IA Act : avec la startup Probayes, La Poste a déjà pris de l'avance

Le Parlement et le Conseil européen se sont mis d'accord, en fin de semaine dernière, sur les contours du futur « IA Act » afin d'encadrer à partir de 2026 la création et l'usage de l'intelligence artificielle. Mais l'enjeu d'une innovation éthique et souveraine reste prégnante. La Poste, qui s'appuie sur plusieurs filiales dont la start-up iséroise Probayes, issue de la recherche française, a déjà pris un temps d'avance.
Probayes développe les algorithmes du groupe La Poste, notamment pour l'opération de ses chaînes de tri du courrier.
Probayes développe les algorithmes du groupe La Poste, notamment pour l'opération de ses chaînes de tri du courrier. (Crédits : La Poste)

À La Poste, c'est simple : « Tout est big data ». Le groupe français de 250.000 salariés, après avoir pris plusieurs tournants technologiques, investit aujourd'hui massivement dans l'intelligence artificielle à travers sa filiale iséroise Probayes. La Poste regarde de près, comme d'autres, l'évolution réglementaire.

L'IA Act, après avoir été voté par les députés européens cet été, est en effet passé à la moulinette des Etats membres du Conseil européen ces dernières semaines. L'enjeu : conjuguer régulation avec innovation et compétitivité. Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, un accord a été trouvé, qualifié « d'historique » le lendemain par le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, dans nos colonnes. Un accord de « régulation par le risque », qui entrera en vigueur en 2026. Mais aussi « pro-innovation et pro-business », soutient l'ancien ministre de l'Economie du gouvernement Raffarin III (2005).

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La Poste, dotée d'une charte éthique « pour une IA de confiance »

Concrètement, ce règlement entend créer un cadre éthique, tout en soutenant l'innovation européenne. La question majeure concerne, pour le secteur, l'assurance d'un soutien plein et entier face à la concurrence des géants américains et chinois. Comment faire concrètement émerger un numérique souverain ? C'est tout l'enjeu dont tentent de s'emparer plusieurs poids lourds en France, comme Thales, Atos, ou encore Orange, mais aussi La Poste, qui traite par essence des millions de données à travers ses différentes activités (postales, bancaires et assurantielles). Leur coordination, très stratégique, est confiée par le groupe à sa filiale Docaposte qui représente près d'1 milliard d'euros de chiffre d'affaires fin 2023 et 8.000 collaborateurs, comme l'illustre Olivier Vallet, son PDG, dans Le Monde informatique.

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« Nous travaillons depuis un peu plus de trois ans sur le sujet de l'IA de confiance, décrit ainsi Pierre-Etienne Bardin, directeur des données (CDO) du groupe de services postaux. De la même façon que nous avions anticipé le Règlement général sur la protection des données (RGPD) avec une « charte data », nous avons rédigé en 2021 une « charte pour une IA de confiance » qui définit les principes d'utilisation de l'IA dans le contexte postal ».

Les deux chartes, data et IA, fusionneront d'ailleurs en 2024. Leur portée est à la fois symbolique et opérationnelle : elles constituent déjà un « filtre » à travers lequel passent tous les programmes du groupe. Ainsi, La Poste n'a pour l'instant « pas identifié » d'algorithme problématique, ne correspondant pas aux objectifs de la future réglementation européenne, bien que la société garde un œil ouvert. « Par construction, le groupe avait déjà posé quelque part ses limites de l'utilisation de l'IA. La charte pour une IA de confiance vient factuellement les écrire, les mettre en évidence et les partager », confie Pierre-Etienne Bardin.

« On attendait beaucoup de la réglementation IA Act, pour vérifier dans quelle mesure elle n'avait pas quelques orthogonalités avec ce qu'on avait défini. Mais ce règlement n'est pas une surprise pour nous. Nous avions même fait appel à des personnes externes, membres par ailleurs du comité pour une IA de confiance. Pour moi, cela reste dans l'ADN du groupe La Poste », ajoute Pierre-Etienne Bardin.

« L'agilité d'une PME et une expertise de pointe »

Pour réaliser ses objectifs, La Poste s'appuie sur plusieurs filiales, dont la start-up iséroise Probayes (10 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023, 85 salariés), entrée dans le giron du groupe postal en 2016. Créée il y a vingt ans, fruit de la recherche publique, Probayes conçoit et exploite des algorithmes pour La Poste ou encore Toyota, tant en interne qu'en externe. Elle dit s'intégrer pleinement dans la logique d'une « IA éthique » européenne, où la plus-value porte notamment sur la protection des données, mais aussi sur des systèmes conçus et alimentés sans abus.

