Climat : avec son capteur, A2 Photonic Sensors mesure en temps réel le méthane dissous dans les lacs et les océans

Pépite discrète, la société iséroise A2 Photonic Sensors a tapé dans l'œil de France 2030. Lauréate du programme «Transformation des PME par l’innovation », l’entreprise sort petit à petit de son terrain de jeu, la mécanique des fluides, en s’attaquant à l’eau. Avec comme dernier projet en date, la création d’un capteur capable de mesurer la quantité de méthane et de CO2 dans l’eau, salée ou non, en quelques dizaines de secondes. De quoi susciter l’intérêt des laboratoires de recherche publics ou privés et peut-être demain, des industriels avec des produits dérivés.
Des expérimentations du capteur de mesure du méthane ont été réalisées dans le lac Léman par A2 Photonic Sensors.
Des expérimentations du capteur de mesure du méthane ont été réalisées dans le lac Léman par A2 Photonic Sensors. (Crédits : Claire Angot)

Détecter quasiment en temps réel le méthane présent dans les océans et les lacs, mais aussi son isotopie, c'est-à-dire son origine : voilà ce que propose A2 Photonic Sensors, spécialiste isérois de la fabrication de capteurs haute performance à destination du monde de la recherche, avec son nouveau produit.

Issu d'une valorisation de la recherche, celui-ci répond à un besoin précis : comprendre les dynamiques d'absorption et d'émission de méthane dans les océans. Car si l'on sait que ceux-ci émettent du méthane et du CO2 et en absorbent également, « on ne connaît pas ce bilan exact », dresse comme constat Stéphane Gluck, fondateur d'A2 Photonic Sensors. Et ce, « car les capteurs actuels ne sont pas assez performants pour faire des analyses sur de grandes surfaces ».

Or si le méthane est un élément vital pour certains bio-organismes marins, il est également un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2. Une éventuelle fonte des hydrates de méthane « pourrait contribuer au contraire à ce que l'océan soit à son tour générateur d'émissions de méthane (CH4) dans l'atmosphère » indiquait l'Ifremer sur son site en 2021, nuançant néanmoins cet impact du fait de la durée de vie, relativement courte de ce gaz comparé au dioxyde de carbone. Le tout en précisant l'importance de mener des recherches sur le sujet.

Un capteur « 80 fois plus rapide »

« Notre solution permet de mesurer le méthane dissous dans l'eau des océans, des mers et des lacs à une vitesse 80 fois plus rapide que les capteurs existants. Ces derniers nécessitent de rester 40 minutes à un même endroit pour faire une mesure concrète contre 30 secondes en moyenne avec notre produit », avance fièrement l'entrepreneur.

À cette première mesure s'ajoute une autre spécificité : la mesure de l'isotopie du méthane, c'est-à-dire l'origine du méthane, qui peut être biogénique ou thermogénique. Dans le premier cas, le gaz est produit par des bactéries par décomposition organique. Dans le second, il résulte d'hydrates de méthane ou clathrates, créés par l'enfermement d'un gaz, le méthane, dans une molécule d'eau. Ces derniers se trouvent principalement dans le permafrost ou dans les couches sédimentaires des fonds océaniques.

Cette « capacité à identifier la source est quasi-unique », insiste Stéphane Gluck qui souligne une concurrence quasi-nulle sur ce point. « Les Etats-Unis possèdent un spectromètre de masse qui peut être embarqué sous l'eau mais je ne suis pas certain qu'il soit commercialisé. »

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Des éléments qui suscitent de la curiosité sur la méthode de la société iséroise pour augmenter massivement la performance de ces mesures face à ses concurrents. La réponse est esquissée à demi-mots : « On a trouvé un processus pour accélérer le transfert entre l'eau et le capteur à travers un système membranaire ». L'objectif étant de récupérer uniquement les gaz présents sous l'eau et non un échantillon d'eau complet. Et ensuite, de l'analyser grâce à un spectromètre optique.

