ainsi que l'enveloppe de 5 milliards d'euros annoncée à la mi-juillet par le président français Emmanuel Macron, en vue de renforcer la solidité de la filière.

Des discussions auxquelles avaient pris part en coulisse le dg sortant de Soitec. En attendant, Paul Boudre glissait le 12 juillet dernier au quotidien Singapore Business Times sa volonté de continuer à demeurer dans la cité-état tout en continuant "d'aider des compagnies à grossir et à se développer", pourquoi pas en étant présent dans un board... Affaire à suivre.

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Commentaires 3
à écrit le 27/07/2022 à 19:39
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a titre perso j'avais investi dedans, je me suis fait rincer, je deconseille en fait a tout le monde; autant la techno m'interessait et je pensais que ca avait un avenir, autant c'est une gestion a la francaise qui a fait le boulot.........une belle ...

à écrit le 27/07/2022 à 16:42
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Grenoble est un bon coin pour l'electronique, IUT, AFPA, Université ils peineront pas pour recruter. Un challenge reste la fiabilité des produits, vaut mieux vendre cher des produits fiables bien soudés pas collés, car tout ce que je dépanne est mal...

le 27/07/2022 à 21:45
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"tout ce que je dépanne est mal construit" les processeurs perdent leur couvercle (époque où le capot était métallique) ? Soitec ce sont des substrats semi-conducteurs dont le SOI (silicium sur isolant), STMicro fabrique des composants (j'en ai quelq...

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