Choc de simplification, recrutement, attractivité : les trois défis des fromages AOP d’Auvergne

Les cinq fromages AOP (saint-Nectaire, bleu d'Auvergne, cantal, salers et fourme d'Ambert) sont aujourd’hui traversés, comme le reste de l’agriculture française, par des enjeux de simplification administrative, d’attractivité et de renouvellement des générations. A quelques jours de l'ouverture du Salon de l'Agriculture, et malgré une appellation qui leur permet de mieux valoriser les prix du lait, la filière fait face à d'intenses enjeux de recrutement et de promotion de ses métiers.
En Auvergne, comme partout en France, un tiers des chefs d'exploitations partira à la retraite d'ici 5 ans. Avec près de 100 CDI à pourvoir à l'instant T au coeur de ses cinq AOP, la filière recherche des outils pour renforcer son attractivité.
En Auvergne, comme partout en France, un tiers des chefs d'exploitations partira à la retraite d'ici 5 ans. Avec près de 100 CDI à pourvoir à l'instant T au coeur de ses cinq AOP, la filière recherche des outils pour renforcer son attractivité. (Crédits : DR Nathalie Dubost)

Saint-Nectaire, bleu d'Auvergne, cantal, salers et fourme d'Ambert... La filière des cinq AOP (Appelations d'Origine Contrôlées) d'Auvergne représente, à elle seule, 7.000 emplois directs et 13.500 indirects, ce qui en fait le deuxième employeur de l'ex-région administrative, selon l'association des fromages AOP d'Auvergne. Son poids économique et social n'est donc plus à démontrer.

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Plus de 38.000 tonnes de fromages AOP Auvergne sont vendus chaque année, pour un chiffre d'affaires qui a dépassé 266 millions d'euros en 2021 (derniers chiffres connus). Mais dans un monde agricole en crise, les producteurs de lait et transformateurs auvergnats n'échappent pas aux problématiques actuelles, notamment autour de l'attractivité des métiers.

« Nous avons au moins 100 CDI à pourvoir à l'instant T dans nos cinq AOP », explique Sébastien Ramade, président de l'association des fromages AOP d'Auvergne, lui-même producteur fermier de Saint-Nectaire à Murat-le-Quaire dans le Puy-de-Dôme. « Nous recherchons des ouvriers agricoles, des affineurs, des responsables fromagers, des collecteurs de lait... »

Afin de faciliter les recrutements et répondre aux besoins des professionnels, l'AOP Saint-Nectaire (3ème AOP fromagère française au lait de vache) a décidé de constituer une cellule RH avec un responsable ressources humaines, salarié à plein temps. Son rôle : prospecter des candidats, trouver les bons profils, promouvoir les métiers, renseigner sur les aides à l'embauche, organiser des formations à destination des employés et des employeurs...

Un levier essentiel pour assurer la pérennité de cette production non délocalisable, selon l'Interprofession Saint-Nectaire qui regroupe 207 exploitations fermières (fabriquant à la ferme) et 210 exploitations laitières mais aussi quatre laiteries, six collecteurs de lait et 19 affineurs. Une réflexion est même en cours pour dupliquer cette initiative auprès des autres AOP d'Auvergne.

« Cela permet de présenter nos territoires et nos différences. Il faut montrer que nous sommes des filières structurées avec de l'accompagnement, des conseils techniques... Il y a une méconnaissance du panel de métiers proposés, il faut faire un effort de promotion », rapporte Aurélien Vorger, directeur du groupement d'appellation Bleu d'Auvergne et Fourme d'Ambert.

Ce responsable compte justement communiquer pendant le Salon de l'Agriculture qui s'ouvre ce 24 février, Porte de Versailles à Paris.

L'enjeu de la rémunération

« Nous sommes précurseurs en France dans cette démarche. Nous avons essayé les stages à la ferme avec Pôle Emploi et les contrats de professionnalisation. Tout n'a pas fonctionné mais l'idée est de constituer une boîte à outil à disposition de chaque producteur ou opérateur. Cela nous permet notamment de préparer le renouvellement des générations. Nous pouvons ainsi constituer un vivier pour trouver de futurs éleveurs ou fromagers », complète Sébastien Ramade, qui possède 46 vaches laitières.