Une réponse volontairement évasive, que l'intéressé complète en pointant leur force : « Nous nous retrouvons avec une poche de gaz sans connaître son contenu exact car il y a plusieurs types de gaz naturellement présents dans l'eau : de l'oxygène, de l'azote, etc. Nous avons un très bon savoir-faire pour analyser ce mélange et de très bonnes connaissances des échanges membranaires ».

Sans compter une grande expérience terrain apportée, en partie, par les chercheurs eux-mêmes qui ont souvent travaillé des années sur leurs recherches.

Leur solution s'utilise de deux façons. Soit pour réaliser une analyse d'une colonne d'eau verticale en descendant doucement la sonde mètre par mètre jusqu'à 3.000 mètres voire 6.000 mètres de profondeur, son maximum. Soit en descendant la sonde au plus près du fond, puis en la tractant pendant plusieurs minutes ou heures. « Si l'on passe sur un pic de méthane, on pourra le détecter », détaille Stéphane Gluck. Tout ceci est rendu possible grâce aux 12 heures d'autonomie de l'appareil.

France 2030, un coup d'accélérateur

Avec ce capteur de haute performance, A2 Photonic Sensors vise d'abord son cœur de cible historique : le monde de la recherche, mais pas seulement.

« Nous visons des applications très scientifiques car extrêmement performantes, mais l'idée est d'aller sur des usages plus simples, avec des spécifications moins sévères sur le capteur », balise le fondateur. Ce, pour développer des capteurs pour la surveillance environnementale, le marché du pétrole offshore afin de rechercher d'éventuelles fuites ou des gisements.

« Il y a pas mal de choses à faire », se réjouit l'entrepreneur, précisant qu'il s'agira de « déclinaisons plus simples de la version initiale pour aller chercher des marchés plus industriels ». Et peut-être détecter d'autres gaz ?

« Le projet financé par France 2030 est orienté vers la détection du méthane et du CO2 mais une fois que nous avons la technologie, nous pouvons imaginer aller vers d'autres gaz qui pourraient intéresser les industriels comme le protoxyde d'azote ou l'ammoniac par exemple. »

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Fruit de dix ans de recherche au sein de l'Institut des Géosciences de l'Environnement (IGE) de Grenoble, le développement de ce capteur a connu « une véritable accélération grâce au programme France 2030 ». La subvention de 210.000 euros a permis à la société de « consacrer deux personnes à quasi plein temps depuis l'été dernier sur le projet et d'acheter du matériel », confie l'entrepreneur. Ce, jusqu'à la commercialisation et la livraison des premiers produits mi-mai.

L'objectif étant d'en vendre quelques-uns dès cette année, car leur coût reste relativement élevé. Stéphane Gluck avance une fourchette de prix comprise entre « quelques dizaines de milliers d'euros pour les plus simples, à quelques centaines pour les plus performants ». L'entreprise entend bien doubler son chiffre d'affaires, aujourd'hui de l'ordre 500.000 euros, grâce à ce nouveau produit et ses dérivés.

La mécanique des fluides, une spécialité mondialement reconnue

Et ce, alors qu'aujourd'hui, le domaine historique qui a donné naissance à la société grâce à une valorisation de la recherche, à savoir la mécanique des fluides, constitue encore la majorité de ses revenus (70%). Avec un instrument qui permet de mesurer la concentration, la vitesse et la taille de bulles ou de gouttes.

Cet outil est notamment utilisé pour analyser l'air dans les vagues de mer ou de rivière car la quantité d'air va influer, avec d'autres variables, sur l'érosion des rivages. Dans le nucléaire, l'objectif est d'essayer de comprendre comment stopper une éventuelle ébullition en testant des solutions en analysant la réaction des bulles.

« Si l'on prend l'exemple d'un aquarium, on a besoin d'envoyer des bulles d'air pour oxygéner l'eau, mais cela ne revient pas au même d'envoyer une grande quantité de toutes petites bulles ou une grosse bulle contenant la même quantité d'air que toutes les petites », simplifie l'entrepreneur.

