Pénurie de composants : "la microélectronique est le pétrole du XXIe siècle" (Minalogic)

EPISODE 3. L’électronique serait-elle pénalisée par son succès ? À l’échelle mondiale, la pénurie de composants électroniques observée au cours des dernières semaines à la suite de la crise sanitaire résonne également à Grenoble, l’un des berceaux de la microélectronique. Mais s’il concède que cette situation pourrait encore durer, Jean-Eric Michallet, délégué général du pôle de compétitivité Minalogic spécialisé dans les technologies numériques, en nuance les effets pour les acteurs de la scène auralpine.
Pour Jean-Eric Michallet, dg du pôle Minalogic, il aura fallu que cette crise intervienne pour que l'on comprenne les sujets que les industriels pointaient depuis plusieurs années, à savoir que la microélectronique est le pétrole du XXIe siècle pour celui qui maîtrise la chaîne de cette industrie.
Pour Jean-Eric Michallet, dg du pôle Minalogic, "il aura fallu que cette crise intervienne pour que l'on comprenne les sujets que les industriels pointaient depuis plusieurs années, à savoir que la microélectronique est le pétrole du XXIe siècle pour celui qui maîtrise la chaîne de cette industrie". (Crédits : DR)

LA TRIBUNE AURA - Peut-on d'abord rappeler quels sont précisément les raisons de cette pénurie de composants observée à l'échelle mondiale ?

Jean-Eric Michallet - Cette pénurie provient de différents facteurs, et notamment d'une tendance de fond : avec la transition numérique qui a tout d'abord augmenté les besoins en composants électroniques depuis plusieurs années, et que la crise sanitaire vient encore accélérer.

Mais cela intervient également dans un contexte où l'industrie de l'électronique a, au cours des dernières années, éclaté sa chaîne de valeur, en se dirigeant vers une hyperspécialisation de chacun de ses acteurs.

Ce qui fait qu'en Europe et aux États-Unis, les principaux acteurs sont tournés vers les maillons du design et les fonctions applicatives, tandis que l'Asie se concentre sur la fabrication.

Grenoble en est d'ailleurs le parfait exemple, puisque l'on a assisté à une prise de conscience des autorités et entreprises européennes en vue de conserver une production locale, notamment en matière d'innovation. Cela s'est notamment traduit par le développement d'une filière innovante de substrats SOI en local.

Le goulot d'étranglement actuel se situe-t-il dans l'approvisionnement des matières premières ou au stade de la conception ?

C'est principalement sur l'étape de la fabrication du composant que la demande est devenue très forte et s'est complexifiée en même temps par un déséquilibre entre l'offre et la demande.

Car on a d'un côté des fabricants asiatiques qui se sont spécialisés au cours des dernières années sur les technologies les plus innovantes, notamment à destination des fabricants de smartphones, et de l'autre des besoins de l'industrie automobile, par exemple, se dirigeant plutôt vers des technologies assez matures, que les fabricants avaient progressivement abandonné pour des composants plus coûteux et à plus haute valeur ajoutée.

Il en résulte un rééquilibrage de l'offre qui devra se faire et pourrait probablement durer quelques années, le temps que les constructeurs automobiles se remettent en marche après cette crise mais aussi codéveloppent à nouveau des produits adaptés avec les fabricants.

La chaîne des objets connectés pourrait également être la prochaine industrie à connaître le même type de problématiques car elle va devoir bientôt passer à la génération de composants suivante, mais les impacts pourraient être plus faibles compte-tenu du volume engagé.

Concrètement, la pénurie actuelle a-t-elle nécessairement un impact sur les prix des composants électroniques et plus largement sur le coût des matières premières ?

Les prix ont en effet tendance à augmenter car tout le monde souhaite bénéficier de la situation actuelle, d'autant plus dans une industrie relativement cyclique où les fabricants ont des périodes où ils gagnent de l'argent, et d'autres où ils réinvestissent très massivement.

Mais du côté des matières premières, qui restent principalement le silicium et donc du sable, il n'existe pas à proprement parler de pénurie.

Il reste cependant possible d'avoir, à un certain moment, compte-tenu de la situation actuelle, une rupture partielle de la chaîne d'approvisionnement de certains éléments chimiques précis, qui permette de répondre à une étape de fabrication.

On a beaucoup parlé au cours des dernières semaines de l'industrie automobile, dont les chaînes d'assemblage étaient, pour certaines, à l'arrêt compte-tenu du manque de composants disponibles. Pourquoi cette industrie est-elle particulièrement touchée actuellement ?

Bien entendu, la crise sanitaire est venue créer des effets ciseaux redoutables, notamment dans le cas du secteur automobile. Car les gros constructeurs avaient jusqu'ici développé des relations qui demeuraient « assez traditionnelles » avec leurs fournisseurs de l'électronique, avec une production très réglée.

Lorsque le Covid est arrivé, les constructeurs ont complètement stoppé leur production, et donc leurs commandes, et n'ont pas nécessairement cherché à travailler avec les fournisseurs afin d'essayer d'anticiper la reprise.

Et lorsque la demande est repartie de manière très forte après le premier confinement, s'accentuant d'un coup sur les véhicules électriques, les fournisseurs électroniques avaient quant à eux réorienté leurs surplus de production pour nourrir les besoins d'autres industries, qui avaient continué de leur passer commande.

Car l'automobile n'est pas le seul marché à utiliser des composants électroniques de manière croissante, sans compter que nous avons assisté, en même temps, à quelques épiphénomènes comme des incendies d'usines, une sécheresse à Taiwan, et qui ont ajouté à la tension déjà présente sur les marchés.

Pour autant, cette pénurie de composants n'est-elle pas en train de s'étendre à d'autres secteurs ?