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Car c'est bien le défi majeur de ces prochaines années. Alors qu'en Auvergne, comme partout en France, un tiers des chefs d'exploitations partira à la retraite d'ici 5 ans, il faut trouver des successeurs. Afin de lever les freins, le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé ce mercredi que le prochain budget intégrerait de nouvelles mesures comme le cumul des éxonérations sociales au moment de l'installation ou encore des actions sur le foncier. Il y aussi un enjeu de rémunération, même si les producteurs des cinq AOP d'Auvergne, filières de qualité, reconnaissent qu'ils sont mieux lotis que d'autres éleveurs.

« Avec l'AOP, notre lait est mieux valorisé. Nous le vendons en moyenne 10% plus cher que le lait conventionnel. Mais on doit aller plus loin sur la rémunération. Si on ramène au taux horaire, on n'y est pas. Comment peut-on attirer des jeunes s'ils gagnent le même salaire que quelqu'un qui est aux 35 heures, alors que nous, nous faisons beaucoup plus d'heures. La traite, c'est le matin et le soir, le week-end... », résume Nicolas Cussac, producteur à Saint-Flour dans le Cantal et président du Syndicat Interprofessionnel Régional du Bleu d'Auvergne.

Agribashing

Pour lui, cette situation demande une prise de conscience globale et notamment des consommateurs, qui doivent être prêts à payer un peu plus cher. Il réclame une meilleure reconnaissance et dénonce, en parallèle, un « agribashing ».

« C'est un problème sociétal. Il y a une déconnexion entre le milieu rural et le milieu urbain. Nous ne devrions pas à avoir à nous justifier tout le temps. C'est pesant », se désole cet éleveur.

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Comme l'ensemble des agriculteurs qui se sont mobilisés au cours des dernières semaines, il brandit aussi la surcharge administrative et l'empilement des normes... Là aussi le Premier ministre a annoncé des mesures de simplification et notamment un point mensuel avec les ministres sur ce sujet. Indispensable pour ces éleveurs.

« Je passe 15 à 20 heures par semaine à faire de l'administratif et donc, à ne pas faire mon métier de base. Et ce temps passé n'a aucun impact sur la qualité de mon fromage ou le bien-être de mes animaux. Là, je dois remettre à jour le plan de maîtrise sanitaire de notre ferme car nous fabriquons nos fromages sur place. C'est un dossier de 80 pages. C'est lourd à faire. Nous demandons une simplification depuis 2012 pour que cela soit plus lisible, plus efficace et compréhensible », donne en exemple Sébastien Ramade, qui emploie cinq personnes.

Demande d'exemption du Nutri-Score

Dans les allées du Salon de l'Agriculture, le président de l'association des fromages AOP d'Auvergne compte aussi interpeller ses interlocuteurs politiques au sujet du Nutri-Score. Le plus souvent, les fromages d'appellation AOP sont mal notés, en raison de leur taux de sel. Toute la filière demande à en être exemptée.

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« Cet outil n'est pas adapté à nos productions. Nous sommes coincés car nous ne pouvons pas faire évoluer notre recette, en raison de nos cahiers des charges AOP. Il y a donc un travail d'explication à faire. Côté consommateur, cela apporte de l'incompréhension. Nous avons un produit de qualité mais avec un mauvais Nutri-Score. Notre label AOP apporte déjà des garanties sur l'aspect environnemental, la valorisation des éleveurs, la qualité... pas besoin de rajouter un étiquetage complémentaire qui vient brouiller tout cela », défend Aurélien Vorger, du groupement d'appellation Bleu d'Auvergne et Fourme d'Ambert.

Autant de messages qu'il tentera de faire passer aux 600.000 visiteurs attendus sur le Salon.

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Commentaires 2
à écrit le 22/02/2024 à 20:16
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"en raison de leur taux de sel" et aussi de gras, c'est du concentré de gras du lait, mais pour diaboliser le Nutriscore (qui n'empêche pas de consommer les produits qu'on mangeait avant, c'est juste informatif nutritionnellement [scientifique, pas g...

à écrit le 22/02/2024 à 13:41
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Les labels représentent la voie du salut pour les exploitations de taille moyenne pour le reste les jeunes générations d'exploitants souvent passées par des formations bts, licences ou écoles d'ingé sont armées pour relever les défis du recrutement ...

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