Une solution qui s'adresse à trois marchés majeurs, concernant l'analyse des bulles : la chimie, l'hydrologie et le refroidissement, en particulier pour des centrales nucléaires.

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La même technologie permet également d'analyser les gouttelettes de liquides dans l'air, c'est-à-dire, les pulvérisateurs. Encore une fois, Stéphane Gluck précise : « En agriculture, l'idée pour arroser un champ est d'amener suffisamment d'eau, mais il faut que les gouttes ne soient ni trop grosses pour ne pas trop consommer d'eau et ni trop rapides afin de ne pas éroder les sols ».

D'autres secteurs, bien éloignés de l'agriculture, sont susceptibles d'utiliser cette solution : l'aéronautique notamment pour mieux optimiser le fonctionnement des turbomachines comme les moteurs d'avion en améliorant l'atomisation (la pulvérisation) du carburant en fines gouttelettes.

L'eau et la neige, un premier pas vers des enjeux environnementaux

Après la mécanique des fluides, et en raison d'un intérêt fort pour les enjeux environnementaux, l'équipe de cinq membres s'est tournée également vers l'analyse de l'eau, sous forme neigeuse. Parmi les outils, on trouve un capteur de mesure de la surface spécifique de la neige, destiné à déterminer la taille des grains de neige. Une caractéristique qui joue sur l'albédo de la neige, c'est-à-dire son pouvoir réfléchissant et donc, le réchauffement plus ou moins rapide du manteau neigeux.

Autre enjeu relatif à cette ressource : la hauteur de neige. Cette donnée intéresse tout particulièrement, non pas les stations de ski, mais l'énergéticien EDF. Car c'est bien elle qui va alimenter ses futurs barrages et donc influer sur la future production d'hydroélectricité, confie Stéphane Gluck. C'est d'ailleurs avec cette entreprise et pour elle, qu'un capteur spécifique a été développé.

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« Le capteur que l'on vend le plus est celui permettant de calculer la fonte des glaciers », poursuit le fondateur d'A2 Photonic Sensors. Basé sur les recherches de l'Institut de Géosciences de l'Environnement de Grenoble (Isère), ce produit améliore véritablement la précision des données recueillies.

« Auparavant, les chercheurs réalisaient des analyses lorsqu'ils se rendaient sur un glacier avec un piquet gradué. Avec ce système, on peut d'une part mesurer la fonte de la glace en permanence avec une prise de mesure toutes les 30 minutes, voire toutes les minutes si besoin et transmettre les données par satellite », appuie t-il. Précisant par la suite, le déploiement de capteurs en Europe, en Asie, en Amérique du sud ou encore au Svalbard (archipel norvégien situé en mer du Groenland).

Une fois les données récoltées, A 2 Photonic Sensors offre deux possibilités à ses clients : interconnecter directement le capteur avec leur serveur ou passer par ses serveurs.

Si la société iséroise développe aussi des capteurs pour la hauteur d'eau, son fondateur tempère fortement leur présence sur ce segment. « Ce n'est pas notre coeur de métier, il y a énormément de concurrence sur ce secteur. Et nous ne cherchons pas à entrer en concurrence avec des solutions existantes sans avoir un côté innovant ou différenciateur fort », confie t-il.

Son produit trouve réellement son intérêt sur des terrains difficiles, conditions climatiques extrêmes, accès difficile et absence d'énergie par exemple, où les capteurs plus classiques ne seront pas assez performants.

« Nous vendons la plupart de nos produits à des universités et laboratoires de recherche publics. Ceux-ci représentent 70 à 80% de nos clients et les 20 à 30% restants sont des centres de recherche de grandes compagnies privées. Et nous exportons 70% de nos produits à l'international », dévoile t-il. Loin de se contenter du seul terrain qu'est l'Europe, l'entreprise avance des partenariats avec l'Université de Shangaï, l'Institut coréen de recherche aérospatial, l'Observatoire météorologique de Tokyo ou encore la NASA.

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