Cette tension se manifeste en effet désormais sur l'ensemble du marché, dont les smartphones même si l'automobile reste l'un des principaux épicentres puisqu'il s'agit de marchés de grandes séries. C'est donc là où les pertes subies peuvent être les plus importantes.

L'Iot, qui a lui aussi besoin de composants électroniques, est également touché mais de par son morcellement et sa propension à utiliser de plus petites séries, l'impact économique est bien moindre.

La voiture se positionne un peu comme le smartphone de demain, puisqu'elle embarquera désormais tout en tissu de fonctions applicatives qui feront que sa valeur ajoutée ne se situera plus dans sa carrosserie, ni même nécessairement dans sa motorisation, qui devient partagée, mais dans son électronique.

C'est d'ailleurs un facteur qu'une compagnie comme Tesla a compris depuis un certain nombre d'années, en développant des relations avec ses propres fournisseurs qui font qu'aujourd'hui, la compagnie est beaucoup moins touchée par le phénomène actuel.

Quid de l'écosystème grenoblois, qui se pose comme l'un des berceaux de la microélectronique en France et même en Europe : quels sont les effets de cette pénurie mondiale sur ses acteurs ?

Il est certain que le contexte actuel a en premier lieu des effets éminemment positifs pour des entreprises comme Soitec, qui fournissent des matériaux de base à cette technologie, en ayant par ailleurs choisi de se concentrer sur la fourniture de matériaux peu consommateurs en énergie, comme le SOI.

A ce titre, c'est d'ailleurs un pari de 30 ans, initié par le CEA-Leti, qui est en passe d'être gagné par les acteurs grenoblois, les perspectives sont actuellement très porteuses.

Ensuite, des acteurs comme STMicroelectronics, qui ont des usines en France, ont d'excellents résultats et font face à des commandes qui affluent et qui nécessite des investissements, agrandissement, et réapprovisionnement. Des investissements sont d'ailleurs en cours sur le site de Crolles pour agrandir les lignes de production.

Certains acteurs comme Lynred travaillent aussi en lien avec l'industrie de l'automobile pour leurs capteurs infrarouges, tandis que des acteurs comme Aledia sont encore en pleine phase de consolidation de la clientèle.

Cette situation touche également le tissu des PME et TPE sous-traitantes...

Il ne faut pas oublier qu'il existe en effet, derrière ces acteurs de renommée européenne, tout un réseau de fournisseurs (TPE, PME, etc) spécialisées dans les produits chimiques, les équipements, fournisseurs de services, spécialistes du traitement de l'air, du test et de l'analyse-caractérisation...

Il s'agit d'un véritable écosystème local, alimenté par la microélectronique, qui enregistre aujourd'hui une forte pression sur ses livraisons opérationnelles. Actuellement, tout le monde réalise des heures supplémentaires pour faire en sorte que les usines tournent et délivrent.

Mais il est certain que la force des acteurs de ce bassin est d'être très proches et d'avoir l'habitude de collaborer ensemble depuis longtemps. C'est forcément plus facile pour ces entreprises de s'organiser, contrairement à des acteurs qui se retrouveraient seuls sur leur territoire.

Actuellement, l'électronique et notamment la microélectronique se trouve en plein boom, mais on se souvient également des pertes d'emplois important intervenues en 2015 au sein de l'écosystème grenoblois, et notamment à Soitec ou STMicroelectronics. Peut-on néanmoins s'attendre à ce que les usages digitaux croissants, boostés par la crise sanitaire actuelle, assurent une pérennité plus forte à cette industrie ?

Nous avons gagné un certain nombre d'années dans la digitalisation du monde, et l'on observe aujourd'hui un retour à la mode du composant, ne serait-ce que du côté des pouvoirs publics et des décideurs qui se rendent compte de l'importance de conserver une forme de souveraineté dans leur fabrication.

D'où les grandes manœuvres que l'on constate actuellement, et notamment l'avenant au contrat de la filière électronique, signé à Grenoble il y a quelques semaines.

Il aura fallu que cette crise intervienne pour que l'on comprenne les sujets que les industriels pointaient depuis plusieurs années, à savoir que la microélectronique est le pétrole du XXIe siècle pour celui qui maîtrise la chaîne de cette industrie.

Il faut que nous développions une forme de puissance industrielle en Europe, à travers la maîtrise d'un certain nombre d'applications, en misant par exemple sur les enjeux de réduction énergétique de ces composants et l'intelligence artificielle embarquée.

Les acteurs qui parviendront à répondre aux besoins actuels pourraient s'assurer d'un carnet de commandes moins cyclique qu'auparavant, même s'il faut garder en tête qu'il s'agit d'une industrie très morcelée et à forts volumes, où les niveaux d'investissements demeurent extrêmement élevés.

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Commentaires 4
à écrit le 18/04/2021 à 15:23
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Et comme l'article sur le sujet de l'excellent CanardPC Hardware le décrit: La sortie des nouvelles consoles PS5 et Xbox vendues par millions (puces AMD fabriquées chez TSMC) en totales ruptures permanentes vu les demandes des jeunes en confinement +...

à écrit le 17/04/2021 à 12:48
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euh oui, y a soitec c'est un peu une catastrophe boursiere, et je ne sais pas s'ils ont gagne une fois de l'argent innover c'est bien, quand c'est viable moi ca me laisse dubitatif

à écrit le 16/04/2021 à 20:29
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Ben oui, la fameuse histoire des wafers de 8 pouces dont on a parlé sans comprendre au début il y a plus d'un an, :une puce de 8 pouces? On a drôlement cherché, c'étaient les wafers pas des puces. Or ces wafers anciens comme taille servent à plein...

à écrit le 16/04/2021 à 14:16
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De là à conclure qu'on doit déjà bien plus au virus qu'à notre classe dirigeante...

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