« Nous opérons par exemple un outil qui nous permet de définir le niveau de criticité des algorithmes. Ce qui nous interdit par exemple, et c'était déjà naturel depuis plusieurs années, d'utiliser des informations de caméras vidéo à des fins de prospection commerciale ou d'analyse d'un comportement », ajoute Pierre-Etienne Bardin.

Car face aux poids lourds internationaux et à une large concurrence, la PME joue bien sa carte. « Le sujet qui fait la différence auprès des clients, c'est la souveraineté, résume Pierre-Etienne Bardin, aussi président de Probayes. Nous n'allons pas rentrer dans une lutte frontale face aux hyperscalers (d'importants fournisseurs de services cloud) et aux GAFAM ». En revanche, d'autres activités - comme la conception et l'exploitation de logiciels - lui permettent de tirer son épingle du jeu. Pour Kamel Mekhnacha, son directeur général, « la question du cloud et de l'hébergement est sensible. Mais il y a aussi celle de savoir comment transformer les besoins des clients en solutions. Les GAFAM ne sont pas positionnés sur ces sujets-là. Nous sommes, avec l'agilité d'une PME et une expertise technique de pointe, à l'écoute du client pour faire en sorte de réaliser la solution la plus adaptée ».

C'est ainsi que l'entreprise connaît une croissance « de 20 % par an » depuis quatre ans, décrit son directeur général. Probayes est passée de 60 salariés début 2022 à près de 90 personnes cette fin d'année. Elle développe notamment l'algorithme des chaînes de tri de La Poste, où les adresses des courriers sont scannées toutes les 10 millisecondes, avant que ceux-ci ne soient triés. L'entreprise élabore également l'algorithme d'un timbre codé à huit chiffres, qui devait être lancé par La Poste cette année, mais qui a connu un retard lié à « des questions de bonne acceptation de la part des usagers », décrit Pierre-Etienne Bardin. Il n'empêche, le produit est techniquement sur les rails et annoncé en 2024. Il vient remplacer le timbre papier dans certains cas - sans accessibilité à un bureau de poste par exemple. Tout le travail a consisté à créer un code fiable, sécurisé, notamment face au risque de fraude. L'ensemble s'inscrit dans une vaste démarche du groupe qui entend, avec Docaposte, se positionner dans les « Big 5 » européens.

La Poste travaille sur un « cloud de confiance » : NumSpot

Cela fait déjà une dizaine d'années que le groupe se positionne au départ de la course de l'IA européenne, notamment à grands coups d'acquisitions. Dernier investissement en date : la création avec ses partenaires, début 2023, de la jeune société française NumSpot (Docaposte, Dassault Systèmes, Bouygues Telecom et la Banque des Territoires), qui élabore une offre de « cloud de confiance souverain  », classé « SecNumCloud », l'un des niveaux les plus élevés en sécurité des données. Celui-ci permettra, à partir de mai 2024, « d'héberger des données sensibles telles que celles de santé, dans un environnement sécurisé et souverain », décrit Pierre-Etienne BardinEt accompagnera la bascule d'une partie de l'infrastructure de La Poste, jusqu'ici essentiellement portée par des stockages de données internalisées. Car, « pour que l'IA puisse exercer ses talents, elle doit s'appuyer sur un historique de données très conséquent », ajoute le directeur data du groupe.

« Nous avons fortement limité l'utilisation des cloud d'hyperscalers, pour des raisons de confidentialité et de souveraineté, ajoute Pierre-Etienne Bardin. Maintenant que NumSpot arrive dans notre écosystème, nous avons des réflexions « move to cloud » pour des données peut-être moins sensibles. Notre réflexion évolue vers une approche hybride, avec une partie des données stockées dans nos datacenter, et une autre partie chez des fournisseurs de cloud. »

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La Poste, qui s'appuie en effet sur trois plateformes (une pour la partie postale et les fonctions internes, une dédiée à La Banque Postale et une dernière pour les assurances), dit avoir « fortement limité l'utilisation des cloud d'hyperscalers pour des raisons de confidentialité et de souveraineté » au cours des dix dernières années.

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Ce cloud viendra s'ajouter, en mai 2024, aux autres véhicules développés par les GAFAM avec de grands groupes européens : Bleu (Microsoft, Orange, Capgemini), S3ns (Google et Thales) ou encore le cloud issu de la collaboration entre Amazon Web Services et Atos. Le Français NumSpot, quant à lui, entend bien leur couper l'herbe sous le pied. Et dans le domaine, « tout prend de la vitesse ». En à peine un an, cette solution est déjà en voie de commercialisation, avec de premiers clients annoncés.

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